Paris : Gabriel Attal rencontre les syndicats agricoles

A la tête d’« un ministère de crises », Marc Fesneau en première ligne face aux agriculteurs

Peu connu du grand public, ce proche de François Bayrou se retrouve sous les feux de la rampe pour gérer la fronde des agriculteurs. Alors que la droite lui reproche de perdre ses arbitrages face au ministère de l’Environnement, que la gauche l’accuse d’être trop proche de la FNSEA, lui joue de son sens du contact et multiplie les déplacements auprès des agriculteurs.
François Vignal

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« Ça commence à sentir le pâté ». Ce parlementaire, qui signe cette analyse olfacto-culinaire, sent bien que le mouvement des agriculteurs devient, pour le gouvernement, une crise pour le moins sensible à gérer. Avec en première ligne, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. Peu connu du grand public, ce proche de François Bayrou est premier vice-président du Modem.

Sous les feux de la rampe, il doit faire face aux tirs croisés des oppositions, tout en tentant de calmer la colère des agriculteurs. « Nous sommes tous en réunion sans cesse » et « très concentrés », nous raconte l’entourage de Marc Fesneau.

Ministre des Relations avec le Parlement pendant trois ans et demi, celui qui était plus habitué à arpenter les couloirs des assemblées, multiplie, depuis sa nomination à l’Agriculture en mai 2022, les déplacements sur le terrain, au contact des agriculteurs. « Le terrain ne trompe jamais. On se prend les retours en direct. C’est le choix qu’a fait le ministre depuis 18 mois : s’y rendre plusieurs jours par semaine », confie encore l’entourage du ministre.

Promis, il connaît le monde rural. Et pas seulement parce que l’ancien député Modem du Loir-et-Cher est un amateur de chasse, plus adepte de l’arc que du fusil. Il sait faire mouche, pas avare, parfois, de petites remarques sarcastiques, qu’il distille hors micro, les yeux rieurs.

« Il connaît bien le milieu », pense le centriste Hervé Marseille

Alors que ça tangue aujourd’hui, les critiques fusent. Est-il l’homme de la situation ? Connaît-il les sujets ? « Il a vécu, il est du Loir-et-Cher, il connaît bien le milieu. Il a travaillé en chambre d’agriculture et son père était dans des responsabilités agricoles », souligne le président du groupe centriste du Sénat, Hervé Marseille, qui dit de lui que « c’est un ami. Il avait travaillé à l’UDF, puis il a travaillé au Sénat, en tant que collaborateur de Jacqueline Gourault », ex-sénatrice Modem, ancienne ministre d’Emmanuel Macron, aujourd’hui membre du Conseil constitutionnel. Pour celui qui est aussi président de l’UDI, « il connaît aussi bien le sujet que Julien Denormandie », qui a laissé une bonne image à l’Agriculture, « ou ses prédécesseurs ».

« C’est un interlocuteur respecté dans le monde agricole. Et il a son expérience d’une mairie rurale dans son département », ajoute François Patriat, président du groupe RDPI (Renaissance) du Sénat. Marc Fesneau a été maire de Marchenoir, un peu moins de 700 âmes, près de 10 ans.

Son ministère n’est pas le plus facile de la République

A sa décharge, tous les anciens ministres le confirment : son maroquin n’est pas le plus facile de la République. « Pour avoir été en poste, je sais la difficulté. Quand ça tape dans tous les sens, il faut beaucoup de sérénité et une réponse rapide », se souvient un ancien occupant du 78 rue de Varenne, dans le 7e arrondissement de Paris. C’est ici, à L’hôtel de Villeroy, que sont hébergés depuis 1881 les locaux du ministère de l’Agriculture, l’un des plus anciens. François Patriat, éphémère ministre de l’Agriculture de Lionel Jopsin, pendant deux mois, en 2002, a aussi cette vision des choses :

 Le ministère de l’Agriculture est un ministère de crises. Quand ce n’est pas la crise du vin, c’est la crise des fruits et légumes. Quand ce n’est pas la crise des fruits et légumes, c’est la crise du lait. C’est une suite de crises, il faut être très solide. 

François Patriat, sénateur Renaissance de la Côte-d'Or et ancien ministre de l'Agriculture.

