Sécurité globale : l’exécutif en prend pour son grade au Sénat, après la censure partielle de la loi

Sécurité globale : l’exécutif en prend pour son grade au Sénat, après la censure partielle de la loi

Le Conseil constitutionnel a torpillé plusieurs dispositions importantes de la loi sécurité globale, comme l’emploi des drones policiers et l’article 24 protégeant les forces de l’ordre. La gauche, à l’origine de la saisine, applaudit. Les rapporteurs au Sénat, LR et centriste, regrettent cet épilogue, avec étonnement, voire une pointe de ressentiment.
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C’est une nouvelle sortie de route au Conseil constitutionnel pour une loi issue de la majorité présidentielle. Plusieurs dispositions phares de la loi « pour une sécurité globale préservant les libertés », initiée l’an dernier par les députés Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot (LREM), n’ont pas passé le filtre constitutionnel ce jeudi 20 mai 2021. Sur les 22 articles qui faisaient l’objet d’une saisine, les Sages en ont censuré totalement ou partiellement sept.

L’un des plus controversés du texte en fait partie : l’article 52, connu sous le nom d’article 24 dans la numérotation au Parlement. Il devait sanctionner, « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique », la « provocation à l’identification » d’un agent de la police, d’un militaire de la gendarmerie ou d’un agent des douanes lorsque ces derniers sont « en opération ». Dans sa forme initiale à l’Assemblée, l’article pénalisait la diffusion malveillante des images des forces de l’ordre et avait suscité l’opposition d’organisations de défense des libertés publiques ou d’associations représentant la presse. La réécriture totale au Sénat, à majorité de droite et du centre, n’a pas suffi à rendre l’article conforme à la Constitution. « Le législateur n’a pas suffisamment défini les éléments constitutifs de l’infraction contestée » et l’article « méconnaît le principe de la légalité des délits et des peines », a développé le Conseil constitutionnel. Assemblée nationale et Sénat étaient parvenues à un compromis sur la proposition de loi à l’issue de leurs débats respectifs.

Le gouvernement est « borderline » avec les droits et libertés, juge Patrick Kanner (PS)

A gauche, la décision est accueillie avec satisfaction. La saisine avait été déclenchée par les trois groupes de gauche au Sénat (socialistes, communistes et écologistes), et par plusieurs groupes d’opposition à la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale. Le Premier ministre lui aussi avait saisi les sages, uniquement sur l’article 24. Joint par Public Sénat, Patrick Kanner, le président du groupe socialiste au Sénat, a accueilli la décision « sans surprise » et ne ménage pas ses coups en direction de l’exécutif. « Un travail approximatif aboutit à une censure lourde. C’est un rappel à l’ordre du gouvernement qui, en matière de droits et libertés, est souvent borderline. Il y a eu trop de certitudes de sa part, en particulier de Gérald Darmanin, et un manque de maîtrise du droit. » Les communistes se « réjouissent » de la censure de l’article 24, « disposition particulièrement liberticide », et qui « ne protégeait en rien les forces de l’ordre ».

« Le juge constitutionnel vient de remettre un peu d’équilibre et de mesure dans un paysage qui, au-delà de la loi sécurité globale, inquiétait […] C’est une satisfaction, cela nous amène à reposer ces questions dans des termes plus équilibrés », salue le sénateur (PS) Jérôme Durain, chef de file de son groupe lors du débat parlementaire.

Le corapporteur (LR) du texte au Sénat qui avait géré la refonte totale de l’article, Marc-Philippe Daubresse, se dit paradoxalement « satisfait », après la lecture de la décision. « Tous les griefs qui étaient opposés, ce qu’opposait Reporters sans frontières, ce n’est absolument pas ce que soulève le Conseil constitutionnel. L’article ne touche pas aux droits de l’homme, ni au principe de nécessité, ni au principe de proportionnalité », souligne le sénateur auprès de Public Sénat. Marc-Philippe Daubresse affirme que l’une des formulations en cause vient du ministre de l’Intérieur. « Il a insisté lourdement pour qu’on mette policiers en opération ».

Le Conseil constitutionnel explique en effet, dans sa décision, que la notion d’opération n’est pas définie et que les parlementaires n’ont pas « déterminé si l’intention manifeste qu’il soit porté atteinte à l’intégrité physique du policier devait être caractérisée indépendamment de la seule provocation à l’identification ».

Une décision « sévère », selon le corapporteur du texte, Loïc Hervé (Union centriste)

Sur Twitter, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a dit « prendre acte » de la décision du Conseil constitutionnel, tout en promettant de tenir compte de ces enseignements. « Je me félicite des nombreuses dispositions validées qui aideront notre politique de sécurité et je proposerai au Premier ministre d’améliorer les dispositions qui connaissent des réserves du Conseil constitutionnel », a-t-il tweeté.

