Projet de loi antiterroriste : vers un contrôle a minima du juge judiciaire ?

Projet de loi antiterroriste : vers un contrôle a minima du juge judiciaire ?

Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb entend concilier sécurité et protection des libertés individuelles dans la future loi antiterroriste. Toutefois, le texte qui transpose certaines mesures de l’état d’urgence dans le droit commun, n’introduit, qu’à la marge, le contrôle du juge judiciaire.
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Concilier « sécurité optimale » et libertés publiques, tel est l’objectif mis en avant par le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, interviewé dans le Figaro, quelques heures avant la présentation de son texte en Conseil des ministres.

En effet, le 8 juin dernier, lorsque le journal Le Monde publie l’avant-projet de loi « renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure », une véritable levée de boucliers des associations de défense des libertés et des magistrats s’en suit. Le texte est alors considéré comme faisant rentrer, presque dans sa totalité, le régime d’exception de l’état d’urgence dans notre droit commun.

Assignation à résidence, fermeture des lieux de cultes, création de zones de sécurité, perquisitions administratives… Autant de mesures qui, sous l’état d’urgence, relèvent  des prérogatives du ministère de l’Intérieur, et qui rentreraient désormais dans le droit commun. Problème. Qui pour contrôler ces opérations ? Le juge  martèle le Premier ministre, Édouard Philippe, le 9 juin, soit le lendemain de la publication de l'avant-projet de loi. Mais il oublie néanmoins d’en préciser lequel. On comprend alors, que, comme sous l’état d’urgence, il s’agit du contrôle a posteriori du juge administratif. Or, comme le relève le Syndicat des avocats de France dans un communiqué, le même jour : « L’expérience  démontre que le juge administratif n’assume pas pleinement son rôle de contrôle de ces mesures en acceptant, sans débat contradictoire digne de ce nom, de valider  des mesures prises dans des dossiers lacunaires, construits à charge par les seuls services de renseignement et sans utiliser ses pleins pouvoirs d’instruction ».

Le délicat équilibre entre sécurité et liberté individuelle

Depuis, l’exécutif assure avoir pris la mesure de ces inquiétudes. Invité de TF1,  mercredi soir, le Premier ministre a  indiqué que « le  texte (…) essaie de garantir l'équilibre entre des instruments qui doivent préserver la sécurité des Français contre le terrorisme, et exclusivement contre le terrorisme, et sous le contrôle du juge, le juge administratif (…) et le juge judiciaire parfois, et le respect des libertés ».

Dans le Figaro, Gérard Collomb évoque  « quatre mesures phares » de son projet de loi. Le contrôle du juge judiciaire ne fait son apparition que dans une seule : les perquisitions administratives, « qui seront systématiquement soumises à l’autorisation préalable d’un juge judiciaire : le juge des libertés et de la détention de Paris » précise le ministre de l’Intérieur. Il ajoute que  ce même juge contrôlera « l’autorisation d’exploitation des documents saisis ».

Perquisitions : « l’alibi » du juge judiciaire 

Pour Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, le juge judiciaire fera figure ici « d’alibi ». « Il n’aura pas les moyens de faire un véritable contrôle car il sera soumis aux seules informations que lui fourniront les services de renseignement et la préfecture. Le fait que cette perquisition ne soit pas liée à une infraction pénale pose des questions sur la base légale du texte » estime-t-elle. Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, ce jeudi, un collectif d’avocats déplore carrément « une atteinte à l’État de droit ». « Nul besoin de grands discours pour comprendre qu’au quotidien l’impératif de sécurité est dévoyé et que nos libertés sont sacrifiées sur l’autel de ce dévoiement » déplorent-ils avant de rappeler quelques chiffres. « Depuis le 22 juillet 2016 – selon les chiffres de suivi du Parlement – 590 perquisitions ont été ordonnées, 65 ont eu des suites judiciaires dont 25 pour des infractions à caractère terroriste ».
 

« Assignations individuelles » au lieu d’assignation à résidence

En ce qui concerne, les trois autres « mesures phares » dont la finalité est de sortir du régime d’état d’urgence tout en protégeant les libertés individuelles, il s’agit de l’instauration, par les préfets, de zone de protection dans des lieux soumis à des risques d’actes de terrorisme. La préfecture pourra aussi décider de fermer des lieux de cultes si « les propos qui y sont tenus incitent à la commission d’actes de terrorisme ». Enfin, les assignations à résidence qu’il faut désormais appeler « assignations individuelles », c’est-à-dire « l’obligation de ne pas se déplacer à l’extérieur d’un périmètre géographique permettant le maintien d’une vie familiale et professionnelle », seront prises par le ministre de l’Intérieur après en avoir informé le parquet. Les assignations seront limitées à trois mois, renouvelables si l'autorité administrative est en mesure d'apporter de nouveaux éléments. Ces trois mesures feront donc simplement l’objet de contrôle a posteriori du juge administratif.

Le projet de loi prévoit également la transposition dans la loi française de la directive européenne sur le dispositif Passenger Name record, (informations sur tous les passagers aériens).

Il précise également le cadre juridique pour procéder à des écoutes hertziennes que le Conseil Constitutionnel avait censuré en octobre 2016.

Enfin, la future loi entend élargir les périmètres dans lesquels les forces de l'ordre peuvent procéder aux contrôles aux frontières et aux gares ouvertes au trafic international comme allonger de 6 à 12 heures la période durant laquelle ils peuvent les réaliser.

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