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Elections sénatoriales 2023 : avec des grands électeurs moins politisés, un scrutin plus incertain

Les municipales de 2020 ont vu progresser la part des élus de la société civile, non encartés, dans les conseils municipaux. De quoi créer une dose d’incertitude pour le scrutin du 24 septembre. Les candidats sont nombreux à ressentir ce flou sur le terrain. Pour aller chercher ces voix qui feront la différence, faire campagne n’a peut-être jamais eu autant de sens pour les sénatoriales.
François Vignal

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C’est une petite musique qui revient souvent chez les candidats aux élections sénatoriales du 24 septembre. Dans ce scrutin à part, où ce sont les grands électeurs, composés à 95 % des conseillers municipaux, tout ne serait plus aussi prévisible qu’avant. Bien sûr, dans les grandes villes, on connaît la couleur politique des élus, et donc où ira leurs voix. Enfin théoriquement, car le vote, obligatoire pour les sénatoriales, est à bulletin secret. Mais les grandes formations peuvent plus ou moins calculer, compter à l’avance le nombre théorique de grands électeurs, connaître leur socle électoral.

Mais de plus en plus, les conseils municipaux sont composés d’élus dits de la « société civile », qui ne sont pas membres d’un parti politique, et donc plus libres. Ce qui peut donner une part d’incertitude dans les résultats. Certes à la marge. Le Sénat ne va pas basculer. Mais plus que jamais, les candidats doivent cette année faire campagne pour aller chercher les voix, surtout quand on sait qu’un siège se joue à moins de dix bulletins près parfois.

« Ça dépolitise complètement les choses car personne ne me parle des partis politiques »

« C’est complètement le cas », confirme ce mercredi la sénatrice LR de l’Essonne, Laure Darcos, « à fond dans la campagne », et pour le coup « à la bourre pour un déjeuner avec quelques élus ». Alors que l’autre sortant de droite, Jean-Raymond Hugonet, mène aussi sa propre liste, elle en fait même un argument de campagne. « C’est vraiment là-dessus que je commence mon speech devant les conseillers municipaux : votre maire peut soutenir officiellement tel ou tel candidat, mais vous êtes propriétaire de votre voix, encore plus que la dernière fois ». Résultat, cette incertitude « biaise complètement la lecture. Alors qu’avant, vous aviez un bastion de votre famille politique, vous étiez sûre d’avoir tant de voix, aujourd’hui c’est extrêmement hétéroclite. Je le vois dans des villes « amies », où je ne fais pas le plein car chacun va se faire une opinion », raconte Laure Darcos. Si elle pense qu’« à gauche, ça joue moins, ça peut créer des surprises de notre côté ».

« Ça dépolitise complètement les choses car personne ne me parle des partis politiques », ajoute la sénatrice de l’Essonne. Autre constat, qui est lié : « Pour les nouveaux élus qui ne sont pas encartés, les soutiens, ça compte moins que la personnalité des candidats. Les soutiens nationaux comptent beaucoup moins qu’avant ». Elle n’a pas fait venir de personnalités extérieures, alors qu’il y a 6 ans, « Valérie Pécresse était venue, François Baroin, qui était président de l’AMF, était venu, tout comme Christian Jacob, qui était président des LR ».

Résultat, les logos des partis ont disparu des documents de campagne, comme on le voit depuis plusieurs scrutins. « Moi, c’est le cas », dit avec franchise Laure Darcos, « je n’ai pas mis le logo. J’ai mis « soutenue par la majorité sénatoriale et Les Républicains » ».