« Tous les jours, vous avez à gérer des crises », se souvient l’ancien ministre Stéphane Travert

Même antienne avec Stéphane Travert, qui a occupé le poste plus d’un an, lors du premier quinquennat Macron. « Le ministère de l’Agriculture est un ministère de crise, c’est H24 à démêler, trouver des solutions pour accompagner les filières. Cette crise, par son ampleur, rentre dans le débat public, mais tous les jours, vous avez à gérer des crises, qui ne sont pas forcément médiatisées ».

Marc Fesneau a en effet dû faire face à la crise de la grippe aviaire, la MHE, une maladie bovine, la crise des néonicotinoïdes avec la filière de la betterave, celle liée aux tempêtes, aux crues dans le Pas-de-Calais, les sécheresses… « C’est un ministère de crises. Il y en a eu beaucoup à gérer jusqu’ici. Pas de cette ampleur mais beaucoup », confirme-t-on dans son entourage.

« L’Agriculture, c’est une forme de petit Matignon »

« C’est une fonction difficile, car le ministère de l’Agriculture, c’est une forme de petit Matignon, où on gère de l’agronomie, de l’économie avec des négociations commerciales, de l’enseignement, du sanitaire, de la politique européenne, internationale », se souvient Stéphane Travert, qui ajoute : « Vous êtes sur tous les fronts et le soleil ne se couche jamais sur le ministère de l’Agriculture ».

Si le contexte « n’est pas évident » car « vous êtes tiraillés de tous les côtés », « il faut, quand arrivent des crises, garder son calme et son sang-froid. En période de gros temps, il faut à la barre un ministre comme celui-là, tenir le cap, être bien solide sur ses appuis, être dans le dialogue et trouver des solutions. A mon sens, il remplit la fonction », soutient celui qui est maintenant député Renaissance de la Manche.

« On se disait qu’un jour, il y aurait une irruption. On l’a fait remonter et personne au gouvernement n’a été sourd », assure l’entourage du ministre

Mais Marc Fesneau a-t-il su alerter, en temps voulus, l’Elysée de la crise qui couvait ? « Je ne vois pas comment il pouvait alerter, car c’est une manifestation qui s’est mise en place en dehors de tous les syndicats. Il n’y avait pas d’alerte particulière », rétorque François Patriat. « Franchement, il n’y a pas grand monde qui a vu arriver la crise. Même les syndicats ne l’ont pas vu arriver », confirme un autre parlementaire. Mais des infos ont bien été transmises. « En tout cas, il a été alerté. Les uns et les autres, on est pas mal de parlementaires à avoir fait remonter ces sujets », explique de son côté Stéphane Travert, qui lui a envoyé des SMS. « On sentait une colère monter », dit le député.

Au ministère, on dément toute idée de loupé. « Cela fait longtemps qu’on sait qu’il y a quelque chose qui gronde, une espèce de magma. On se disait qu’un jour, il y aurait une irruption. On l’a fait remonter et personne au gouvernement n’a été sourd », assure l’entourage de Marc Fesneau. Autrement dit, l’Elysée comme Matignon ont bien été mis au parfum.

« Il a des difficultés à faire arbitrer en sa faveur », pense le sénateur LR Laurent Duplomb

Au Sénat, on compte quelques sénateurs-agriculteurs, qui regardent de près la situation. Pour le sénateur LR Laurent Duplomb, l’un des plus actifs sur la question, Marc Fesneau manquerait de poids dans le gouvernement. « Dans les arbitrages ministériels, quand un ministre de l’Agriculture n’a pas suffisamment l’écoute du Président ou du premier ministre, il a des difficultés à faire arbitrer en sa faveur. Et aujourd’hui, il est beaucoup trop donné possibilité au ministère de l’Environnement de gagner tous les arbitrages », pense le sénateur de la Haute-Loire, toujours éleveur de vaches laitières.

Ce proche de Laurent Wauquiez voit « la patte du ministère de l’Environnement » ici ou là, et peste sur « les règlements qui consistent à conditionner les aides de la PAC à des mesures environnementales ». Pour les réponses à apporter, il renvoie vers les rapports du Sénat, dont le sien.

