Situation inédite. Avant même le communiqué officiel de l’Elysée, Marlène Schiappa dresse un mini-bilan de ses années au gouvernement. « Je suis à l’aube de ma septième année en tant que membre du gouvernement. C’est un engagement important […] Je n’ai pas toujours tout réussi, mais en tout cas, j’ai toujours essayé », a-t-elle déclaré au micro de BFM-TV.
La secrétaire d’Etat chargée de l’Economie sociale et solidaire et de la Vie associative, Marlène Schiappa ne fait pas évidemment pas publiquement le lien entre son départ et l’affaire du Fonds Marianne, révélée par la presse et décortiquée par la commission d’enquête sénatoriale qui a remis un rapport accablant à son endroit il y a quelques jours.
En avril 2021, à l’époque ministre déléguée en charge de la Citoyenneté, Marlène Schiappa avait lancé en grande pompe ce fonds doté de 2,5 millions d’euros afin de financer des associations pour promouvoir les valeurs de la République et pour lutter contre les discours séparatistes, notamment sur les réseaux sociaux et les plateformes en ligne. Une réponse politique à l’assistanat de Samuel Paty qui a bouleversé la France entière quelques mois plus tôt.
La ministre a « outrepassé » son rôle, pour le Sénat
Mais en mai dernier, des révélations dans la presse pointent l’utilisation de ces fonds par deux associations. L’USEPPM (Union Fédérative des Sociétés d’éducation physique et de préparation militaire), qui s’est vue attribuer une dotation de 355 000 euros (elle ne touchera finalement que 275 000 euros) et a essentiellement utilisé l’argent versé pour rémunérer deux de ses dirigeants, le président Cyril Karunagaran et Mohamed Sifaoui, journaliste, et à l’époque directeur des opérations de l’association. La deuxième association « Reconstruire le commun » a quant à elle bénéficié d’une subvention de 333 000 euros alors qu’elle n’avait aucune activité connue. De plus, cette association a développé des « contenus politiques à l’encontre d’opposants d’Emmanuel Macron pendant les campagnes présidentielle et législatives ».
Au Sénat une commission d’enquête se met en place et l’inspection générale de l’administration (IGA) lance également une enquête spécifiquement sur le cas de l’USEPPM. Dans le même temps, le parquet national financier (PNF) ouvre une information judiciaire pour des soupçons de « détournement de fonds publics par négligence », « abus de confiance » et « prise illégale d’intérêts ».
Marlène Schiappa, elle, assure sa défense dans les médias, notamment sur le plateau de Public Sénat pour réfuter « tout copinage et favoritisme » dans le processus de sélection. « Je n’ai pas choisi les associations », martèle-t-elle.
Quelques jours avant son audition par la commission d’enquête du Sénat, le premier rapport de l’IGA semble aller dans son sens en soulignant que la ministre s’était « effacée » de l’appel à projets une fois le processus lancé. Devant les élus, la ministre s’appuiera sur le rapport pour se défausser sur son administration. D’autant que le premier rapport de l’IGA a entraîné la démission immédiate de Christian Gravel, le secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) qui pilotait le projet.
« Fiasco »
Mais au fil des auditions, les travaux du Sénat vont mettre à jour une réalité tout autre et pointer la responsabilité politique de la ministre dans ce « fiasco ». « Il apparaît en effet très clairement que le cabinet de la ministre et la ministre ont outrepassé leurs rôles en appuyant d’abord la candidature de l’USEPPM en amont du comité de sélection, en revenant sur l’octroi d’une subvention de 100 000 euros à l’association SOS Racisme alors même qu’une décision favorable du comité de sélection était intervenue, et en intégrant (au projet) à leur entière initiative, une dernière association (la chance pour la diversité dans les médias) » avait souligné lors de la présentation du rapport de la commission, Claude Raynal, le président socialiste de la commission d’enquête, dénonçant « le fait du Prince ».
Christian Gravel avait indiqué aux sénateurs avoir reçu un appel téléphonique de Mohamed Sifaoui avant la tenue du comité de sélection du Fonds Marianne. Le journaliste lui avait précisé sortir d’un rendez-vous avec la ministre qui lui avait fait comprendre « que par son statut, son implication et son investissement il avait toute sa place », pour prétendre à une subvention du Fonds Marianne.
