Néonicotinoïdes: « On a des produits qui restent actifs sur les pollinisateurs » explique le patron de l’Agence nationale de sécurité sanitaire

Néonicotinoïdes: « On a des produits qui restent actifs sur les pollinisateurs » explique le patron de l’Agence nationale de sécurité sanitaire

Deux semaines avant l’examen du projet de loi permettant la réintroduction temporaire des néonicotinoïdes tueurs d'abeilles pour sauver la filière de la betterave, la commission des affaires économiques et du développement durable auditionnaient le directeur général de l’ANSES, Roger Genet.
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La semaine dernière, Sophie Primas la présidente LR de la commission des affaires économiques disait attendre beaucoup de cette audition afin d’apaiser les débats autour d’un projet de loi « qui déchaîne les passions ».

Voté le 6 octobre par les députés, le projet de loi polémique qui permet une dérogation à l’interdiction de l’utilisation des néonicotinoïdes tueurs d'abeille, pour la filière de la betterave, arrive en séance publique le 27 octobre prochain. En attendant, les sénateurs de la commission du développement durable et des affaires économiques souhaitaient entendre « un éclairage scientifique neutre, indépendant » en la personne de Roger Genet, directeur général de l’ANSES (l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail).

Interdits depuis 2018, suite à la loi sur la biodiversité votée en 2016, les néonicotinoïdes sont en passe de faire leur retour via ce projet de loi autorisant une dérogation jusqu’en 2023 pour la filière de la betterave. Pour rappel, la loi sur la biodiversité autorisait des dérogations à l’interdiction des néonicotinoïdes jusqu’au 1er juillet 2020, ce nouveau texte s’avère désormais nécessaire pour maintenir les dérogations.

Depuis 2015, l’Anses a pour mission d’autoriser ou non la mise sur le marché de produits phytosanitaire sur le principe du bénéfice/risque. Ces produits soumis à des réévaluations « très régulières » a expliqué Roger Genet.

Deux questions opposent les pour et les contre au retour des néonicotinoïdes pour les betteraviers, pour qui les récoltes s’annoncent mauvaises en raison des pucerons verts : L’utilisation des néonicotinoïdes sur les exploitations de betteraves a-t-elle un impact sur les pollinisateurs ? Des alternatives sont-elles efficaces, disponibles et faciles d’utilisation ?

« L’imidaclopride a ce défaut d’avoir une demi-vie qui est longue »

« Aujourd’hui ce qui est prévu dans la loi, ce sont des semences enrobées (et non la pulvérisation) à base d’imidaclopride (néonicotinoïde). L’imidaclopride a ce défaut d’avoir une demi-vie qui est longue : 118 jours. Une fois qu’on a étendu le produit dans l’environnement, 118 jours après, en gros trois mois, il en reste 50% (...) En fonction des quantités utilisées, et ça moi je ne peux pas faire de modélisation, on a des produits et ses métaboliques qui restent actifs sur les pollinisateurs, qui sont présents dans l’environnement à des concentrations qu’il faudra définir en fonction des usages locaux qui seront faits de ces dérogations » a expliqué le patron de l’ANSES renvoyant ce contrôle à un comité de surveillance scientifique prévu par le projet de loi.

 « Ces produits sont des produits nocifs, bien sûr, c’est pour ça qu’on les utilise »

Plus généralement, «  en tant qu’agence sanitaire », Roger Genet souligne : « Moins on expose la santé humaine, animale, environnementale à des substances chimiques et mieux on se porte » (…) Ces produits sont des produits nocifs, bien sûr, c’est pour ça qu’on les utilise (…) L’idéal serait de trouver des molécules tellement spécifiques qu’elles ne touchent qu’un type de tumeur, de virus, d’insecte, mais ce n’est pas possible » (…) La question qu’il faut se poser, c’est si on doit utiliser ces produits, jusqu’à quel niveau c’est acceptable ».

Les producteurs de betteraves déplorent l’absence d’alternative aux néonicotinoïdes avec pour conséquence 46 000 emplois directs menacés. Si dans un avis de 2016, l’ANSES avait bien identifié des alternatives, elles ne sont pas pour autant meilleures tant sur le plan environnemental qu’en termes d’efficacité. « Le produit qu’on avait identifié à base de deux substances actives, pyréthrinoïde et carbamate, pour oiseaux et mammifères, l’indicateur de risque était similaire aux néonicotinoïdes. Pour les abeilles, il était plus favorable. Pour les vers de terre, il était plus favorable. Pour les organismes aquatiques, il était moins favorable sur le plan de la toxicité. Et pour les eaux souterraines, il est à peu près équivalent » a-t-il détaillé avant d’ajouter : « Malheureusement, sur le biocontrôle, la difficulté qu’on a, encore cette année, c’est que le nombre de dépôt de dossier ne fait que baisser (…) Il y a très peu de solutions nouvelles qui nous soient proposées ».

La France promotrice de décisions pour protéger la santé et l’environnement

Autre débat qui agite la société et les parlementaires, celui de la distorsion de concurrence par rapport aux autres pays européens, qu’entraînerait l’interdiction des néonicotinoïdes. Laurent Duplomb ou encore Remy Pointereau, deux sénateurs LR, agriculteurs de leurs états, ont évoqué une forme de « décroissance » de « perte de compétitivité » française. « Aujourd’hui la France est plutôt promotrice de décisions qui sont quand même proactives pour protéger la santé et l’environnement. Au niveau européen, on est parmi les pays qui faisons le plus. On le fait à chaque fois qu’on a des données scientifiques qui nous permettent de graduer le risque à un niveau inacceptable » a estimé Roger Genet. Pour autant, le patron de l’ANSES explique qu’il ne s’agit pas de surréglementer mais de « devancer » de quelques mois une réglementation européenne.

Enfin alors que certains sénateurs, à l’image du sénateur LR de Seine-et-Marne, Pierre Cuypers, lui-même producteur de betteraves, aimeraient enlever l’échéance de 2023 à la dérogation à l’interdiction des néonicotinoïdes pour la conditionner à la découverte d’un produit de substitution efficace, Roger Genet veut mettre « les points sur les i ». « Si on ne met pas de limite dans le temps, l’expérience montre qu’il ne passe rien (…) Elles ne sont jamais données ad vitam aeternam, les dérogations. La question, c’est jusqu’à quand les autorise-t-on ».

 

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