« Il y a 40 % de nouveaux conseillers municipaux. Comment vont-ils se déterminer ? »

Le sénateur PCF Eric Bocquet ne s’en cache pas non plus. Dans cette campagne, il avance, mais un peu plus dans le brouillard que d’habitude. « Il y a 40 % de nouveaux conseillers municipaux. Comment vont-ils se déterminer ? Difficile de dégager une tendance. Je le dis avec beaucoup d’humilité. Mais on est mobilisés pour garder nos deux sièges », nous expliquait la semaine dernière, lors de notre reportage sur le Nord, le sénateur PCF. « Ce n’est plus autant politisé. Sur les professions de foi, il n’y a plus les étiquettes politiques, à droite surtout », confirmait l’autre sortante PCF, Michelle Gréaume, en deuxième place sur la liste.

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Crédits photo : Buste de Marianne et photo d'Emmanuel Macron, à la mairie d'Anstaing, dans le Nord.

S’« il faut capter un électorat volatile », leur présidente de groupe, Eliane Assassi, s’appuie au contraire sur ce flou pour espérer conserver le second siège en Seine-Saint-Denis, et même gagner des sièges pour l’ensemble du groupe, qui peut être, sur le papier, menacé. « L’électorat des sénatoriales n’est pas aussi classique, pas aussi partisan qu’avant. Aux municipales, les listes ont été largement ouvertes à la société civile, avec des gens qui ne sont pas encartés, ce qui mérite une campagne de proximité », comme nous expliquait Eliane Assassi, avant d’illustrer son idée :

 L’époque où tout le monde montait dans le car avec le même bulletin de vote, c’est terminé. C’était déjà le cas lors du scrutin de 2017, et cela s’est renforcé. 

Eliane Assassi, présidente du groupe communiste du Sénat.

« Les consignes au sein des conseils municipaux, on ne les voit plus »

Même constant de la part du sénateur UDI du Nord, Olivier Henno. « Le poids des partis est devenu beaucoup moins fort, d’où la profusion des listes (16 dans son département, ndlr). Même les consignes au sein des conseils municipaux, on ne les voit plus. Autrefois, vous aviez le soutien du maire, vous aviez de grandes chances d’avoir ses délégués. Mais ce n’est plus comme ça. Chacun joue sa chance », comme nous expliquait le sénateur, candidat à son renouvellement, avant d’ajouter : « Les sénatoriales, c’est une campagne de soft power ». Autrement dit, d’influence et de rayonnement.

« Ce qui rend le scrutin incertain, c’est que beaucoup de communes ne sont pas engagées politiquement. Ils ont créé des associations locales pour gérer », explique mercredi dernier le président du groupe PS, Patrick Kanner, entre deux visites de campagne, avec son minibus. Illustration de ce pluralisme des équipes municipales : « A Dunkerque, il y a plusieurs adjoints dans différentes listes. L’adjoint à la sécurité est avec nous, d’autres sont sur d’autres listes », explique le sénateur PS du Nord.

« Sur mes deux premières campagnes, je n’ai jamais vécu ça »

Dans le département voisin du Pas-de-Calais, Jean-François Rapin sent aussi que quelque chose a changé. « C’est ma troisième campagne et ce n’est pas du tout la même que les précédentes. Sur mes deux premières campagnes, je n’ai jamais vécu ça », raconte le sénateur LR sortant, qui constate une forme de désintérêt chez certains élus.

« Ce qu’il se passe, c’est qu’en milieu rural, avant, on connaissait globalement nos supporteurs. Je constate qu’aujourd’hui, les maires peuvent laisser un adjoint ou un conseiller municipal voter pour eux. Et il n’y a pas forcément de consigne. C’est un phénomène qu’on constate ici. Sur les 890 communes, il y en a bien 70/80 maires qui ne vont pas voter », détaille Jean-François Rapin.

« Pour moi, c’est une campagne corps à corps, voix après voix »

L’incertitude est bien là. « Tout que ce n’est pas signé, ce n’est pas fait. C’est pour ça que je fais campagne. On pourrait penser qu’avec un scrutin proportionnel, c’est ma pomme, je suis tête de liste, ça va aller. Mais je sens qu’on a besoin d’une campagne de proximité », soutient le président de la commission des affaires européennes du Sénat. Il continue :

 J’ai l’impression de faire une campagne de député. Les gens ont besoin de proximité, de toucher le sénateur. Un tract ou un coup de téléphone, ça ne suffit plus. 

