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Arrêt de la pêche dans le golfe de Gascogne : le Sénat dénonce « une décision catastrophique »

Depuis le 22 janvier et jusqu’au 20 février, environ 500 navires français devront rester à quai, interdits de pêcher dans le golfe de Gascogne pour protéger les cétacés. Une décision qui vient frapper un secteur de la pêche déjà en grande difficulté, à l’image du monde agricole qui manifeste depuis plusieurs jours.
Rose Amélie Becel

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« Après le Brexit, la crise du Covid, cette nouvelle décision est catastrophique pour le secteur de la pêche », s’inquiète le sénateur Les Républicains Alain Cadec. Saisi par des associations de défense de l’environnement, le Conseil d’État a en effet décidé en mars dernier de fermer des zones de pêche du golfe de Gascogne – du Finistère aux côtes espagnoles – pour limiter les prises accidentelles de dauphins dans les filets.

L’interdiction de pêche s’applique aux bateaux de 8 mètres ou plus, français et étrangers, équipés de filets et chaluts. Ces navires resteront à quai un mois, du 22 janvier au 20 février, car, selon l’observatoire Pelagis, la période hivernale est la plus meurtrière pour les dauphins : entre le 1er décembre 2022 et le 30 avril 2023, 1 500 cétacés ont été retrouvés morts sur les côtes françaises.

« Ce ne sont pas nos pêcheurs qui abiment la mer »

Pour la droite sénatoriale, qui juge cette décision incompréhensible, les pêcheurs français sont déjà sensibilisés au sujet des prises accidentelles et ont équipé leurs bateaux en conséquence. « 30 millions d’euros ont été investis dans des dispositifs de répulsifs et d’effarouchement, mais cette interdiction ne permettra pas d’en mesurer l’efficacité », expliquent les sénateurs centristes Annick Billon et Hervé Marseille, dans une tribune adressée au Premier ministre et signée par 52 sénateurs de la majorité.

Les répulsifs acoustiques et caméras embarquées dans les navires, censés limiter les prises accidentelles, n’ont pourtant pas été jugés suffisamment efficaces par le Conseil d’État. Suite à sa décision du mois de mars, le gouvernement avait en effet pris un arrêté pour interdire la pêche dans le golfe de Gascogne durant un mois, en 2024, 2025 et 2026. Mais celui-ci ne s’appliquait pas aux bateaux de 8 mètres et ne concernait pas les embarcations équipées de dispositifs de réduction des pêches accidentelles. Des dérogations annulées par le Conseil d’État, car jugées trop importantes « pour avoir une chance de réduire dès 2024 la mortalité des petits cétacés à un niveau soutenable ».

« Ce ne sont pas nos pêcheurs qui abiment la mer ! La petite pêche est très respectueuse de l’environnement, ce sont les pêcheurs industriels – souvent des navires étrangers – qui viennent dans les eaux françaises avec d’immenses bateaux qui prennent tout dans leurs filets », dénonce de son côté le sénateur centriste Michel Canévet, pour qui cette interdiction est excessive. Pour l’écologiste Daniel Salmon, cette décision « tombe comme un couperet » : « Le problème de la pêche industrielle et non-sélective est connu de longue date, mais à force de ne pas engager de véritable transition dans le secteur, on en arrive à ce genre de situation. »

Vers une convergence des luttes entre agriculteurs et pêcheurs ?

Cette décision frappe le monde de la pêche au moment où le secteur agricole connaît lui aussi une crise. Les appels de pêcheurs à rejoindre les manifestations d’agriculteurs se multiplient, ils seront d’ailleurs mobilisés ensemble ce jeudi à Rennes, devant la préfecture. Précarité, trop plein de normes, concurrence internationale déloyale… Les deux secteurs dénoncent les mêmes difficultés. Ils ont un aussi autre point commun : tous deux dépendent de politiques européennes. « C’est un choix fait par les pères de l’Europe. La Politique agricole commune permet à l’agriculture française de survivre et sans Politique commune de la pêche, qui fixe des quotas, il n’y aurait plus de poissons dans les eaux européennes », analyse Alain Cadec, ancien président de la commission de la pêche au Parlement européen de 2014 à 2019.

Pour l’ex-eurodéputé, la colère des pêcheurs et des agriculteurs est davantage liée à la « surtransposition » des normes européennes : « En France, pour passer pour les bons élèves, on lave plus blanc que blanc, ce que ne font pas nos partenaires espagnols ou danois par exemple ». « Dans de nombreux domaines, il y a plutôt une sous-transposition des règles européennes », estime au contraire Daniel Salmon, « la France est d’ailleurs régulièrement condamnée pour inaction, alors qu’elle se doit d’être à l’avant-garde sur les questions environnementales ». Pour le sénateur écologiste, la stigmatisation des normes environnementales cache un autre problème : le manque d’accompagnement des deux secteurs dans leur transition, face à un marché mondialisé

Lors des questions d’actualité au gouvernement du 24 janvier, agriculture et pêche se sont naturellement mêlées dans les interpellations des sénateurs. Pierre Médevielle, du groupe Les Indépendants, a fustigé « l’écologie punitive, qui a fait suffisamment de dégâts dans notre pays ». Face aux critiques, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu se défend en annonçant « une batterie de mesures » pour soutenir les pêcheurs. Ils seront d’abord indemnisés à hauteur de 80 à 85 % de leur chiffre d’affaires. « Le monde de la pêche ne demande pas des indemnisations, il demande à faire son métier », a balayé la centriste Annick Billon, dans une seconde question adressée au ministre, précisant que cette fermeture du golfe de Gascogne entrainerait une perte de 14 millions d’euros pour les professionnels.

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