« Nous pourrions nous trouver, dans 15 ans, devant les mêmes difficultés qu’avec le manque de médecins », alerte l’Ordre des infirmiers

Auditionnés au Sénat, plusieurs ordres professionnels de santé ont regretté l’absence de mesures structurantes dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, resserré cette année pour l’essentiel sur des mesures budgétaires. Plusieurs interlocuteurs ont insisté sur la nécessité de raisonner à l’échelle pluriannuelle, à travers une grande loi d’orientation.
Guillaume Jacquot

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Préparé dans un temps très court par le gouvernement Barnier, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 ne ressemble pas à ceux qui l’ont précédé ces dernières années. Texte resserré, avec seulement 32 articles, ce PLFSS est essentiellement centré sur des mesures financières – en particulier d’économies – et comporte relativement peu de réformes de fond. Plusieurs ordres professionnels de soignants, auditionnés ce 29 octobre, devant la commission des affaires sociales du Sénat, ont regretté la teneur générale du projet de loi.

Un texte essentiellement budgétaire, qui génère de la « frustration »

Pour Alain Delgutte, membre du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, ce texte ne comporte pas de « mesures structurantes en termes d’accès à la santé ». « Il n’y a pas grand-chose de nouveau dans ce PLFSS », a également pointé Luc Peyrat, pour le compte du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes. « Les articles se concentrent exclusivement sur des orientations purement budgétaires, et n’apportent pas en l’état de propositions structurantes, source d’optimisation financière à court ou moyen terme », s’est inquiété à son tour Guillaume Brouard, de l’ordre des pédicures-podologues. « Nous ne pouvons plus nous contenter de petits pas, de demi-mesures et d’expérimentations. Maintenant, il y a urgence », a ajouté Sophie Di Giorgio, du Conseil national de l’ordre des masseurs- kinésithérapeutes.

Le président LR de la commission, Philippe Mouiller, et la rapporteure de la branche maladie de la Sécurité sociale, Corinne Imbert, ont également souligné l’absence de mesures structurantes dans ce projet de loi. « Là, on reste sur notre faim », a résumé cette dernière, consciente d’un objet qui « génère de la frustration » au sein des différentes communautés de soignants.

« Une loi de programmation pour la santé, vite »

Certains interlocuteurs ont saisi de l’occasion de cette table ronde pour encourager le gouvernement à déposer un projet de loi d’orientation en santé. « Une loi de programmation pour la santé, vite », c’était le cri lancé par les principales organisations du secteur fin septembre, dans une lettre ouverte à destination de la ministre Geneviève Darrieussecq. « Une loi d’orientation en santé serait de nature à fédérer le monde de la santé, dans une période où les lois de financement de la Sécurité sociale sont particulièrement contraintes », a fait savoir le représentant de l’Ordre des pédicures-podologues. Pour lui, ce texte serait de nature à engager le sujet de la prévention et d’évaluer de façon « plus pertinente » les impacts financiers de chaque loi annuelle de financement.

Préoccupée par l’absence de dispositions dans le projet de loi concernant sa profession, la présidente du Conseil national de l’ordre des infirmiers a également lancé un appel pour une loi de programmation dans la santé. « Nous vous alertons sur les dangers d’une évolution démographique des infirmiers qui serait insuffisante. Actuellement, les projections que nous faisons nous amènent à penser que nous pourrions nous trouver, dans 15 ans, dans les mêmes difficultés que nous nous sommes trouvés avec le manque de médecins », a alerté Sylvaine Mazière‑Tauran.

Plusieurs députés vont d’ailleurs porter le sujet à l’Assemblée nationale cette semaine, par le biais d’amendements. « Sur une programmation pluriannuelle, seul le gouvernement peut se donner une injonction à lui-même », a toutefois rappelé le président de la commission, Philippe Mouiller. Le sénateur des Deux-Sèvres en a profité pour rappeler les limites en termes d’amendement. Outre le traditionnel verrou budgétaire, qui impose aux parlementaires de ne pas aggraver les dépenses, les amendements ne peuvent être recevables uniquement s’ils portent sur un sujet traité par un article. « La mécanique budgétaire est contrainte habituellement. Cette année, elle est extrêmement contrainte », a-t-il rappelé aux ordres.

L’Ordre des médecins très critique sur l’article 16 du projet de loi

Au chapitre de la pertinence des prescriptions, la rapporteure de la branche maladie a sondé les ordres sur l’une des mesures sensibles du projet de loi, à l’article 16, qui impose aux médecins de motiver les circonstances les conduisant à prescrire un moyen de transport, des analyses biologiques ou un acte d’imagerie. Ces domaines n’étaient pas pris en compte dans les actes faisant actuellement l’objet d’une autorisation. On y retrouve par exemple la prescription de médicaments coûteux ou encore les transports sanitaires de longue distance.

Pour les trois nouveaux domaines visés, la prise en charge par la Sécurité sociale serait conditionnée par la transmission d’un formulaire, et les informations renseignées devront être conformes aux recommandations de la Sécurité sociale. À l’Assemblée nationale, des députés de toutes tendances se sont opposés à l’article, et une majorité s’est formée pour supprimer l’article en commission. « On va repartir sur les ententes préalables qui font perdre aux professionnels un temps démentiel, qui font perdre du temps à l’Assurance maladie, qui n’est plus en capacité », s’est exclamé le professeur Stéphane Oustric, représentant le Conseil national de l’ordre des médecins.

Les ordres ont également été invités à réagir au projet de relèvement du ticket modérateur. Plus simplement, il s’agit de la baisse de la prise en charge de la Sécurité sociale pour le remboursement des consultations médicales. « Tous les Français ne bénéficient pas d’une mutuelle », a rappelé Isabelle Derrendinger, du Conseil national de l’ordre des sages-femmes, dont les consultations seraient elles aussi visées par ce changement.

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