« Parfois, l’Agriculture gagne des arbitrages, puis c’est l’Environnement qui l’emporte. Il y a des débats intenses »

Stéphane Travert ne nie pas les frictions avec le « MTE », le ministère de la Transition écologique. « On considère toujours que c’est le ministère de l’Environnement qui pilote. Mais parfois, l’Agriculture gagne des arbitrages, puis c’est l’Environnement qui l’emporte, c’est selon. Après, il y a des débats intenses, des discussions évidemment. Mais il ne faut pas chercher à les opposer. Il faut trouver des équilibres », dit l’ancien ministre. Stéphane Travert reconnaît cependant que « ce n’est pas toujours simple. Ça avait été compliqué avec le ministère de l’Environnement – Nicolas Hulot était le ministre – car nous avions des différences de point de vue. Ça n’a pas toujours été simple. Mais on a réussi à faire des choses ».

Le poids, un peu fort, de « l’administration » du MTE, prête à limiter certaines dispositions, semble toujours jouer aujourd’hui. Et la bataille sur les arbitrages n’a pas disparu. C’est aussi l’une des clefs, dans la réponse à apporter aujourd’hui aux agriculteurs, qui demandent moins de normes. « On peut aller plus vite, plus fort. On a des choses dans les cartons », assure un membre de la majorité.

Hervé Marseille pense que le ministère de l’Economie n’arrange pas les choses non plus. « Il y a beaucoup de contrariété au niveau de Bercy, qui peut jeter une ombre sur le ministère et son action. Ils ont pris des dispositions financières sur le gazole. Cela peut avoir une influence non-négligeable », souligne le sénateur UDI des Hauts-de-Seine. Le président du groupe centriste évoque aussi la question des « surtranspositions » des règles européennes.

« Il prend sa feuille de route auprès de la FNSEA », dénonce le sénateur PS Jean-Claude Tissot

Autre critique, qui vient de la gauche, cette fois : « Je regrette que Marc Fesneau ait une oreille attentive avec une seule force syndicale, la FNSEA, et les Jeunes agriculteurs. C’est un peu dommage qu’il forge ses positions avec un seul point de vue. Je le regrette profondément. Il y a d’autres syndicats, la Coordination rurale, la Confédération paysanne, qui pourraient lui donner un avis. Il prend sa feuille de route auprès de la FNSEA, comme souvent les ministres de l’Agriculture, quand c’est la majorité de droite », dénonce le sénateur PS de la Loire, Jean-Claude Tissot.

Le socialiste aimerait voir plutôt un modèle moins productiviste défendu. Ancien membre de la Confédération paysanne, le sénateur de la Loire a lui-même été éleveur de moutons, plus de 20 ans.

« C’est quelqu’un d’affable et bienveillant »

Sur la personne de Marc Fesneau, Jean-Claude Tissot dit de lui qu’« il est très agréable, très courtois. Je n’ai aucun problème. Au contraire, c’est quelqu’un d’affable et bienveillant », salue le sénateur. Il reconnaît que dans le budget, « cette année, le ministère n’a pas été mal loti. Il l’a bien défendu au niveau du gouvernement ». Le budget est même en hausse, de 20 %. Le sénateur PS ajoute : « Ça pourrait être un bon ministre. Ce qui lui manque, à mon sens, je lui ai déjà dit, c’est qu’il n’écoute pas assez d’autres discours ».

La critique est « facile », aux yeux des parlementaires de la majorité. Du côté du ministère, on assure que le ministre ne conçoit pas sa fonction de façon hémiplégique. « Marc Fesneau parle à tout le monde. Le dialogue, c’est sa marque fabrique. Là on reçoit la coordination rurale, demain la confédération paysanne », assure son entourage.

Un projet de loi à « enrichir » sur la simplification des normes

Face à la gronde, la présentation du projet de loi d’orientation agricole a été repoussée de quelques semaines. Pour les macronistes, il ne s’agit pas d’apaiser. Mais plutôt de se laisser un peu le temps pour muscler le « pacte agricole », qui mêle ce texte pour les mesures législatives, et des mesures réglementaires. Le projet de loi, qui comporte une partie sur la transmission, va se voir « enrichi » d’une sur la simplification des normes. Elle sera du moins plus importante que prévu. Et des mesures financières ? A voir. Le gouvernement ne s’interdit rien par principe. Mais quoi qu’il arrive, « il faut aller vite ».

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