Meurtre de Lola : y a-t-il vraiment une baisse des obligations de quitter le territoire français ?

Meurtre de Lola : y a-t-il vraiment une baisse des obligations de quitter le territoire français ?

C’est l’argument massue de la droite et de l’extrême droite. La petite Lola serait encore vivante, si l’Etat avait fait exécuter l’obligation de quitter le territoire (OQTF) dont fait l’objet la meurtrière présumée. Le procès en « laxisme migratoire » fait au gouvernement est-il justifié ? Eloignements forcés, aidés ou spontanés… On fait le point sur les chiffres et les cas de figure.
Simon Barbarit

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« Le désordre migratoire peut tuer. Si cette Algérienne n’avait pas été sur le territoire français. Lola serait encore en vie ». Voilà comment Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat et candidat à la présidence de son parti, a interpellé la Première ministre, Élisabeth Borne aux questions d’actualité au gouvernement.

La meurtrière présumée, Dahbia B était entrée légalement en France en 2016 avec un titre de séjour étudiant, aujourd’hui périmé. Elle faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) depuis août dernier.

Qu’est-ce qu’une OQTF ?

C’est une mesure administrative prise par un préfet à l’encontre d’un étranger entré irrégulièrement sur le territoire, ou s’étant vu refuser la délivrance d’un titre de séjour. L’obligation de quitter la France se fait dans un délai de 30 jours et par les propres moyens du ressortissant étranger. Plusieurs motifs légaux s’opposent à l’exécution des OQTF. Par exemple, elles ne s’appliquent pas aux mineurs, aux personnes séjournant en France depuis plus de 20 ans, aux personnes mariées avec un ressortissant français depuis au moins trois ans, aux parents d’enfant français mineur résidant en France, aux personnes dont l’état de santé nécessite des soins en France, auxquels ils ne pourraient pas bénéficier dans le pays de renvoi.

La mesure phare du prochain projet de loi immigration, dévoilée par Gérald Darmanin, visera à prononcer une OQTF dès le rejet d’une demande d’asile en première instance, sans attendre un éventuel recours. L’avant-projet de loi dont l’examen est prévu au début de l’année 2023 veut aussi permettre de ramener à quinze jours le délai pendant lequel un étranger peut quitter lui-même le territoire.

Le nombre d’exécution des OQTF a-t-il baissé sous les mandats d’Emmanuel Macron ?

Mercredi, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement a reconnu que l’exécutif devait « faire mieux » en matière d’exécution des OQTF.

Pour comprendre, il faut se référer aux chiffres publiés par la Direction Centrale de la Police Aux Frontières (DCPAF) mis en lumière dans le récent rapport d’une mission d’information du Sénat intitulé : « Services de l’État et immigration : retrouver sens et efficacité ». Ces dernières années, le nombre d’OQTF prononcées et exécutées ne cesse de croitre. 59 998 pour 10 016 exécutées en 2011 (16,7 %). 122 839 pour 15 013 exécutés en 2019 (12,2 %). Sur 8 ans, le pourcentage est moindre mais le volume est plus important.

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C’est d’ailleurs ce que notent les sénateurs en pointant « un effet ciseau » dans la politique d’éloignement française. « Le nombre de mesures prononcées augmente continuellement sans que le volume d’exécution ne suive ».

Mais ces deux dernières années, on relève en volume une tendance baissière. Sur l’ensemble de l’année 2021, les services de la police aux frontières ont procédé à 10 091 retours forcés, un peu plus qu’en 2020 (9 111) mais loin du niveau atteint en 2019.

Le chiffre brandi par les oppositions de droite pour illustrer ce qu’elles estiment être une défaillance de l’Etat correspond au premier semestre 2021 mis en évidence dans le tableau de la DCPAF. Le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire avait alors atteint un niveau historiquement bas : 5,7 %, 3 501 OQTF exécutés sur 61 781 prononcés.

