Les trois ans mouvementés de Didier Lallement à la tête de la Préfecture de police de Paris

Les trois ans mouvementés de Didier Lallement à la tête de la Préfecture de police de Paris

La gestion de la finale de la Ligue des Champions n’est qu’une pierre à l’édifice des polémiques qu’a suscitées l’action du préfet de police Lallement. Avec sa gestion de la crise des Gilets Jaunes, du maintien de l’ordre à Paris, ses propos sur les malades en réanimation, et un conflit avec la municipalité, Didier Lallement a souvent eu une action clivante, jusqu’à provoquer son départ ?
Louis Mollier-Sabet

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Après les incidents qui ont eu lieu au Stade de France samedi, c’est surtout la réaction des autorités françaises qui fait polémique. Et en particulier celles de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, et de Didier Lallement, préfet de Police, qui ont incriminé « la fraude massive aux faux billets » des supporters anglais. L’opposition, la presse britannique, et, d’après Mediapart, même les fonctionnaires de la « PP » et de la Place Beauvau, sont loin de partager ce diagnostic. Adrien Quatennens incriminait mardi matin sur notre antenne « la responsabilité du duo Didier Lallement et Gérald Darmanin » : « Nous disons depuis longtemps que Monsieur Lallement n’est plus à la hauteur. C‘est bien la chaîne de commandement, la doctrine d’utilisation des forces de l’ordre qui est en cause. » Effectivement, nommé à la tête de la préfecture de police de Paris le 21 mars 2019 pour remplacer Michel Delpuech, jugé dépassé par les manifestations des Gilets Jaunes et éclaboussé par l’affaire Benalla, Didier Lallement est loin de faire l’unanimité. Finalement, il a en quelque sorte été nommé pour ça par un exécutif qui voulait afficher sa fermeté, après les débordements lors des manifestations de Gilets Jaunes lors des samedis de l’hiver 2018-2019. Retour sur les trois années de Didier Lallement à la tête de la Préfecture de police de Paris, émaillées par les polémiques.

  • Nommé pour envoyer un signal de « fermeté » aux Gilets Jaunes, sa gestion de la crise est controversée

La gestion de la crise des Gilets Jaunes fut d’ailleurs son premier dossier chaud, et restera son péché originel pour les plus critiques à l’égard de son action. Deux semaines après sa nomination déjà, Didier Lallement était auditionné au Sénat, et interrogé par Marie-Pierre de la Gontrie, sénatrice socialiste de Paris, sur la création de la « Brigade de répression contre les actions violentes » (BRAV), motorisée. « Optiquement ces brigades ressemblent aux voltigeurs mis en cause dans la mort de Malik Oussekine et dissoutes en 1986 », avait-elle remarqué.

Didier Lallement: « Il n’est pas question que les militaires fassent du maintien de l’ordre »
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Réponse peu orthodoxe du préfet de police, qui invite la sénatrice socialiste à un tour de moto : « Les voltigeurs étaient sur des engins légers, des 125 cm3, parce que c’est extrêmement maniable. Nous, on transporte des gars sur des équipages qui font 200 kgs, des engins de 900 cm3. Vous n’allez pas zigzaguer entre les manifestants à 40 à l’heure. […] Techniquement ça me semble impossible. Si vous arrivez à tenir une matraque sur des engins comme ça… Venez, Mme la sénatrice. Je vais vous montrer ça à Vincennes. Vous verrez comment ça marche. »

Didier Lallement peut donc adopter un ton transgressif, ce qui lui a coûté une « maladresse » – selon ses propres mots – quelques mois après ces auditions, en novembre 2019 pour le premier anniversaire des Gilets Jaunes. Le préfet de police répond à une dame portant le fameux gilet jaune, après des heurts entre manifestants et forces de l’ordre : « Nous ne sommes pas dans le même camp, Madame. »

  • Une rupture dans le maintien de l’ordre à Paris ?

Au-delà des petites phrases, plusieurs dossiers viennent émailler l’action de Didier Lallement sur le fond. L’usage des lanceurs de balle de défense (LBD), dont il défend l’utilité au Sénat, en expliquant qu’ils « visent à maintenir à distance et à éviter le corps-à-corps, voire à éviter l’usage des armes de service », fait débat après 30 éborgnements, d’après le décompte du journaliste David Dufresne. Mediapart révèle aussi en mars 2020 des notes internes de la gendarmerie nationale, qui jugent la technique de la nasse et la volonté « d’impacter » les manifestant « légalement douteuses […] et contraires à la réglementation, ainsi qu’à la législation en vigueur. »

Le même mois, lors d’une marche féministe pour la journée des droits des femmes, des manifestantes étaient violemment interpellées, de quoi faire réagir au sein même du gouvernement. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur de l’époque, avait ainsi demandé un rapport à la Préfecture de police, et Marlène Schiappa, alors secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes, avait tweeté : « Toutes les femmes doivent pouvoir manifester pacifiquement pour faire respecter leurs droits ! » Même à droite, le sénateur LR Philippe Dominati s’était « interrogé » auprès de Public Sénat sur la doctrine de maintien de l’ordre, « ignorante des élus et des citoyens parisiens. »

Rebelote le 1er mai 2021. Après avoir évité, en 2020 avec le confinement, ce moment traditionnel de tension depuis les incidents boulevard de l’Hôpital au 1er mai 2018, la gestion de la journée internationale des travailleurs par le préfet Lallement avait été remise en cause par Philippe Martinez sur Public Sénat. D’après lui, une partie du cortège de la CGT avait été ciblée par des milices d’extrême-droite à cause du « blocage » de la place de la Nation par les forces de l’ordre.

