La taxe Zucman arrive au Sénat : on vous explique les enjeux qui se cachent derrière cette taxe qui vise les ultras-riches

Le groupe écologiste du Sénat va défendre jeudi le texte sur la taxe Zucman, déjà adopté par les députés. Ce dispositif anti-abus et une « contribution différentielle », explique l’économiste Gabriel Zucman, qui vise les patrimoines de plus de 100 millions d’euros. De quoi rapporter 20 milliards d’euros. Si la droite va s’opposer au Sénat, des centristes soutiennent l’idée.
François Vignal

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C’est une idée qui est dans l’atmosphère depuis quelques mois : la taxe Zucman. Son objectif est de mettre à contribution les plus grandes fortunes, le haut du panier, dont le patrimoine dépasse 100 millions d’euros. Pas vraiment Monsieur et Madame tout le monde, ni même les petits patrons.

« Dispositif anti-abus »

Une proposition de loi (PPL) portée par des députés du groupe écologiste, dont Eva Sas et Clémentine Autain, reprenant les travaux de l’économiste français Gabriel Zucman, auteur du concept, a déjà été adoptée à l’Assemblée nationale le 20 février dernier. Le texte fait maintenant la navette avec le Sénat. Le groupe écologiste de la Haute assemblée a inscrit la PPL dans sa niche parlementaire, l’espace qui lui est réservé.

Mais de quoi parle-t-on ? Il s’agit d’« un impôt plancher de 2 % » sur les plus très riches, explique la sénatrice écologiste des Yvelines, Ghislaine Senée, lors d’un point presse ce mardi, « c’est un dispositif anti-abus ». « La logique, c’est que les plus grandes fortunes paient autant que les classes moyennes », ajoute son collègue Thomas Dossus, sénateur Les Ecologistes du Rhône, alors que les plus riches arrivent à payer moins d’impôts, en proportion.

1800 foyers fiscaux concernés

Mais qui de mieux que Gabriel Zucman lui-même pour parler de la taxe qui porte son nom ? L’économiste, directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité et professeur à l’Ecole d’économie de Paris, est venu échanger ce mardi matin avec les sénateurs écologistes notamment, au Sénat. Il résume le principe de sa taxe : « C’est la création d’un taux plancher de 2 % sur le patrimoine des très grandes fortunes définies comme les foyers fiscaux ayant 100 millions d’euros ou plus de patrimoine. A peu près 1800 foyers fiscaux seraient concernés. C’est un dispositif extrêmement ciblé sur les gens extrêmement riches et surtout ceux qui, parmi les gens extrêmement fortunés, paient très peu d’impôts, puisque c’est une contribution différentielle : quelqu’un qui paierait déjà l’équivalent de 2 % ou plus de sa fortune en impôt sur le revenu ne serait pas concerné. Mais quelqu’un qui paierait moins devrait payer la différence pour arriver à 2 % », détaille celui qui a également enseigné à la London School of Economics puis à l’université de Berkeley, en Californie (voir la première vidéo).

Les recettes de la taxe seraient de taille, selon l’économiste. « A peu près 20 milliards d’euros », souligne Gabriel Zucman, si bien qu’« avec cette mesure extrêmement ciblée, on peut trouver à peu près de ce dont on a besoin en 2026 pour réduire notre déficit ou financer nos services publics, nos investissements ».

Pour Ghislaine Senée, « à l’heure où le gouvernement demande de plus en plus d’efforts et parle d’économies sur les dépenses sociales », cette taxe se justifie d’autant plus. Elle ajoute : « Les premiers de cordée, l’élite, doivent montrer l’exemple » (voir la vidéo ci-dessous). D’autant que la richesse des mieux loties ne fait qu’augmenter ces dernières années. « L’augmentation de leur richesse est de + 890 % depuis 2003 », dénonce Ghislaine Senée, qui relève que rien que la « richesse de Bernard Arnault, c’est environ le PIB du Maroc à lui tout seul ». Autre chiffre :

 L’ensemble des grandes fortunes, c’est 50% du PIB de la France. 

Ghislaine Senée, sénatrice écologiste des Yvelines.

Outre le reste de la gauche sénatoriale, socialistes et communistes, mais aussi « la majorité du groupe RDSE », les sénateurs écologistes vont pouvoir compter sur certains sénateurs du groupe Union centriste (UC), composante de la majorité sénatoriale, lors du vote, à l’image de « Nathalie Goulet, qui a été plutôt séduite par le dispositif. C’est une grande spécialiste de ces questions-là », salue Thomas Dossus. Reste à voir combien de centristes suivront. « On espère les faire évoluer », dit le sénateur du Rhône.

« Les gens qui voteront contre auront du mal à le justifier », souligne la centriste Nathalie Goulet

« On est mobilisés », assure quelques minutes plus tôt la sénatrice UDI de l’Orne, présente au point avec Gabriel Zucman. « Il faudra expliquer à nos concitoyens pourquoi on ne vote pas. Et le rapporteur de la commission des finances (le sénateur Horizons Emmanuel Capus, ndlr) est caricatural dans ses arguments. Les gens qui voteront contre auront du mal à le justifier devant leurs concitoyens », pense Nathalie Goulet, qui espère que certains de ses collègues de droite et du centre la suivront.

