Ukraine : les sénateurs saluent l’appel à la négociation d’Emmanuel Macron, mais ne se font pas d’illusion

Ukraine : les sénateurs saluent l’appel à la négociation d’Emmanuel Macron, mais ne se font pas d’illusion

Alors qu’Emmanuel Macron est revenu sur la situation internationale, et notamment la guerre en Ukraine, hier soir sur France 2, les sénateurs saluent l’appel à la négociation du chef de l’Etat, mais ne se font pas d’illusion : ce n’est pas encore le moment. Le conflit ukrainien a aussi des répercussions sur d’autres territoires, comme l’Arménie, sur laquelle le Sénat votera bientôt une résolution pour mettre la pression sur le gouvernement.
Louis Mollier-Sabet

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Le chef de l’Etat est revenu ce mercredi soir sur la situation internationale lors d’un entretien accordé à France 2. Tout en réitérant le soutien de la France à l’Ukraine face à l’invasion russe, Emmanuel Macron a remis les négociations sur la table : « À un moment donné ce sera de l’intérêt de l’Ukraine et de la Russie de négocier. Ce n’est pas à nous de décider pour l’Ukraine, nous ne l’aurions pas accepté de nos alliés. » Le Président de la République laisse bien sûr l’initiative d’éventuelles négociations aux belligérants. « Il faut être deux pour danser un tango », explique Christian Cambon, le président de la commission des Affaires étrangères au Sénat. « Le Président de la République est tout à fait dans son rôle en parlant de négociations parce qu’on sait très bien qu’au final il faudra bien s’asseoir autour d’une table. Et puis, le Président de la République ne peut pas tenir un langage de va-t-en-guerre, nous ne sommes pas les belligérants dans cette histoire. C’est à l’Ukraine de décider. Mais Emmanuel Macron a raison de faire une offre de disponibilité en disant que si on a besoin de la France, on peut garantir un accord », ajoute le sénateur LR.

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D’après lui, si la position du chef de l’Etat est « totalement compréhensible », les négociations ne sont pour autant pas encore à l’ordre du jour : « Ce n’est même pas la peine de parler de négociations pour le moment, l’Ukraine reprend la main depuis plusieurs semaines, et attend surtout un soutien militaire. L’Ukraine, mais aussi la Pologne et les pays baltes veulent une victoire militaire avant d’aller s’asseoir à la table. » Une analyse que partage Alain Richard, sénateur de la majorité présidentielle : « La négociation ne sera souhaitable et nécessaire quand l’agresseur aura pris conscience que sa campagne n’aboutira pas et qu’il est perdant. » Le sénateur RDPI / LREM, ancien ministre de la Défense, y voit aussi une sorte de signal envoyé par le Président « à certains alliés de l’Ukraine », « qui veulent que le conflit continue pour que la perte de ressources et d’autorité politique de la Russie soit plus profonde. » Mais lui aussi estime que le temps de la négociation n’est pas encore venu : « Nous n’y sommes pas. Le propos du Président est un propos d’attente. Les négociations auront lieu quand le rapport de force se sera suffisamment durci en défaveur de la Russie pour que Poutine ait objectivement intérêt à ouvrir la négociation. Après, cela suppose une certaine rationalité de Poutine pour qu’il n’en fasse pas une croisade personnelle, alors qu’on sait très bien qu’il n’y a pas beaucoup de contrepouvoirs en Russie… »

Livraisons d’armes : « La France ne peut ignorer la nécessité de garder des capacités de sécurité pour elle-même »

Pour atteindre cette sorte de point de rupture dans le rapport de force entre l’Ukraine et la Russie, la France et les Occidentaux sont depuis le début du conflit dans une logique de soutien militaire à l’Ukraine, notamment avec des livraisons d’armes. Emmanuel Macron a d’ailleurs annoncé la livraison de six canons « Caesar » supplémentaires à l’Ukraine, ainsi que des radars et des batteries de missiles antiaériens. Un effort militaire et industriel qui peut interroger au moment où la France souffre d’un déficit d’armement conventionnel. « Nous avons une armée complète et compétente, mais nous avons un problème d’épaisseur de nos forces armées », admet Christian Cambon. « Ceci posé, il faut absolument aider l’Ukraine, il faut qu’elle prenne le dessus parce que c’est elle qui a été attaquée et agressée. Ensuite il faut regarder dans le détail pour transférer certaines choses que l’on a déployées en Roumanie, par exemple. » En l’occurrence, la France semble avoir trouvé un autre moyen de renforcer l’Ukraine sans mettre en danger sa propre défense, explique Alain Richard : « La France ne peut ignorer la nécessité de garder des capacités de sécurité pour elle-même. On joue sur des livraisons que l’on avait promises à des clients [les Danois], à qui ont dit que, s’ils acceptent, on reporte la livraison de quelques mois et ce qui était destiné à aller chez eux va en Ukraine parce que c’est là-bas que c’est le plus urgent. »

