Culture : la Cour des comptes pointe un défaut de pilotage dans l’utilisation des crédits exceptionnels depuis 5 ans

La commission des Finances du Sénat avait diligenté une enquête auprès de la Cour des comptes sur l’utilisation des crédits exceptionnels alloués à la culture et aux industries créatives. Devant les élus, Pierre Moscovici a présenté un rapport très critique sur la gestion de ces crédits qui échappent au ministère.
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3 milliards d’euros, l’équivalent du budget annuel dédié au ministère de la culture, c’est ce que représente la part des crédits dits « exceptionnels » dédiés au secteur entre 2017 et 2022. « Le rôle du Parlement dans cette procédure ne doit pas être réduit à l’adoption d’enveloppes globales, d’autorisations d’engagement sur lesquelles il est bien difficile d’avoir des informations précises », a rappelé en Claude Raynal, président socialiste de la commission des finances, en introduction d’une audition de Pierre Moscovici. C’est parce que la gestion et l’exécution de ces crédits, dont les montants sont loin d’être anodins, est avant tout interministérielle, que la commission a diligenté une enquête auprès de la Cour des comptes. Son premier président remettait son rapport ce mercredi, au titre évocateur : « Les crédits exceptionnels à la culture et aux industries créatives : des moyens considérables, une logique de guichet, un contrôle insatisfaisant – 2017-2023 ».

« Les plans d’investissements ont surtout servi à financer des opérations patrimoniales importantes »

Sur les 3 milliards de crédits qui se sont ajoutés au budget de la culture ces 5 dernières années, 1,6 milliard correspond au plan de relance pour accompagner la sortie de crise Covid, et 1,5 milliard se rapporte aux programmes d’investissement d’avenir (PIA) et au plan France 2 030.

Le plan de relance adopté dans le cadre de la loi de finances pour 2021 « a davantage contribué à la sauvegarde des revenus du secteur culturel qu’à sa transformation structurelle », note tout d’abord Pierre Moscovici. « Ce qui est extrêmement salutaire dans une situation ou ceux-ci s’effondraient. L’Etat a été réactif. C’est un apport incontestable », « mais sa mise en œuvre a été guidée par une logique de dépenses plus qu’une logique de besoins réels », ajoute-t-il. Le plan de relance n’a pas suffisamment accompagné les mutations des industries culturelles comme la presse, la musique ou le livre, pourtant fortement dotés en crédits. « Par ailleurs, une partie des crédits du plan de relance a été utilisé pour boucler les plans de financement de grands travaux d’opérateurs culturels ou pour anticiper des travaux. Ainsi, le château de Versailles a vu sa subvention d’investissement quadrupler en 2021. L’établissement a même pu financer des travaux qui auraient pu être effectués à échéance de 20 ans », a-t-il souligné. Certains crédits n’ont pas non plus été restitués au budget l’Etat quand bien même la situation des opérateurs se serait améliorée après la crise sanitaire. La Cour recommande donc de prévoir une procédure explicite de restitution ou de réallocation des crédits exceptionnels non utilisés.

En ce qui concerne les plans d’investissements, la Cour relève que les crédits ont été utilisés pour des objets éloignés de leur objectif premier, le soutien à l’innovation, ou accordé sans prise en compte suffisante du risque. Les plans d’investissements ont surtout servi à financer des opérations patrimoniales importantes. 190 millions d’euros ont été alloués pour les restaurations du Château de Villers-Cotterêts et du Grand Palais. « Patrimoine et innovation peuvent faire bon ménage ? Je laisse chacun évaluer quel est l’équilibre entre les deux », a commenté Pierre Moscovici.

« Défaut d’évaluation du risque par la Caisse des dépôts »

D’autres secteurs ont été financés sans pour autant faire partie des industries culturelles et créatives, comme « les produits de consommation éthique de l’industrie de la confection », « ou des actifs virtuels sur le marché de la mode ». Une part importante de la gestion des plans d’investissement d’avenir confiée à la Caisse des dépôts et Bpifrance s’est aussi révélés risqués. Des entreprises au modèle économique fragile ont été soutenues

L’appel à manifestation d’intérêt « Culture, patrimoine, numérique » doté de 140 millions d’euros a conduit cinq des quatorze sociétés lauréates en placement en procédure collective, au printemps 2023, soit un taux de sinistralité de 35 %, largement supérieur à la moyenne. « Cette proportion de défaillance découle d’un défaut d’évaluation du risque par la Caisse des dépôts », constate la Cour.

Enfin, en ce qui concerne France 2030, « l’insuffisante analyse des besoins réels du secteur débouche sur une sous-consommation de certains volets du plan. Ainsi, seuls 193 millions d’euros sont d’ores et déjà engagés pour 553,4 millions d’euros prévus », note le rapport.

« En définitive, nous constatons que le mode de pilotage de ces fonds a largement dessaisi le ministère de la culture, de la conception, de la mise en œuvre et de l’évaluation de la politique culturelle », conclut Pierre Moscovici.

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