Mercredi, Olivier Véran a indiqué que le niveau d’exécution des OQTF était revenu au « niveau maximal connu du temps du quinquennat du président Sarkozy ». Sur les trois premiers trimestres 2022, 3 596 éloignements forcés ont eu lieu vers des pays non-Européens. A titre de comparaison, sur l’ensemble de l’année 2009, on dénombrait 8 253 retours forcés vers des pays non-Européens.

Pourquoi le taux d’exécution des OQTF a-t-il baissé en 2020 et 2021 ?

Plusieurs raisons expliquant cette baisse, figurent dans le rapport du Sénat. Il y fait mention du refus de certains Etats, notamment au Maghreb, de délivrer les laissez-passer consulaires indispensables pour les retours contraints, de décisions judiciaires défavorables à l’exécution des OQTF et la saturation du dispositif de rétention administrative. En cas de menace pour l’ordre public, un étranger en situation irrégulière, ou sortant de prison, peut être placé en centre de rétention administrative en vue d’une mesure d’éloignement forcée. Ce n’était pas le cas de la principale suspecte du meurtre de Lola qui n’était pas connue des services de police.

La condition du test PCR négatif

La crise sanitaire a fortement impacté les années 2020 et 2021 et logiquement la politique migratoire. Les Etats ont conditionné le retour de leurs ressortissants à la présentation d’un test PCR négatif. « Le refus de test est désormais la première cause de soustraction à l’éloignement (82 %) », note le rapport. La condition du test PCR négatif a été levée par l’Algérie il y a quelques semaines.

Même en prenant uniquement en compte les chiffres de 2020 et 2021, ils ne justifient pas, a priori, les accusations de « laisser aller migratoire ». Les sénateurs soulignent, en effet, que la France réalise, malgré tout, plus de retours contraints en volume que les autres pays européens. « Il est égal à celui de la Grèce, de l’Espagne et de l’Italie réunies, qui sont pourtant confrontées à une pression migratoire au moins comparable », note le rapport.

Qu’est-ce qu’un retour aidé ?

Les OQTF et les interdictions de territoire Français (ITF) figurent dans la colonne des « retours forcés ou contraints. Mais il existe aussi d’autre mesure d’éloignement dans les statistiques de la Direction Centrale de la Police Aux Frontières

Les retours volontaires s’effectuent sans contrainte, comme leur nom l’indique, et grâce à une aide au retour. Cette aide ne peut être accordée qu’une seule fois si l’étranger en situation irrégulière réside depuis au moins 6 mois sur le territoire français. A noter que cette aide au retour peut être obtenue même si une OQTF a été prononcée à l’encontre du ressortissant étranger.

Le nombre de retours volontaires a progressivement descendu entre 2009 (3 540) et 2021 (1 321), ressortissants de l’UE et hors UE confondu, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Néanmoins, à la différence des OQTF, les retours aidés n’ont été que très peu affectés par la crise sanitaire de 2020.

La somme allouée par bénéficiaire a en revanche augmenté : 1 301 euros en moyenne en 2017 contre 2 380 en 2021. Pour rendre le dispositif plus efficace, la mission d’information du Sénat préconisait « de moduler le montant de l’allocation forfaitaire en fonction du coût de la vie dans chaque pays ».

Qu’est-ce qu’un retour spontané ?

Enfin, un troisième type de départ rentre dans les tableaux du ministère de l’Intérieur, il s’agit des retours spontanés. Ils sont effectués sans contrainte et sans aide, après une mesure d’éloignement. La comptabilisation est donc partielle car les étrangers en situation irrégulière peuvent aussi décider de quitter le territoire sans avoir fait l’objet d’une mesure d’éloignement. La crise du Covid a logiquement eu un impact sur leur nombre. Relativement stables entre 2016 (2 687 départs spontanés) et 2019 (2 088), ils plongent en 2020 avec 1 615 départs.

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