Medecin Generaliste – nouvelle grille tarifaire

« Ils jouent un jeu très dangereux » : les annonces du gouvernement sur la santé provoquent la colère des médecins libéraux

Les récentes annonces du gouvernement en matière d’accès direct à des spécialistes de santé ont été accueillies avec stupéfaction par les syndicats de médecins. Après plusieurs mois de négociations tendues sur la future convention avec l’Assurance maladie, certains ont claqué la porte.
Guillaume Jacquot

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Le torchon brûle entre les médecins et le gouvernement. Les annonces déclinées par Gabriel Attal dans la presse quotidienne régionale sur le système de santé ont fait l’effet d’une bombe dans les cabinets médicaux. Pourtant, peu de nouveautés dans sa feuille de route visant à améliorer l’accès aux soins, et libérer du temps médical. Le Premier ministre a, pour l’essentiel, apporté des détails sur des mesures évoquées au moment de son discours de politique générale en janvier. D’autres mesures de simplification, déjà prévues par des lois promulguées l’an dernier, ont été confirmées.

Certains antibiotiques seront délivrés directement en pharmacie, comme l’a prévu la dernière loi de financement de la Sécurité sociale. Et surtout, à partir de juin, le gouvernement lancera deux expérimentations dans 13 départements. L’une permettra aux patients d’accéder directement à un kinésithérapeute, sans disposer d’une ordonnance. C’est l’une des dispositions majeures de la Rist du 19 mai 2023, dont le décret d’application n’a toujours pas été publié. Le texte, qui avait déclenché une levée de boucliers chez les médecins, permettra de se rendre directement chez certains professionnels paramédicaux, à condition qu’ils exercent en établissement ou dans une structure d’exercice coordonné.

Autre expérimentation, aux conséquences plus profondes, annoncée par le Premier ministre : la possibilité pour des patients de se rendre chez des spécialistes, « sans forcément passer par un généraliste au préalable ». Ce qui reviendrait à remettre en cause ce qui fonde l’organisation du système de santé depuis 20 ans, à savoir un parcours de soins coordonnés dans lequel le patient est incité financièrement à consulter en premier lieu son médecin traitant.

Autant de dispositions qui ne passent pas du tout dans les rangs des syndicats de médecins. « Ces mesures sont le plus souvent illusoires, souvent démagogiques et parfois dangereuses », a réagi avec « consternation » MG France, ce dimanche. Le premier syndicat de médecins généralistes a décidé dans la foulée de « suspendre » sa participation aux négociations conventionnelles menées avec l’Assurance maladie, le temps d’obtenir des « clarifications » et des « engagements forts sur le médecin traitant ». Pour la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français), autre organisation de poids, le gouvernement a fait le choix de « saboter les négociations conventionnelles ».

« Entre incompréhension et colère »

« On est entre incompréhension et colère. Ces décisions sont totalement incohérentes », conteste également auprès de Public Sénat, Jérôme Marty, le président du syndicat l’UFML. « On a mis des années à constituer la médecine de premier recours, à travers le rôle de coordonnateur du médecin généraliste, en se servant de sa capacité à examiner les gens », défend le médecin.

Outre ce qu’ils perçoivent comme une remise en cause de leur mission, les médecins généralistes redoutent que cet accès simplifié aux spécialistes provoque finalement des résultats inverses à ceux escomptés. Le gouvernement espère « reconquérir 15 à 20 millions de rendez-vous chez le médecin » dès cet été, mais le problème pourrait se déplacer chez les spécialistes. « Alors qu’il y a actuellement un filtre, il faut entre un et six mois pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste. Si l’accès est direct, il faudra deux années, c’est totalement incohérent », se projette le docteur Jérôme Marty.

« On va se trouver avec des consultations de spécialistes embouteillées. Les kinésithérapeutes sont déjà débordés. En quoi cela va améliorer l’accès aux soins des patients qui en ont le plus besoin. En plus, les déserts médicaux sont souvent des déserts de spécialistes », souligne auprès de Public Sénat le docteur Sophie Bauer, présidente du Syndicat des Médecins Libéraux.

Certains syndicats ont d’ailleurs une autre lecture des propositions avancées par le Premier ministre, dans un contexte de dégradation des comptes de la Sécurité sociale. « Sous couvert d’accès aux soins, ils recherchent des économies », estime la chirurgienne. La présidente du SML rappelle le système des tarifs conventionnels. Lorsqu’un patient est aiguillé chez un spécialiste par son médecin traitant, le spécialiste bénéficie d’un tarif « APC » (avis ponctuel de consultant au cabinet) de 56,50 euros. Avec un accès direct, la consultation du spécialiste sera facturée 30 euros.

