Sortie de l’état d’urgence sanitaire : le Sénat adopte le texte en limitant sa portée

Sortie de l’état d’urgence sanitaire : le Sénat adopte le texte en limitant sa portée

Le Sénat a adopté le texte du gouvernement après l’avoir largement modifié. Le rapporteur LR, Philippe Bas, dénonce une prolongation de l’état d’urgence qui « ne dit pas son nom ». Le gouvernement entend pouvoir continuer de limiter les déplacements, si l’épidémie le justifie. Mais l’exécutif semble prêt à reculer sur la disposition polémique sur les manifestations.
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Adopté mais largement modifié. Le projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire a été adopté par le Sénat, dans la nuit de lundi à mardi 22 juin, mais après avoir été en partie vidé de sa substance. Le principal grief des sénateurs est simple : ce texte a le goût et la couleur de l’état d’urgence, cet état d’exception qui permet de limiter fortement de nombreuses libertés, mais il n’en porte pas le nom.

Olivier Véran défend des outils « indispensables » face à l’épidémie

Le gouvernement défend pour sa part un texte qui lui donne les moyens d’agir, en cas de retour de l’épidémie. Le projet de loi permet au premier ministre d’imposer « la limitation des déplacements et une réglementation » des moyens de transport, « l’encadrement des établissements recevant du public » et « la restriction des rassemblements », y compris les manifestations, a défendu le ministre de la Santé, Olivier Véran. « Le retour du droit commun, c’est la fin de l’exception (…) mais ce n’est pas la fin de la vigilance » fait valoir le ministre, qui ajoute : « Personne ne peut dire que le virus a disparu du pays. Donc personne ne peut dire qu’on peut se passer d’outils (…) qui sont indispensables ».

Cet arsenal n’entrera en vigueur qu’au terme de l’état d’urgence sanitaire, qui prend fin le 10 juillet. Date que le Sénat avait fixée, en réduisant sa durée. Dans son texte d’origine, l’exécutif voulait autoriser ces mesures transitoires jusqu’au 10 novembre. Les députés, qui ont déjà adopté le texte, ont fixé leur fin au 30 octobre. A noter que l’état d’urgence continue en Guyane et à Mayotte, où l’épidémie reste forte.

« Vous aviez repris exactement les pouvoirs de l’état d’urgence »

Lors de la commission, qui a seulement examiné le texte lundi matin, faute de temps, les sénateurs ont limité la portée des mesures. « Nous avons considéré qu’à l’article 1er, vous aviez repris exactement les pouvoirs de l’état d’urgence » a estimé le président LR de la commission des lois, Philippe Bas, rapporteur du texte. Le sénateur de la Manche voit ainsi « une prolongation (de l’état d’urgence) qui ne dit pas son nom ». « Le titre est savoureux, il est même sucré : la sortie de l’état d’urgence » a ironisé Bruno Retailleau, à la tête du groupe LR.

« Toutes les mesures qui étaient recopiées, à la virgule près », de l’état d’urgence, « ont été purement et simplement retirées par la commission des lois. Elle a intégralement réécrit ces propositions » explique Philippe Bas. Et d’ajouter :

Cette maîtrise des contaminations, vous pouvez le faire autrement que par une restriction majeure des libertés publiques.

Le rapporteur défend plutôt « des dispositions proportionnées aux besoins », dans une volonté, souvent défendue par le Sénat, « de préserver les libertés publiques ». Notamment le droit de manifester. Plutôt qu’un régime « d’autorisation préalable » qui encadre la liberté de manifestation, les sénateurs ont préféré revenir au droit commun avec la déclaration préalable (lire notre article). Le préfet pourra toujours décider de l’interdiction.

La majorité sénatoriale de droite et du centre n’a cependant pas totalement vidé de sa substance le texte. Elle a permis « de faire ce qui est encore nécessaire pour les boîtes de nuit », qui resteront fermées au moins jusqu’en septembre, « et pour le port du masque » dans les transports. Philippe Bas a par ailleurs souligné, qu’en cas de retour important de l’épidémie, le gouvernement pourra toujours décider de mesures par décret, autrement dit en se passant du Parlement...

Le Sénat a aussi accepté de prolonger la durée de conservation de certaines données personnelles collectées par les systèmes d’information de santé mis en place pour lutter le virus. Les sénateurs soutiennent les modifications apportées par les députés pour que les données soient anonymisées.