Jean-François Rapin, sénateur LR du Pas-de-Calais

Il faut plus que jamais « aller chercher » les grands électeurs, avec des « réunions assez intimes, avec 15 élus, sans esclandre politique. C’est vraiment de la dentelle ». Jean-François Rapin ajoute : « Pour moi, c’est une campagne corps à corps, voix après voix ».

« Beaucoup de maires ont choisi de ne pas être grand électeur. Certains iront plutôt à la chasse »

Dans l’Orne, « les conseils municipaux sont globalement peu politisés. C’était déjà le cas », tempère de son côté Nathalie Goulet, sénatrice UDI, candidate à son renouvellement. Elle n’en ressent pas moins « une campagne un peu curieuse cette fois-ci, plus difficile que la dernière fois ».

Elle aussi constate des maires qui ont mieux à faire pour le jour du scrutin. « Beaucoup de maires ont choisi de ne pas être grand électeur pour faire autre chose. Certains iront plutôt à la chasse, qui ouvre le 24 septembre. Sur 1054 grands électeurs, on en a peut-être 70 qui ne sont pas les délégués habituels ». Pour Nathalie Goulet, « ça peut jouer. Par exemple, j’envoie mon compte rendu de mandat au maire, pas au quatrième conseiller. Il est possible qu’il ait une moins bonne connaissance de nous, qu’il ait des positions politiques différentes. Ça crée une incertitude supplémentaire ».

Bref, « il y a une part d’aléa ». Une incertitude qui pourrait s’exprimer à l’extrême droite. Peut-il y avoir un vote caché RN chez les élus locaux, comme l’évoque le candidat RN du Nord, Joshua Hochart ? « Je suis sûre qu’il y a ça, un vote RN d’agacement », confirme Nathalie Goulet.

« La lisibilité est moins grande », selon Rachid Temal, mais l’élection « reste très politique »

Dans le Val-d’Oise, le socialiste Rachid Temal ressent également « une campagne très particulière ». Mais lui ne veut pas y voir une dépolitisation. « Lors des municipales de 2020, vous avez eu moins de gens encartés. Mais on reste très politique, je pense », surtout quand il s’agit de voir les conséquences pour les communes « de la suppression de la taxe d’habitation ou de la CVAE par Emmanuel Macron ». « La lisibilité est moins grande », confirme cependant le sénateur PS, candidat à son renouvellement, « il faut convaincre les grands électeurs. Mais il faut faire le travail, pendant les six années de mandat. Et moi, je ne regarde pas la couleur du maire qui me demande une intervention ». Autrement dit, pour les sénatoriales, « il ne faut rien négliger, parler à tous les élus et être là pour tous les élus ».

S’il ressent aussi cette part d’incertitude, Rachid Temal tient à minimiser l’image qu’on peut se faire parfois des sénatoriales :

 Je n’ai jamais pensé qu’il y a un bouton magique, puis les gens suivent, que l’armée se lève. C’est aussi une légende, qu’il ne faut pas surjouer. Je pense que l’évolution est modérée. 

Rachid Temal, sénateur PS du Val-d'Oise.

Reste que quelques surprises ne sont pas exclues. A l’image des swing states, ces grands électeurs indécis ou moins politisés peuvent faire ou défaire un siège. « Dans des endroits où l’ordre d’arrivée se joue parfois à quelques dizaines de voix, c’est sûr que si vous faites bouger 15 voix d’un côté ou de l’autre, ça peut avoir des impacts », reconnaît Rachid Temal. Pas de quoi créer de bouleversement au Palais du Luxembourg. La majorité sénatoriale de Gérard Larcher y est solidement ancrée. Mais suffisamment pour mettre une dose d’incertitude dans le scrutin.

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