Le Sénat réforme l’aide médicale d’État et réduit de 350 millions d’euros son budget 2023

Le Sénat réforme l’aide médicale d’État et réduit de 350 millions d’euros son budget 2023

Refusant l’augmentation « continue et non maîtrisée des dépenses » de l’aide médicale d’État destinée aux étrangers en situation irrégulière, la majorité sénatoriale de droite et du centre a recentré le dispositif sur la prise en charge des soins urgents, dans le projet de loi de finances. Le gouvernement s’est « fermement opposé » à ce type de réforme.
Guillaume Jacquot

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

« La commission des finances a jugé cette augmentation étonnante et contestable, à plus d’un titre. » En engageant les débats sur la mission santé du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, le rapporteur LR Christian Klinger a donné le ton sur le budget prévisionnel de l’aide médicale d’État (AME). Chaque année, la droite sénatoriale ferraille pour resserrer ce dispositif, qui permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins. Selon les chiffres arrêtés à la fin juin 2022 présentés dans le rapport de la commission des finances, 400 000 personnes bénéficient de cette aide.

Dans le projet de loi de finances, le gouvernement proposait une augmentation de 133 millions d’euros de l’AME, pour atteindre 1,14 milliard d’euros, soit une hausse annuelle de 12,4 %, par rapport à la précédente loi de finances. Le retour à la tendance observée avant la crise sanitaire est inacceptable pour la majorité sénatoriale, qui dénonce une augmentation « continue et non maîtrisée ». « C’est-à-dire que le gouvernement table sur une poursuite de la progression du nombre d’étrangers en situation irrégulière, au moment même où il prépare son projet de loi destiné précisément à le réduire. C’est une contradiction difficilement justifiable », s’est étonné Christian Klinger.

Une progression du budget « peu justifiable » selon le rapporteur

Le rapporteur spécial a même relevé que la progression s’élevait à « près de 200 millions d’euros » par rapport au niveau inscrit dans le projet de loi de finances rectificative pour 2022, adopté la semaine dernière. « Ce serait une augmentation de 20 % d’une année sur l’autre, peu justifiable, d’autant que l’État est en situation de créancier vis-à-vis de l’Assurance maladie, ce qui est nouveau », a-t-il commenté.

Comme en 2021 (l’examen du volet dépenses du projet de loi de finances n’ayant pas été examiné au Sénat l’an dernier), la majorité sénatoriale a limité la prise en charge par l’AME aux soins urgents et maladies graves, aux soins liés à la maternité, aux soins pour les mineurs et aux dispositifs de soins préventifs, comme la vaccination. Renommé « aide médicale de santé publique », le dispositif voté (211 voix pour, 131 voix contre) serait ainsi « comparable » aux mécanismes en vigueur dans les principaux pays voisins, selon la majorité sénatoriale.

« Aucune majorité n’a remis en cause l’AME depuis sa création », rappelle la ministre

Rappelant l’objectif « humanitaire et sanitaire » de l’AME, la ministre chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, a annoncé que le gouvernement s’opposerait « fermement » à « toute initiative visant à remettre en cause le périmètre des soins couverts par l’aide médicale d’État ». « Aucune majorité n’a remis en cause l’AME depuis sa création parce qu’elle constitue en réalité une mesure de bonne gestion des publics et un outil sanitaire essentiel », a insisté l’ancienne députée Horizons.

Les groupes de gauche sont également montés au créneau contre les amendements de la majorité sénatoriale. « L’AME, ce n’est pas un outil de la politique migratoire, c’est un outil de santé publique », s’est exclamé Bernard Jomier (apparenté PS), déplorant que ce chapitre soit « l’objet de postures ». « Nous regrettons que chaque année la droite face la courte échelle à l’extrême droite à l’occasion du débat sur l’AME, pour réduire les dépenses des étrangers, qui ne représentent pourtant que 0,5 % des dépenses de santé », a ajouté la sénatrice communiste Laurence Cohen.