« On fait entrer petit à petit des mesures d’exception dans le droit commun »

Les groupes PS et PCF ont tenté, en vain, de supprimer totalement l’article 1er qui porte ces mesures. « Une sortie d’état d’urgence ne s’aménage pas, ne se décline pas. L’état d’urgence se lève » a estimé Patrick Kanner, président du groupe PS. Il met en garde sur la volonté de « faire entrer petit à petit des mesures d’exception dans le droit commun. Ce n’est pas la première fois qu’on nous fait le coup ». Son collègue Jean-Pierre Sueur a lui dénoncé un « pseudo état d’urgence à géométrie variable et à durée aléatoire ». Les socialistes ont au moins pu faire adopter, durant la séance, un amendement permettant la publication sans délai des avis du Conseil scientifique.

Les communistes dénoncent également le texte du gouvernement, y voyant des mesures « liberticides » pour le droit de manifester. Mais pour la présidente du groupe CRCE (communiste), Eliane Assassi, les modifications adoptées par la commission « ne permettent pas de sortir de l’ambiguïté ». « Vous proposez la réglementation pour les manifestations, (…) or l’excès de réglementation peut masquer une interdiction » selon la sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis. Elle ajoute : « C’est un nouveau régime dérogatoire. C’est un entre-deux inutile ».

Antoine Karam alerte sur « la situation qui se dégrade considérablement » en Guyane

Le sénateur de Guyane, Antoine Karam, membre du groupe LREM, a pris la parole pour alerter sur « la situation qui se dégrade considérablement » dans son département, où l’épidémie de Covid-19 est plus que jamais vivace, avec en quelque temps « 500% d’augmentation ».

« Il faut être en capacité de surmonter la vague » demande le sénateur au ministre, alors que le pic est attendu à la mi-juillet. Olivier Véran a répondu qu’un avion militaire A400M pourrait « participer aux évacuations sanitaires » et que du « matériel, pour augmenter la capacité de tests », était prévu.

L’exécutif semble prêt à reculer sur la disposition polémique sur les manifestations

Globalement, le ministre a défendu la nécessité d’avoir « une base légale » pour agir, comme « pour interdire le rassemblement de 40.000 personnes dans un stade » par exemple, ou pour « limiter la circulation » si toute une commune ou une zone est touchée par le virus. Olivier Véran n’a pas convaincu les sénateurs.

Mais il est à noter que le ministre, ce qu’Olivier Véran a lui-même souligné, n’a pas déposé d’amendement pour revenir à la version du gouvernement concernant les manifestations… L’exécutif semble donc prêt à reculer sur la disposition la plus polémique du texte. De quoi peut-être permettre un rapprochement entre députés et sénateurs, lors de la commission mixte paritaire.

La fermeture des discothèques jusqu’en septembre « absolument pas prise de gaîté de cœur »

Le ministre de la Santé a en revanche défendu la nécessité de pouvoir fermer cet été certains établissements recevant du public, à commencer par les boîtes de nuit. « J’ai entendu une mobilisation cette semaine des responsables de lieux de sortie nocturnes, comme les discothèques, qui aspirent à vivre de leur activité. On sait aussi l’aspiration des Français à danser » a souligné le ministre (voir la vidéo ci-dessous). Samedi 20 juin, les représentants des professionnels du monde de la nuit s’alarmaient en effet dans un communiqué de leur situation. Le lundi 15 juin, le patron du Rex Club, Fabrice Gadeau, affirmait déjà à publicsenat.fr avoir « l’impression » que les clubs sont « les oubliés du déconfinement », expliquant n’être « pas sûr de pouvoir s’en relever ».

La fermeture des boîtes « absolument pas prise de gaîté de cœur », assure Olivier Véran, qui lui-même « aime beaucoup danser ».
02:28

Le ministre a voulu se montrer à l’écoute. Il assure que la fermeture des clubs n’est « absolument pas prise de gaîté de cœur, mais plutôt comme un crève-cœur ». Olivier Véran ajoute :

Ne voyez aucune volonté d’empêcher les gens de danser. Moi-même, j’aime beaucoup, surtout quand vient l’été, aller danser. Mais c’est important. (Olivier Véran)

Le ministre rappelle le cas de la Corée du Sud, où un cluster est né de la réouverture des discothèques, lieux clos avec beaucoup de monde, donc favorables à la propagation du virus. Mais face à la situation économique catastrophique des clubs, Olivier Véran affirme que le gouvernement entend, d’ici la réouverture, « accompagner les gens qui s’occupent des discothèques pour leur permettre de se reconvertir en bar, mettre en place des dispositifs de spectacles et les soutenir financièrement. Il est hors de question de laisser des gens sur le côté du chemin ». Les sénateurs auraient pu lui répondre que toute sortie de l’état d’urgence est, comme en discothèque, définitive.

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