Le rapport de l’IGA fait état de 6 réunions entre le journaliste et le cabinet de la ministre entre mars et avril 2021, ce qui témoignerait d’un appel à projets biaisé. Devant la commission, la ministre a bien reconnu avoir « encouragé » Mohamed Sifaoui à postuler au Fonds Marianne, mais a nié avoir demandé que son dossier soit « priorisé ».
Quant à SOS Racisme, l’ancien directeur de cabinet de la ministre, Sébastien Jallet avait révélé à la commission que Marlène Schiappa était bien intervenue pour lui refuser une subvention de 100 000 euros préconisée par son administration, pour des raisons « d’un historique de relation ». La ministre avait reconnu du bout des lèvres avoir arbitré dans un sens défavorable car le projet de l’association comportait des actions de sensibilisation sur les réseaux – conformément à l’appel d’offres – mais également des actions de terrain dans les quartiers de reconquête républicaine. Or, cet aspect était mené par une structure financée par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). « J’émets, manifestement je n’en ai pas le souvenir, mais manifestement j’émets un avis défavorable en disant que pour moi, ce n’est pas un projet à retenir », avait relaté la ministre, en basant « sur les échanges écrits » de cette période.
Contrôle « lacunaire » des porteurs de projets
Pour les sénateurs, la responsabilité de Marlène Schiappa est également engagée dans le contrôle de l’action des associations subventionnées. « L’administration n’est pas la seule fautive dans le contrôle des associations. Les échecs du Fonds Marianne sont tout autant le résultat du manque d’intérêt du pouvoir politique dès après la sélection des projets. Est-ce un déni de responsabilité ? », s’était interrogé le rapporteur LR de la commission, Jean-François Husson avant de livrer son sentiment, celui d’un Fonds Marianne « conçu comme une grande opération de communication par la ministre, alors que la discrétion, l’efficacité auraient sûrement dû constituer les lignes directrices majeures ».
Ce sont les productions de l’USEPPM et de « Reconstruire le commun » qui sont ici mises en cause. Pour la première association, la commission d’enquête a relevé que le projet s’est progressivement arrêté entre janvier et mars 2022. Le budget du projet était sous exécuté, ce qui n’a pas empêché le secrétariat général du CIPDR de proposer, en mars 2022, un avenant visant à prolonger la convention de plusieurs mois. Concernant l’association « Reconstruire le commun », aucun avertissement écrit « n’a été formalisé concernant les contenus produits par l’association et qui visait des personnalités politiques. « Un ministre placé à la tête de son administration est responsable de l’action de celle-ci », avait rappelé Claude Raynal.
Enfin, un second rapport de l’IGA publié le même jour que le rapport de la commission du Sénat revient en partie sur ses premières conclusions. « La mission indiquait dans son premier rapport que, selon les témoignages qu’elle avait jusqu’alors recueillis, l’ancienne ministre déléguée chargée de la citoyenneté, une fois passée l’annonce officielle de l’appel à projets, s’était effacée du processus. Les auditions renouvelées des anciens membres de son cabinet conduisent, cependant la mission à nuancer cette énonciation initiale », peut-on lire.
L’IGA fait ici référence à un mail envoyé après une réunion tenue en présence de la ministre, dans lequel il est demandé au CIPDR d’écarter la candidature d’SOS racisme au profit « d’une asso de journalistes qui fait de l’éducation aux médias ». Ce même mail demande à l’administration d’intégrer un 18ème Lauréat au Fonds Marianne, l’association Alma dont le projet avait initialement été retenu par FIPDH et non par le Fonds Marianne.
Quelles suites judiciaires ?
Le Sénat a fait le choix de ne pas saisir le procureur de la République pour de probables faux témoignages, estimant qu’il est juridiquement difficile à établir. Les faux témoignages devant une commission d’enquête, aussi appelés « parjures » sont passibles de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Toutefois, Jean-Claude Raynal a saisi le PNF d’un complément d’informations en lui transmettant un certain nombre d’informations.
L’entourage de la ministre avait également réagi lors de la conférence de presse de remise du rapport de la commission d’enquête du Sénat, jugeant son rapport « très politique ». « Je trouve ça petit et pas à la hauteur. Ce n’est pas au niveau du sujet sur lequel on travaille. On a fait notre travail de manière mesurée en résistant à toutes les provocations », a répondu Jean-François Husson en invitant la ministre et son entourage « à éviter de rentrer dans des polémiques inutiles ».
Interrogée dans Corse Matin, il y a quelques jours, la ministre estimait être sortie par le haut de cette affaire. « Ma probité est intacte et c’est cela qui m’importe », faisait-elle mine de se réjouir.