Paris: Emmanuel Macron welcomes Rwanda’s President Paul Kagame

Couac de l’Elysée sur le génocide des Tutsi : « Il est difficile de savoir quelles seront les conséquences de cet épisode », analyse l’historien François Robinet

Ce jeudi 4 avril, un point presse de l’Elysée laissait présager que le président de la République allait amorcer une étape supplémentaire dans la reconnaissance de la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsis, qui a fait 800 000 morts en à peine 3 mois. Trois jours plus tard, Emmanuel Macron n’a pourtant pas souhaité aller plus loin, suscitant une certaine incompréhension. Pour l’historien François Robinet, cet événement « semble indiquer que l’exécutif ne pourra pas aller plus loin sur la voie de la reconnaissance des responsabilités françaises ». Entretien.
Alexis Graillot

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Dans une vidéo publiée ce dimanche 9 avril, à l’occasion des commémorations du génocide des Tutsi, 30 ans après le début du génocide, Emmanuel Macron a déclaré « assumer » ses déclarations de 2021, lorsqu’il était venu « reconnaître » les « responsabilités de la France », tout en expliquant n’avoir « aucun mot à ajouter, aucun mot à retrancher ». Des propos qui ont étonné, trois jours après qu’une conseillère de l’Elysée ait expliqué en conférence de presse que la France « aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, mais n’en a pas eu la volonté », ouvrant la voie à une reconnaissance de la complicité.

Si le régime de Kigali a souhaité ne pas polémiquer, affirmant préférer « se concentrer sur les bonnes choses », en attestent la visite du président de la République au Rwanda, le 27 mai 2021, l’historien François Robinet, enseignant-chercheur à l’université de Versailles, estime « difficile à ce stade de savoir quelles seront les conséquences de cet épisode », alors que certaines zones d’ombre sur l’ampleur des informations dont disposait l’Etat, dans les mois précédent le génocide. Quelque soit la manière dont est analysé ce couac, reste que le président de la République doit ménager la chèvre et le chou, alors « qu’une partie de l’armée française reste convaincue, après tant d’années de déni, que son rôle a été exemplaire dans l’affaire rwandaise ».

 L’Etat français a vu ses principaux responsables s’enferrer durablement dans un déni complet quant aux responsabilités françaises 

François Robinet, historien, enseignant-chercheur à l'université de Versailles

Comment interprétez-vous la position de l’Etat français, qui semble toujours relativement mal à l’aise à reconnaître pleinement la responsabilité de l’Etat dans le génocide ?

L’Etat français a vu ses principaux responsables s’enferrer durablement dans un déni complet quant aux responsabilités françaises. Il y eut certes l’effort de la mission d’information parlementaire de 1998 dont les résultats n’ont pas été valorisés correctement par son président Paul Quilès. Il y eut aussi les mots forts de Nicolas Sarkozy, reconnaissant à Kigali en 2010 de « graves erreurs d’appréciation ». Cependant, il a fallu attendre Emmanuel Macron en mai 2021 pour que soit reconnue une responsabilité accablante (…), dans un engrenage qui a conduit au pire ». Ce discours, en dépit de quelques ambiguïtés, rompait nettement avec 27 ans de déni, ouvrant la voie à un retissage des liens entre la France et le Rwanda.

L’épisode récent de la prise de position avortée du président Macron semble indiquer que l’exécutif ne pourra aller plus loin sur la voie de la reconnaissance des responsabilités françaises, sans doute du fait des résistances qui subsistent au sommet de l’Etat.

De son côté, après le couac de communication de l’Elysée, Kigali ne souhaite pas polémiquer, préférant « se concentrer sur les bonnes choses » ?

Il est difficile à ce stade de savoir quelles seront les conséquences de cet épisode. Restera-t-il un épiphénomène, les dirigeants des deux pays, poursuivant sur la voie de la réconciliation et de la relance des relations diplomatiques et culturelles. Cet épisode sera-t-il au contraire lu à Kigali comme un manque de professionnalisme et de respect, voire comme le signe d’une soumission de l’exécutif français aux intérêts de ceux qui ont frayé avec les génocidaires dans les années 1990 ?

Ce qui est sûr, c’est que le chemin de la réconciliation ne peut être que tortueux et difficile étant donné le passé commun de ces deux pays : la reconstruction de la confiance sera longue. Lorsque Paul Kagame fait état du rôle de la communauté internationale dans son discours du 7 avril, plusieurs passages mettent d’ailleurs ouvertement en cause la France pour l’appui apporté à la fuite des responsables du génocide, pour son hostilité au FPR (NDLR : Front Patriotique Rwandais, parti du président Kagame, fondé par les exilés Tutsis en Ouganda), pour avoir servi de refuge à de nombreux génocidaires.

La présence d’Emmanuel Macron ce dimanche à Kigali aurait-elle marqué un symbole fort ? N’est-ce pas un rendez-vous manqué ?

Ce sont des arbitrages diplomatiques qu’il n’est pas si aisé d’interpréter. Dans le contexte français actuel, après les différentes déclarations de l’exécutif autour de la guerre en Ukraine, la commémoration des 80 ans de la libération et de la lutte des résistants sur le plateau des Glières autour de la devise « vivre libre ou mourir », résonne de manière particulière. De même, l’hommage aux enfants juifs d’Izieu, alors que la lutte contre l’antisémitisme nécessite la mobilisation de toute la nation, rend sans doute aussi ce déplacement précieux politiquement. Ajoutons que commémorer la Shoah ou la résistance sont des actes qui restent beaucoup plus consensuels en France que commémorer un génocide relativement récent dans lequel la France a des responsabilités directes.

