Sécurité globale : le Sénat autorise le port d’armes pour les policiers hors-service dans les établissements recevant du public

Sécurité globale : le Sénat autorise le port d’armes pour les policiers hors-service dans les établissements recevant du public

Le Sénat a adopté cette après-midi l’article 25 de la proposition de loi Sécurité globale, à 214 voix contre 121. L’article prévoit que les policiers et les gendarmes ne peuvent se voir opposer un refus d’accès aux établissements recevant du public alors même qu’ils portent leur arme en dehors de leurs heures de service.
Louis Mollier-Sabet

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Après le fameux article 24 de la proposition de loi Sécurité globale, les sénateurs se sont attaqués à l’autre gros morceau de l’après-midi : l’article 25 et la possibilité pour les policiers et les gendarmes de porter leur arme de service dans les établissements recevant du public, en dehors de leurs heures de service.

« Ce n’est pas un débat sur l’armement hors-service »

"Les policiers peuvent déjà [...] rentrer chez eux avec leur arme de service." Gérald Darmanin
01:28

« Ne nous trompons pas de débat », tempère immédiatement le rapporteur centriste du texte, Loïc Hervé : « Ce n’est pas un débat sur l’armement hors-service ». En effet, le texte légifère simplement sur les membres des forces de l’ordre qui disposent déjà d’une autorisation de port d’armes hors-service, comme les policiers nationaux « qui peuvent déjà, en demandant l’autorisation à leur hiérarchie, rentrer chez eux avec leur arme de service », précise Gérald Darmanin.

« Il y a simplement une coutume qui veut le patron ou la patronne de l’établissement recevant du public peut refuser l’entrée », continue le ministre de l’Intérieur, qui tente de rassurer les sénateurs sur la portée de l’article 25 : « Il n’y a pas de cadre légal, mais simplement un article réglementaire du code de sécurité intérieure, nous proposons d’instaurer une législation, […] cela devrait plaire aux législateurs que vous êtes. »

« Ce n’est pas anodin de porter une arme »

"Ce n’est pas anodin de porter une arme." Laurent Lafon
02:29

Et cette tentative de rassurer les sénateurs n’est pas de trop, tant la mesure semble mal passer auprès des sénateurs écologistes, communistes, socialistes mais aussi chez certains et certaines de la majorité sénatoriale comme le président centriste de la commission de la Culture, Laurent Lafon, et la sénatrice LR de l’Essonne Laure Darcos.

Laurent Lafon regrette par exemple que « l’article concerne tous les établissements recevant du public, ce qui couvre des réalités très différentes en termes d’équipements. » En effet, cette catégorie juridique regroupe les établissements culturels comme les cinémas, les théâtres ou les salles de spectacle, mais aussi les équipements sportifs, les établissements scolaires ou les lieux de culte. Ainsi un directeur d’école ne pourra pas, par exemple, interdire un parent d’élève appartenant aux forces de l’ordre de venir à une réunion parent professeur avec son arme de service, si celui-ci bénéficie déjà d’une autorisation, bien sûr.

Laure Darcos rejoint son collègue de la commission de la Culture et met en avant une « anecdote » pour convaincre ses collègues que la situation n’est pas exactement la même dans un bar ou dans un établissement scolaire : « Dans un de mes collèges un major de la police avait l’habitude de venir parler de prévention et un jour un de ses collègues qui le remplaçait est venu avec son arme très ostensiblement portée, ce qui a beaucoup choqué les professeurs et les élèves. » Et Laurent Lafon de rappeler : « Ce n’est pas anodin de porter une arme. Quel sentiment éprouverons-nous en voyant une personne en civil qui porte une arme ? Restez-vous assis en attendant la fin de la séance de cinéma ? »

« C’est un choix civilisationnel qui nous rapproche d’autres modèles très éloignés de notre culture politique. »

"Cet article 25 n’est pas une solution, au contraire il pose des questions." Sylvie Robert
02:23

Sur les bancs de la gauche sénatoriale, l’inquiétude se transforme en opposition frontale à une mesure témoignant d’une « ambition sécuritaire sans fin » pour Guy Benarroche. Le sénateur écologiste évoque même la « théorie des lobbies pro armes américains » et une « idéologie de la course à l’armement […] dénuées de tout fondement : l’augmentation du port d’arme augmente les violences. » Même son de cloche chez sa collègue du groupe socialiste Sylvie Robert : « Rien ne prouve qu’un policier armé puisse améliorer la sécurité : il faut sortir de cette logique simpliste. […] C’est un choix civilisationnel qui nous rapproche d’autres modèles très éloignés de notre culture politique et publique. Ce dispositif appartient au renforcement de l’illusion sécuritaire. »

Les sénateurs et sénatrices de la gauche contestent donc non seulement l’utilité de la mesure, mais y voient même un danger supplémentaire, comme le rappelle Jérôme Durain, sénateur du groupe socialiste : « Vous sentez-vous plus en sécurité quand vous voyez des gens armés ? Non. » D’autant plus que l’on parle ici de lieux dont certains sont festifs : « Avoir des gens armés dans ces lieux durant leur temps de repos, qui auront parfois consommé de l’alcool, ne rassure personne. »

« Une arme ça tue et ça tue notamment ceux qui l’ont. »

"Une arme ça tue et ça tue notamment ceux qui l’ont." Jérôme Durain
01:46

L’autre crainte pour l’opposition reste les conséquences de cet élargissement du port d’arme hors des heures de service pour les policiers eux-mêmes. « Autoriser les policiers et les gendarmes à avoir toujours leur arme de service n’est pas nécessairement une bonne chose dans leur intérêt à eux », affirme par exemple Jérôme Durain. Et d’ajouter : « Une arme ça tue et ça tue notamment ceux qui l’ont. » Cécile Cukierman, sénatrice communiste s’inquiète aussi : « Qu’en est-il du temps de coupure entre travail et loisir ? » De l’autre côté de l’hémicycle, Laure Darcos ne tient pas un discours si éloigné : « Un policier restera toujours un policier, mais quand il est dans une salle de spectacle c’est aussi pour se détendre et pas forcément avoir son arme de service. »

La sénatrice socialiste Sylvie Robert conclut en rappelant qu’en l’état actuel du droit, « il n’est pas interdit » à un policier ou un gendarme armé en dehors de ses heures de service n’est « d’entrer dans un établissement recevant du public, mais simplement le responsable peut lui opposer un refus. » D’après elle, « il faut faire confiance à ce dialogue. »

« Il ne faut pas croire qu’il y aurait ceux qui défendraient le monde de la culture contre ceux qui sont les tenants d’un armement généralisé. »

Du côté du rapporteur de la commission des Lois et du gouvernement, on défend l’article et sa rédaction telle qu’adoptée par l’Assemblée nationale, et notamment l’encadrement de la disposition par un décret en Conseil d’Etat. « On ne peut pas faire mieux en termes de hiérarchie des normes », rassure ainsi Loïc Hervé, tandis que Gérald Darmanin demande aux sénateurs de « se fier à la plus haute juridiction administrative de notre pays. »

Fidèle à son rôle de rapporteur de la commission des Lois, Loïc Hervé enjoint ses collègues à « revenir au texte » et à « ne pas croire qu’il y aurait ceux qui défendraient le monde de la culture contre ceux qui sont les tenants d’un armement généralisé. » L’argumentaire semble avoir porté puisque les amendements de suppression de la gauche et des centristes sont rejetés et que l’article est finalement adopté sans amendements notables, à 214 voix contre 121.

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