L’ex-article 24 n’est pas le seul à être censuré. Une large partie de l’article 47 (ex-article 22) qui posait une base légale à l’utilisation des drones par les forces de l’ordre, pour le maintien de l’ordre lors de manifestations, ou les opérations de police, a aussi été déclarée inconstitutionnelle. Rapporteur au Sénat sur ce chapitre, Loïc Hervé (Union centriste), accuse le coup, malgré toutes les garanties supplémentaires apportées lors de la lecture sénatoriale. « C’est une décision du Conseil constitutionnel que je considère comme sévère globalement. On a essayé de tenir compte de l’avis de la CNIL (Commission nationale informatique et libertés), mais ce n’était pas suffisant », constate le sénateur de Haute-Savoie. « J’avais milité pour un régime d’autorisation des drones assez stricte », rappelle-t-il. A l’époque, Gérald Darmanin avait critiqué l’excès de procédure introduite par les sénateurs.

Le Conseil constitutionnel déplore notamment l’absence d’une limite en durée, en périmètre ou de nombre d’aéronefs dans le ciel. Comme tenu de la nature sensible des appareils (ils peuvent se déplacer et filmer sans être détectés), Il estime que l’équilibre entre la prévention des atteintes à l’ordre public, de recherche des auteurs d’infractions, d’une part, et le droit au respect de la vie privée, d’autre part, n’a pas été obtenu dans cet article.

« Le gros des problèmes venait de ce que voulait le ministre », regrette Marc-Philippe Daubresse (LR)

Le même reproche est fait à l’article 41 (ex-article 20 bis AA), qui autorise la vidéosurveillance de personnes retenues dans les chambres d’isolement des centres de rétention, ou placées en garde à vue. Or, cette décision peut être renouvelée, après 48 heures, par un chef de service responsable de la sécurité pour une durée aussi longue que la garde à vue (allant jusqu'à six jours) ou le séjour en centre de rétention (aucune limite).

Autre camouflet : l’article 1 tombe. Il prévoyait que dans certaines collectivités volontaires, les agents de police municipale puissent exercer des attributions de police judiciaire en matière délictuelle. L’expérience devait durer cinq ans. Or ces agents relèvent d’autorités municipales et non d’officiers de police judiciaire. « Le législateur n’a pas assuré un contrôle direct et effectif du procureur de la République sur les directeurs de police municipale et chefs de service de police municipale », épingle le Conseil constitutionnel. Parmi les actes autorisés, l’article prévoyait certaines saisies. Dès février, Marc-Philippe Daubresse avait exprimé sa gêne en février. « Le gros des problèmes venait de ce que voulait le ministre de l’Intérieur. Il voulait absolument qu’on déborde sur le rôle de police judiciaire, ce que je ne voulais pas. On a abouti à un compromis avec les députés mais le Sénat n’avait pas tort de le dire », réagit-il ce jeudi.

Si Marc-Philippe Daubresse est convaincu que les points soulevés par le Conseil constitutionnel peuvent être corrigés à travers des amendements lorsque les dispositions censurées reviendront dans d’autres projets ou propositions de loi, le centriste Loïc Hervé estime que les parlementaires auront beaucoup de travail, après le choc de cette décision. « Ce ne sont pas des censures à la marge, ce n’est pas vrai. »

« Désordre »

Le désaveu est surtout dur pour la majorité présidentielle qui était à l’origine du texte. La décision sur le texte Sécurité globale fait écho à la loi Avia (du nom d’une députée LREM) sur la lutte contre la haine en ligne, qui, elle aussi, avait été taillée en pièces par les juges constitutionnels. C’était il y a à peine un an. Et il s’agissait déjà d’une proposition de loi, d’initiative parlementaire donc, évitant l’avis du Conseil d’Etat ou l’étude d’impact, obligatoires. « Quand on bricole, ça ne va jamais », sermonne le sénateur Marc-Philippe Daubresse. « Cela confirme que si on avait fait les choses dans le bon ordre, on se porterait mieux aujourd’hui. »

Dans l’opposition sénatoriale, l’ancien ministre socialiste Patrick Kanner considère que la nouvelle soufflante venue de la rue de Montpensier va affaiblir le gouvernement. Et qu’elle sera exploitée par les extrêmes. « On touche à un problème de crédibilité dans la parole du gouvernement. Ce désordre provoqué par une censure lourde du Conseil constitutionnel, c’est du terrain riche pour le Rassemblement national. » L’article 24, qui devait protéger les forces de l’ordre tombe au lendemain d’une manifestation médiatique en faveur des policiers. « Il ne faut pas les protéger par des mesures juridiques qui ne tiennent pas la route », s’inquiète le socialiste. « On va voir ce qu’on peut réparer. Il y a des sujets d’actualité, des sujets opérationnels, on n’aura pas d’autre choix que de remettre l’ouvrage sur le métier », prévient le centriste Loïc Hervé.

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