C’est précisément cette escalade qui inquiète Pierre Laurent, sénateur communiste de la commission des Affaires étrangères, qui salue la position du Président sur les négociations, mais craint une escalade : « Je crois qu’Emmanuel Macron a raison de reparler de nécessaires négociations de paix. Nous sommes dans une escalade très inquiétante. On s’installe dans une guerre qui va durer et dont les effets vont être de plus en plus terribles, notamment pour le peuple Ukrainien, avec le bombardement des infrastructures d’électricité alors que nous entrons dans l’hiver. » Pierre Laurent déplore tout de même un manque « d’initiatives concrètes de mobilisation de la communauté internationale », par des organes comme les Nations Unies ou l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). « Si nous laissons la guerre s’amplifier et perdurer », ajoute le sénateur communiste, « les risques sont terribles pour les deux peuples et singulièrement pour l’Ukraine, mais aussi pour la sécurité internationale, parce que l’escalade peut s’embraser à tout moment. Sans parler de la menace nucléaire agitée de manière très irresponsable dans les discours russes et américains. » D’après lui, s’il faut « tenir compte que dans cette situation, c’est l’Ukraine qui défend son territoire », « les livraisons d’armes massives participent de cette escalade », d’autant plus que « la France est à la limite haute de ses capacités de mobilisation militaire dans ce conflit. »

Arménie : « C’est notre rôle que d’influencer le gouvernement »

Le chef de l’Etat est par ailleurs revenu sur d’autres théâtres de tension internationale, et notamment sur les affrontements meurtriers qui ont éclaté à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan le mois dernier. Emmanuel Macron a ainsi réaffirmé que la France « ne lâcher [ait] » pas l’Arménie, et a même mis en cause la Russie, qui aurait « joué le jeu » de l’Azerbaïdjan avec une « complicité turque. » Une situation explosive qui « suscite beaucoup d’inquiétudes », analyse le président la commission des Affaires étrangères au Sénat, notamment depuis « que les Russes ont prélevé leurs effectifs de la région. » Après l’éclatement de conflit, le Sénat avait déposé, dans la foulée, une résolution transpartisane qui exige le retrait des troupes azerbaïdjanaises et la fin de la « politique anti-arménienne » menée par Bakou, après avoir voté il y a deux ans, une résolution pour la reconnaissance du Haut-Karabagh. « Notre souci est de préserver à tout prix l’unité de l’Arménie contre les vues de son voisin. Il faut que là aussi la France soit force de dialogue pour être aux côtés de nos amis Arméniens. Et c’est notre rôle que d’influencer le gouvernement par un vote de résolutions le plus large possible », explique Christian Cambon.

Pierre Laurent dénonce, lui, une position « ambiguë » de la France par rapport à l’Arménie. « Contrairement à ce qu’a dit le Président hier, il y a des contrats gaziers de pays européens avec l’Azerbaïdjan, alors que le gaz que nous leur achetons est en partie du gaz russe », avance le sénateur communiste, qui ajoute : « La Turquie est complice de l’offensive azérie, or nous entretenons dans l’OTAN des rapports complices avec la Turquie. Il faut lever ces ambiguïtés et apporter un soutien clair à la défense de l’Arménie, qui est un peuple avec lequel nous avons des relations historiques profondes. » Un diagnostic que ne partage pas Alain Richard, tout en reconnaissant « l’agression » azérie : « Une partie de l’opération de l’Azerbaïdjan consistait à récupérer les territoires azéris occupés par les forces arméniennes, avec une sorte d’autorisation non écrite de la Russie. Ensuite, l’Azerbaïdjan en a profité, car ils ont une enclave vers la Turquie, et ils ont porté des coups pour établir un point de passage, ce qui est une agression. Mais je suis obligé de rappeler que nos amis arméniens avaient mis le pied sur une zone qui n’était pas de leur côté. » Pour autant, la France doit faire partie, pour lui, « des aménageurs d’une paix plus solide, et qui respecte les territoires respectifs. » Ce qui « ne vaut pas engagement militaire », précise l’ancien ministre de la Défense.

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