Les syndicats dénoncent le « paradoxe » entre la faible revalorisation des cliniques et l’accès direct aux spécialistes

Dans ce contexte, les syndicats rappellent également la surprise, au début du mois d’avril, de la faible revalorisation accordée aux cliniques. Les tarifs de ces établissements privés vont être revalorisés de 0,3 %, quand ceux de l’hôpital public et du secteur non lucratif vont bénéficier de 4,3 %. Or, de nombreux spécialistes exercent actuellement dans des cliniques. « Le même gouvernement qui va favoriser l’accès aux spécialistes, va tuer des centaines d’établissements privés. On ne peut pas accepter que l’on mette en péril l’exercice de milliers de spécialistes », s’exclame Jérôme Marty (UFML).

« C’est une décision non concertée, ni avec les cliniques, ni avec les praticiens qui y travaillent. Il y a 50 % de cliniques dans le rouge, certaines vont passer en liquidation. On va perdre notre outil de travail, c’est inadmissible », ajoute Sophie Bauer du SML. La Fédération de l’hospitalisation privée a promis « une grève totale à partir du 3 juin » pour protester contre le choix de l’exécutif.

Après un bras de fer ces derniers mois au sujet de la revalorisation des consultations des généralistes à hauteur de 30 euros, une autre annonce de Gabriel Attal est mal vécue. Matignon s’engage à faire passer la prise en charge par l’État des séances chez les psychologues de 30 à 50 euros, soit un niveau bien supérieur à ce que pourraient toucher des médecins traitants. « D’un côté il n’y a pas d’argent pour les consultations médicales, mais de l’autre, il y a 50 euros pour des gens qui, je le rappelle, ne sont pas professionnels de santé », dénonce Sophie Bauer.

« Gabriel Attal et ses ministres savent qu’ils vitrifient toute possibilité de négociation conventionnelle »

Pour Jérôme Marty, cette rupture entre le syndicat majoritaire et le gouvernement était calculée. « L’ADN de MG France, le syndicat majoritaire, c’est précisément le rôle du médecin traitant. En faisant ça, Gabriel Attal et ses ministres savent qu’ils vitrifient toute possibilité de négociation conventionnelle. Ce faisant, s’il n’y a pas de négociation, il n’y a pas d’augmentations tarifaires, et l’État économise des milliards d’euros. C’est la deuxième fois qu’ils bousillent les négociations, ils jouent un jeu très dangereux », enrage le médecin.

L’augmentation du nombre de places pour les études en médecine, à 16 000 en 2027 (contre 8 000 en 2017) laisse également sceptiques les représentants de la profession. « Tout ça est de la mesure d’affichage. La médecine, c’est un compagnonnage qui se fait auprès du lit du malade. Si vous ne doublez pas le nombre de chargés d’enseignement, vous allez faire tomber la qualité de la formation. La formation, ce n’est pas que du cours magistral », prévient Jérôme Marty.

Reste la taxe « lapins », qui trouve grâce aux yeux de plusieurs syndicats. Mais plusieurs organisations se disent sceptiques quant à l’efficacité de la contribution demandée aux patients qui n’honorent pas leurs rendez-vous. Son montant (5 euros), tout comme ses modalités sont notamment pointés du doigt (lire notre article).

Invité de la matinale de France Info ce matin, le ministre de la Santé Frédéric Valletoux s’est employé à rappeler l’importance des médecins traitants dans l’architecture du système de santé. « L’importance du médecin traitant, elle est essentielle. Notre système est bâti autour de ça. On ne peut faire monter en compétences les autres professionnels que si on assure et on reconnaît le rôle du médecin traitant », a déclaré celui qui a présidé pendant des années la Fédération hospitalière de France.

Il faudra sûrement d’autres gages pour que les négociations reprennent. « On ne demande pas mieux de reprendre le dialogue avec la Caisse d’Assurance maladie, mais il faut que le gouvernement arrête de saboter quand on négocie », demande Sophie Bauer.

Son confrère Jérôme Marty met en garde, lui, contre un vaste mouvement de déconventionnement des médecins, si le gouvernement n’infléchit pas sa ligne. « Les médecins déconventionnés sont passés de 500 à plus de 1 000 en quatre ans. Il y a 5 100 lettres de médecins prêts à sauter le pas. »

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