  • Polémique sur les malades en réanimation au début du confinement

Après les Gilets Jaunes, le préfet Lallement se retrouve confronté, comme le reste de l’exécutif, à la deuxième grande crise du premier quinquennat d’Emmanuel Macron : la pandémie de covid. Deux semaines après l’annonce du confinement par le Président de la République, Didier Lallement créée la polémique en déclarant le 3 avril que « ceux qui sont aujourd’hui hospitalisés, ceux qu’on trouve dans les réanimations, ce sont ceux qui, au début du confinement, ne l’ont pas respecté, c’est très simple, il y a une corrélation très simple. » À ce moment-là, personne ne connaît précisément les modes de transmission du virus et le pays est suspendu à l’état des services de réanimation en voie de saturation. La préfecture de police de Paris publie donc quelques heures plus tard un communiqué d’excuse : « [Didier Lallement] regrette les propos qu’il a tenus ce matin […] et tient à les rectifier. » Celui-ci s’exécute dans l’après-midi, face caméra : « Sur le fond, cela est faux mais au-delà de l’inexactitude, c’est une erreur et je la regrette à plusieurs titres », a-t-il déclaré en présentant de nouveau « ses excuses. »

  • Privé de drone par le Conseil d’Etat

Fin octobre 2020, la Quadrature du net, association de défense des libertés publiques, saisissait le Conseil d’Etat à propos de l’usage « systématique » par la préfecture de police de Paris de drones pour surveiller des manifestations sur la voie publique à Paris. Un usage censuré par le Conseil d’Etat le 22 décembre 2020, qui avait rappelé Didier Lallement à l’ordre : « [Le préfet de police] doit cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone des rassemblements de personnes sur la voie publique. »

La plus haute juridiction administrative du pays avait ainsi privé Didier Lallement de l’usage de drones, en renvoyant la mesure au débat législatif en cours à ce moment-là sur la loi « Sécurité globale. » Le régime d’utilisation des drones par les forces de l’ordre avait été largement remanié par le Sénat pour l’encadrer, mais cela n’avait pas suffi au Conseil Constitutionnel, qui avait finalement censuré l’article 47 (ex-article 22). Le gouvernement a finalement revu sa copie et a réussi à codifier l’utilisation de drone par les forces de l’ordre dans la loi « responsabilité pénale et sécurité intérieure » du 24 janvier 2022.

  • Accusé de faux témoignage devant la commission d’enquête lancée par Ugo Bernalicis (LFI)

Auditionné dans le cadre de la commission d’enquête sur « les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire » lancée par LFI à l’Assemblée nationale, Didier Lallement avait été mis en cause pour « faux témoignage » et « parjure », avec quatre autres magistrats et hauts fonctionnaires. Le préfet de police de Paris avait déclaré ne pas avoir « trouvé les organisateurs » de manifestations de policiers non autorisées en juin. Le parquet de Nanterre avait décidé le 31 mars 2021 « de classer la procédure », en concluant à « une absence d’infraction. »

  • En conflit avec la mairie de Paris sur la « colline du crack » et les politiques de circulation

Depuis sa nomination en mars 2019, Didier Lallement fait figure d’opposition à la majorité municipale d’Anne Hidalgo, notamment sur la politique de l’édile parisien sur la circulation de voitures. Le préfet de police de Paris peut d’ailleurs siéger au Conseil de Paris, l’assemblée de la municipalité, et Le Parisien relate un échange tendu lors de la séance du 9 février 2022. Les municipalités de Paris, Aubervilliers, et Pantin ainsi que le département de Seine-Saint-Denis venaient de saisir le Conseil d’Etat à propos de ce qu’ils jugent être « l’inaction de l’Etat », qui a installé les consommateurs de crack porte de la Villette depuis l’automne 2021. « Comment peut-on contracter avec l’Etat dans le cadre du plan crack, et en même temps l’attaquer ? » s’était étonné le préfet Lallement. Le conflit larvé entre la mairie et la préfecture de police, dont le rôle est structurant dans la gestion quotidienne de la capitale, est aussi une ombre au tableau du bilan du préfet Lallement.

  • Didier Lallement sur le départ ?

Et l’heure du bilan approche pour le préfet nommé en mars 2019. Déjà parce qu’historiquement, les préfets restent rarement en poste plus deux ou trois ans. Dans la tradition républicaine et centralisatrice, le but est qu’ils ne nouent pas de liens trop forts avec le personnel politique local et qu'ils constituent ainsi des contrepouvoirs régionaux ou départementaux trop importants. Toutefois, aucune règle écrite n’existe, et la durée de fonction des préfets semble même, sur le temps long, diminuer. La Cour des comptes avait ainsi épinglé en 2014 des nominations de préfets de plus en plus fréquentes, avec une durée moyenne de fonction de 24,3 mois en 2013, pour 30 mois en 2006.

La préfecture de police de Paris a un statut un peu spécial, même au sein du corps préfectoral, mais avec plus de 39 mois en poste, Didier Lallement dépasse déjà largement la durée de vie moyenne d’un préfet de police. Des sources policières ont confié à l’AFP qu’il aurait d’ailleurs aimé retourner à la Cour des Comptes à l’été prochain. Pour le moment, Gérald Darmanin a réitéré sa confiance dans le préfet de police de Paris en reprenant les chiffres de son rapport sur les incidents du Stade de France et en saluant des décisions « qui ont sauvé des vies. » Mais pour l’opposition, Didier Lallement est devenu un véritable totem, symbole d’un quinquennat difficile sur le plan du maintien de l’ordre. À tel point que Jean-Luc Mélenchon a fait de son départ une promesse de campagne : « Dans trois semaines, si je suis élu, Darmanin et le préfet Lallement s’en vont. »

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