Médecin, membre du Parti radical siégeant dans le groupe hétéroclite du RDSE (Rassemblement démocratique social et européen), Véronique Guillotin s’est également opposée à la redéfinition du panier de soins couvert par l’AME. « Se contenter de la prise en charge de situations d’urgence a un effet pervers : mieux vaut soigner une bronchite qu’une décompensation respiratoire. Et puisqu’on parle d’argent, cela coûte moins cher. Méfions-nous des solutions faciles », a-t-elle averti.

Interrogations de la droite sur la réforme de l’AME de 2020

Par voie de conséquence après la redéfinition du périmètre de l’AME, une majorité du Sénat a voté en faveur d’une réduction de 350 millions d’euros du budget 2023 destiné à cette politique (199 voix pour, 131 voix contre), soit un retour sous la barre des 800 millions d’euros, comme c’était le cas en 2017.

Le rapporteur Christian Klinger s’est d’ailleurs étonné de l’absence d’inflexion budgétaire, malgré les mesures prises fin 2019, à l’initiative du gouvernement, pour mieux prévenir les risques de fraude et de détournements abusifs de l’AME. « Doit-on en déduire que ces mesures sont inefficaces ? »

Pour rappel, depuis 2020, il faut une condition de durée minimale de séjour irrégulier de trois mois pour obtenir le bénéfice de l’AME, notamment pour éviter l’accès au dispositif dès l’expiration d’un visa touristique. Depuis 2021, le bénéfice de certaines prestations programmées, et non urgentes, ne peut intervenir qu’après neuf mois de bénéfice de l’AME. Mais la crise sanitaire a perturbé l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions. La ministre Agnès Firmin Le Bodo a souligné qu’elles n’avaient pas pu être mises pleinement en œuvre. 2023 sera l’année du « suivi » de ces mesures.

Relance du chantier de la carte Vitale biométrique

À l’initiative de la commission des affaires sociales, le Sénat a fléché 10 millions d’euros de l’AME pour le financement d’actions de maraudes, des bus de prévention ou encore des barnums de dépistage, « afin de proposer des examens aux personnes en situation irrégulière ». Un « bon moyen » de recentrer le dispositif sur son « objectif humanitaire et sanitaire », selon Annie Delmont-Koropoulis (LR).

Un amendement du groupe LR a également été adopté pour lancer le chantier de la carte Vitale biométrique, avec un budget de 20 millions d’euros. La droite sénatoriale rappelle que ce projet avait été voté dans la loi de finances rectificative de l’été, sur proposition du Sénat, et qu’il avait été retenu dans le texte final.

Dans la même thématique

Turin – Marifiori Automotive Park 2003, Italy – 10 Apr 2024
6min

Politique

Au Sénat, la rémunération de 36,5 millions d’euros de Carlos Tavares fait grincer des dents. La gauche veut légiférer.

Les actionnaires de Stellantis ont validé mardi 16 avril une rémunération annuelle à hauteur de 36,5 millions d’euros pour le directeur général de l’entreprise Carlos Tavares. Si les sénateurs de tous bords s’émeuvent d’un montant démesuré, la gauche souhaite légiférer pour limiter les écarts de salaires dans l’entreprise.

Le

Operation Wuambushu a Mayotte : Demolition en cours d’un vaste bidonville – Operation Wuambushu in Mayotte: Ongoing demolition of a vast slum
8min

Politique

« Mayotte place nette » : « La première opération était de la communication et la deuxième sera de la communication », dénonce le sénateur Saïd Omar Oili

Le gouvernement a annoncé ce mardi 16 avril le lancement du dispositif « Mayotte place nette », un an après le maigre bilan de l’opération baptisée « Wuambushu ». Saïd Omar Oili, sénateur de Mayotte, regrette le manque de communication du gouvernement avec les élus du département et met en doute l’efficacité de ce « Wuambushu 2 ».

Le

Paris : Question time to the Prime Minister Gabriel Attal
6min

Politique

100 jours à Matignon : « La stratégie Attal n’a pas tenu toutes ses promesses », analyse Benjamin Morel

Le Premier ministre marquera jeudi le passage de ces cent premiers jours au poste de chef du gouvernement. Si Gabriel Attal devait donner un nouveau souffle au deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron, sa stratégie n’est néanmoins pas payante car il « veut en faire trop sans s’investir fortement sur un sujet », selon Benjamin Morel, maître de conférences en droit public.

Le