Prix du carburant : flambée des prix ou fièvre politique ?

Prix du carburant : flambée des prix ou fièvre politique ?

Alors que les prix de l’électricité ou du gaz naturel explosent, ce sont les prix du carburant qui font la une. Ceux-ci ont connu une forte hausse ces derniers mois, mais sont en fait simplement revenus à leur niveau de 2019. Cette attention médiatique, qui pourrait donc paraître disproportionnée, s’explique en fait par des enjeux politiques profonds soulevés par la crise des Gilets Jaunes.
Louis Mollier-Sabet

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La rentrée 2021 se fait sous le signe d’une flambée des prix et du prix des produits alimentaires, d’abord, avec les mauvaises récoltes du printemps 2021. Jean Castex disait mercredi dernier au Sénat que le gouvernement « surveillait avec attention », cette augmentation des prix des produits de première nécessité, tout comme celle des prix de l’énergie, avec une envolée des tarifs de l’électricité et du gaz. Pourtant aujourd’hui, c’est le prix des carburants qui fait les gros titres : Ouest-France se demande « pourquoi une telle hausse », Le Point craint une « flambée des prix des carburants », Le Parisien et le Progrès proposent même des cartes interactives pour trouver les stations-services les moins chères autour de chez vous.

Et pour cause, après une hausse importante cet été, le prix à la pompe a pris 20 % par rapport au mois de septembre 2020 alors que le baril tourne actuellement autour de 70 dollars. Pourtant Philippe Chalmin, économiste spécialiste des matières premières et membre du Conseil d’analyse économique (CAE) rappelle qu’à plus long terme, les prix du pétrole sont beaucoup plus bas aujourd’hui qu’il y a 10 ans : « En 2008 on est à 147 dollars le baril, puis on reste entre 110 et 130 dollars le baril. Ensuite, on a un quasi contre-choc et on tombe à 40 dollars. Cela remonte finalement en 2018 avec les tensions dans le Golfe pour se stabiliser à 60-70 dollars. » Alors comment expliquer la fièvre actuelle autour des prix des carburants, qui aurait contaminé jusqu’à Matignon ?

« L’essence n’est pas plus chère qu’il y a deux ans »

En fait, comme le rappelle Philippe Chalmin, « le prix de l’essence a augmenté, c’est vrai. Par rapport à l’année dernière c’est évident, mais nous sommes simplement revenus aux prix d’avant la pandémie. » L’économiste rappelle que la pandémie de Covid-19 a entraîné une contraction telle du marché mondial que le baril est tombé à un niveau historiquement bas, autour de 16 dollars fin avril 2020. Mais cette baisse était, au sens propre, exceptionnelle : « Les décisions prises par les membres de l’OPEP et la Russie de réduire la production ont rééquilibré le marché et on se retrouve aujourd’hui un petit peu au-dessus de 70 dollars le baril. » En bref, si le prix des carburants a bien augmenté sur la dernière année, « l’essence n’est pas plus chère qu’il y a 2 ans. »

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Prix du baril de Brent de 2013 à mai 2021 (https://prixdubaril.com/comprendre-petrole-cours-industrie/69762-cours-petrole-mai-2021.html)

Philippe Chalmin va plus loin et se veut rassurant : « Le prix de l’essence peut encore augmenter à court terme à cause de la tempête américaine. Mais mon analyse, qui vaut ce qu’elle vaut, c’est qu’à moins qu’il y ait vraiment des rebonds sanitaires ou géopolitiques majeurs, on devrait s’orienter en fin d’année vers une petite baisse du prix du pétrole. » L’économiste du CAE est même presque agacé de l’attention médiatique sur les prix du carburant, alors que celui-ci ne fait que rattraper son niveau d’avant-pandémie : « Cela fait un mois que je raconte la même chose aux journalistes sur le prix du pétrole. On en parle beaucoup mais il faudrait parler du gaz naturel. Un marché sur lequel les tensions sont beaucoup plus fortes et où les prix vont augmenter, ou bien, même si ça ne nous concerne pas, du prix du charbon en Asie. »

Le spectre des Gilets Jaunes

Mais alors, comment expliquer l’attention politique et médiatique actuelle sur les prix du carburant ? Déjà, l’augmentation du prix à la pompe a un coût psychologique certain que n’a pas l’augmentation de la facture de gaz ou d’électricité : « Nos concitoyens ont une sensibilité directe à la pompe où vous sentez l’augmentation du prix. C’est parfois difficile de se souvenir qu’il y a 2 ans, c’était aussi cher » explique ainsi Philippe Chalmin.

Mais c’est surtout qu’en France, depuis l’automne 2018, on ne peut parler des prix du carburant sans penser aux Gilets Jaunes : le cours du pétrole est devenu une donnée hautement politique. Le Sénat l’avait senti venir, en alertant sans succès le gouvernement dès 2017 lors de l’examen d’un budget 2018 qui préovyait une augmentation des taxes sur les carburants. Jean-François Husson, aujourd’hui rapporteur général du budget, avait fait partie de ceux qui avaient alerté le gouvernement face à la hausse des prix du carburant.

Aujourd’hui, le sénateur LR de Meurthe-et-Moselle « ne pense pas que l’on soit à la veille d’une explosion sociale. » Même s’« il faut toujours être très attentif » et que l’augmentation des prix du carburant « pourrait amener une forme de difficulté ou de fébrilité dans l’opinion », la première différence est que les mesures politiques qui ont déclenché le mouvement des Gilets Jaunes « ont été interrompues », avec le gel de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) notamment.

« Une tendance longue à l’augmentation des prix du carburant »

Philippe Chalmin le confirme, si le prix de l’essence est composé « pour 2/3 d’impôts et de taxes et pour 1/3 du prix du pétrole », c’est bien le cours du pétrole qui produit les hausses actuelles, la fiscalité étant stable depuis ce fameux hiver 2018-2019. Jean-François Husson rappelle tout de même, que si le signal politique n’est pas le même, cette augmentation est quand même « un coût supplémentaire pour les automobilistes, qui s’inscrit dans une envolée des coûts de l’énergie, notamment le gaz et l’électricité. »

Le rapporteur général du budget ne semble pas très optimiste sur l’évolution de la situation : « On arrive dans une période qui risque d’être marquée par une tendance longue à l’augmentation des prix du carburant, cela va devenir un problème structurel. » D’autant plus que « le verdissement du parc automobile ne va pas se faire du jour au lendemain » et qu’en attendant, la voiture est associée « à une forme de liberté de déplacement qui fait partie des attentes d’une partie de l’opinion. »

La question n’est donc pas tant la hausse de cet été, qui est plutôt un rattrapage, qu’une menace de long terme sur le modèle de mobilité français. C’est en tout cas ce qu’explique Jean-François Husson : « Tout le monde va essayer de consommer moins, en changeant de modèle. On n’échappera à une réflexion générale sur nos modalités de déplacement. »

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