En revanche, il est clair que pour les spécialistes du dossier rwandais, une réponse positive d’Emmanuel Macron à l’invitation du président Kagame aurait sans aucun doute contribué à renforcer la confiance entre nos deux exécutifs et nos deux diplomates.

 L’étude systématique de certains fonds d’archives publiques par la « commission Duclert » a permis une meilleure compréhension du processus de prise de décision au sein de l’appareil d’Etat et confirmé le choix du soutien aux extrémistes par quelques acteurs placés au sommet de l’Etat, particulièrement dans l’entourage proche de François Mitterrand. 

François Robinet, historien, enseignant-chercheur à l'université de Versailles

Quelles zones d’ombre persistent toujours 30 ans après ? Qu’est-ce que les archives ont-elles encore à nous apprendre ?

Il existe une riche historiographie sur le génocide des Tutsi et celui-ci est désormais plutôt bien connu dans ses différentes dimensions (préparation, exécution, responsabilités des acteurs, dimensions religieuses et médiatiques…). Les nombreuses enquêtes de militants, de journalistes, de juristes et de chercheurs conduites depuis 1994 ont aussi permis de documenter avec précision les responsabilités françaises. L’étude systématique de certains fonds d’archives publiques par la « commission Duclert » a permis une meilleure compréhension du processus de prise de décision au sein de l’appareil d’Etat et confirmé le choix du soutien aux extrémistes par quelques acteurs placés au sommet de l’Etat, particulièrement dans l’entourage proche de François Mitterrand. Rappelons que le ministre de la coopération, Jacques Pelletier ou l’attaché de défense à Kigali, René Galinié, exprimaient leurs inquiétudes au début de l’année 1991 et appelaient à un désengagement militaire rapide ; ils avaient précocement identifié le fait que renforcer le soutien français à Juvénal Habyarimana (NDLR : président rwandais, jusqu’à son assassinat le 6 avril 1994), revenait à renforcer les positions des plus extrémistes, ceux-là même qui fomentaient déjà le génocide.

De trop nombreuses questions restent cependant sans réponse. Quels ont par exemple été les missions et les actions des militaires français restés au Rwanda entre décembre 1993 et avril 1994 ? Est-il possible d’établir le degré d’autonomie des militaires français sur le terrain, pendant les opérations Noroit et Turquoise, au regard des consignes données par les décideurs parisiens ? Est-il possible d’établir de manière rigoureuse la chronologie, les montants, et la nature des livraisons d’armes (officiels/officieux) de la France vers le Rwanda après l’embargo de l’ONU (résolution 918 du 17 mai 1994) ? Peut-on retracer les circuits financiers qui ont permis ces livraisons d’armes ?

Un point essentiel est aussi de savoir si les historiens peuvent se contenter de dire que la France a été à la limite de l’engagement direct contre le FPR, alors que certaines sources témoignent d’une cobelligérance aux côtés des FAR (NDLR : Forces armées rwandaises, armée du Rwanda sous le régime Hutu) ?

La liste des questions à prendre en charge à l’avenir par les historiens est longue et il faudrait pouvoir exploiter pleinement les archives du Service historique de la Défense et du Ministère des affaires étrangères, au-delà des pièces citées dans le rapport Duclert désormais accessibles depuis l’arrêt du 6 juillet 2021. Ces questions en suspens et la masse d’archives disponibles augurent de la possibilité de nombreux travaux de recherche dans le futur.

Ce lundi, certaines associations entretenant la mémoire de François Mitterrand sont montées au créneau, pour défendre la position française de l’époque. Ce révisionnisme historique est-il voué à disparaître ou reste-t-il toujours bien ancré dans les médias et les différentes sphères du pouvoir ?

D’anciens responsables politiques de premier plan restent très hostiles à la reconnaissance des responsabilités françaises puisque celle-ci met à la fois en valeur leurs fautes graves face au crime des crime ainsi que leurs mensonges a posteriori. De nombreux anciens généraux sont dans la même posture délicate. Certains défendent la mémoire de François Mitterrand, d’autres « l’honneur de l’armée ». Mais pour nombre d’entre eux, la crainte la plus vive est sans doute celle d’une accusation pour complicité de génocide, le crime étant imprescriptible, et la notion de complicité susceptible de s’appliquer à un acteur ayant connaissance de la préparation ou de l’exécution d’un génocide et n’engageant aucune action pour l’empêcher, alors même qu’il en a les moyens.

C’est sans doute aussi ce qui explique les vives réactions autour de la phrase qu’aurait manifestement dû prononcer le président français et selon laquelle « la France aurait pu arrêter le génocide », mais qu’elle n’en a pas eu la volonté ». Ajoutons à cela qu’une partie de l’armée française reste convaincue, après tant d’années de déni, que son rôle a été exemplaire dans l’affaire rwandaise.

Heureusement quelques consciences morales comme Thierry Prungnaud, Guillaume Ancel, Jean Varret ou Patrice Sartre (NDLR : tous les quatre, anciens militaires) ont commencé le difficile examen de conscience de l’armée française, l’exigence de vérité historique étant ici nécessaire pour qu’une telle institution, si importante pour notre pays, encore plus dans le contexte incertain que nous connaissons, puisse tirer des leçons salutaires de ses errements rwandais.

Comment la société rwandaise se reconstruit-elle aujourd’hui, plus de 30 ans après, alors que plus des deux tiers de la population n’a pas vécu le génocide ? Cela impose-t-il encore plus de vigilance vis-à-vis du travail de mémoire ?

La politique publique de la mémoire est un enjeu majeur au Rwanda, et l’Etat rwandais est pleinement mobilisé autour du travail de transmission aux jeunes générations.

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