Un autre centriste au moins soutient la PPL : c’est Bernard Delcros, sénateur du Cantal. Lui aussi était présent ce matin pour écouter l’économiste qui avait pour directeur de thèse Thomas Piketty, célèbre économiste français. « Les écarts de richesse progressent de manière importante dans le pays. Au moment où il faut redresser les comptes publics et réduire le déficit, les plus grandes fortunes doivent contribuer à cet effort national, quand on demande des efforts à tous les Français. C’est une question de justice fiscale et de solidarité », défend celui qui est aussi président de la délégation sénatoriale aux collectivités. Bernard Delcros ajoute qu’« au groupe centriste, on a défendu depuis longtemps des mesures de justice fiscale. Ça s’est traduit par des amendements ces dernières années ». Autrement dit, ce n’est pas tout à fait une surprise. Mais tout le groupe UC n’est pas aligné sur ces sujets.

Thomas Dossus « appelle la majorité sénatoriale à bien réfléchir »

Si l’idée convainc au-delà des rangs de la gauche, les sénateurs écologistes ne se font cependant pas d’illusion, d’autant que la PPL a été rejetée lors de son passage en commission, les sénateurs LR suivant sans surprise le rapporteur, opposé au texte. Mais Thomas Dossus « appelle la majorité sénatoriale à bien réfléchir ». « Il faut que la majorité sénatoriale se rende compte qu’il y a une très forte attente », ajoute Ghislaine Senée.

Les opposants pointent notamment le risque d’exil fiscal. Un « épouvantail » agité par la droite, qui ne tient pas la route, selon Gabriel Zucman. « Les études universitaires menées sur la question sont unanimes : l’exil fiscal n’est pas nul, mais il est très faible, très rare », explique-t-il.

Pour tenter de convaincre la majorité sénatoriale, l’économiste fait un parallèle avec l’impôt de solidarité avec la fortune. « Il y a eu le vote de l’impôt sur le revenu, en 1909, par la chambre des députés. Les sénateurs, à l’époque, avec une majorité très conservatrice qui était très opposée, ont voté contre, pendant 5 ans. Et finalement, ils l’ont voté, en 1914 », rappelle Gabriel Zucman. « C’est un dispositif qui finira par être adopté », croit l’universitaire, qui demande « si on peut se permettre de perdre 5 ans, à nouveau, aujourd’hui ? » La pression est maintenant sur la droite sénatoriale.

« Le gouvernement propose un dispositif alternatif qui est 40 fois plus faible », dénonce Gabriel Zucman

Du côté du gouvernement, il ne faut pas s’attendre à un soutien non plus. Il s’était opposé lors de l’examen du texte à l’Assemblée. Il n’est cependant pas totalement fermé au principe, puisqu’il travaille à une version de la taxe, mais largement édulcorée. Ce que regrette l’économiste.

« Le gouvernement propose un dispositif alternatif qui est 40 fois plus faible, car avec un taux de 0,5 % au lieu de 2 %. Et sur une définition rikiki du patrimoine qui exclurait les biens professionnels. Et ce qu’ils appellent les biens professionnels, en réalité, ce sont les actions. Donc ils sortent les actions du patrimoine des ultra-riches. Or c’est 90 % de leur patrimoine… C’est seulement sur 1/10 de leur fortune que ce taux de 0,5 % s’appliquerait donc en pratique, ce serait 0,05 %, ce qui est 40 fois plus faible que 2 %. Donc très concrètement, avec 2 % on peut récupérer 20 milliards d’euros par an. Avec le dispositif du gouvernement, 40 fois moins, c’est 500 millions par an », pointe du doigt Gabriel Zucman.

« Le dispositif du gouvernement est en train d’être monté »

Les sénateurs ont rencontré la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, en janvier dernier. « Elle nous a dit que sur le principe, elle est prête à le défendre au plan international », raconte Ghislaine Senée. Pour la France, « le dispositif du gouvernement est en train d’être monté », ajoute Thomas Dossus, qui confirme que « Bercy est frileux sur les biens professionnels. Ça réduit forcément l’assiette de la taxe ».

Lors de leur entretien, Amélie de Montchalin leur a affirmé que « c’était à l’arbitrage du premier ministre », précise Thomas Dossus. Autrement dit, à François Bayrou, qui va dévoiler en juillet son plan d’économies de 40 milliards pour le prochain budget, de décider. Le locataire de Matignon a déjà assuré qu’il « demandera des efforts à tout le monde ». Et y compris aux milliardaires via la version gouvernementale de la taxe Zucman ? Ce serait une manière, même surtout symbolique, de passer des paroles aux actes.

« Si on perd cette bataille, on continuera dès septembre »

Pour l’heure, même si le passage du texte à la Haute assemblée s’annonce compliqué, les sénateurs écologistes voient son examen au Sénat comme une manière d’entretenir le débat. « Une première brique », qui pourrait permettre d’arriver à ses fins, à la manière de la constitutionnalisation de l’IVG, affrontement finalement remporté par la gauche.

Quelques coups de pouce vont venir prêter main-forte dans ce rapport de force. Les maires de plusieurs grandes villes de gauche viennent de publier ce mardi dans Le Nouvel Obs une tribune en faveur de la taxe. Et deux économistes de renom, Olivier Blanchard, ancien chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), et Jean Pisani-Ferry, qui avait dirigé le programme d’Emmanuel Macron en 2017, s’apprêtent à faire de même dans un grand quotidien. Thomas Dossus prévient : « On sent que cette question revient régulièrement. Si on perd cette bataille, on continuera dès septembre ».

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