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Dissolution de l’Assemblée : quels sont les cinq précédents sous la Ve République ?

Après la lourde défaite de la majorité aux élections européennes, le président de la République a annoncé, dans une allocution solennelle de 5 petites minutes, dissoudre la chambre basse du Parlement, annonçant dans la foulée la convocation de nouvelles élections législatives, les 30 juin et 7 juillet prochains. Le mécanisme, déclenché à cinq reprises depuis 1958, n’a cependant pas toujours été couronné de succès pour le pouvoir en place. Retour sur ces cinq précédents.
Alexis Graillot

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« J’ai décidé de vous redonner le choix de votre avenir parlementaire par le vote. Je dissous donc ce soir, l’Assemblée nationale ». Ce dimanche 9 juin, sur les coups de 21 heures, Emmanuel Macron a provoqué une onde de choc politique, en annonçant déclencher l’article 12 de la Constitution, permettant au président de la République de mettre fin à la législature.

Une décision qui fait suite à un camouflet électoral quasi-historique, puisque presque 17 points séparent le RN (31.3 %) de la majorité présidentielle (14.6 %), à l’issue de ces élections européennes. Une défaite politique cuisante pour le chef de l’Etat qui s’est résolu à dissoudre l’Assemblée nationale, la sixième fois pour un président en exercice sous la Ve République. Un événement qui n’est donc pas inédit, mais qui revêt, dans le contexte du quinquennat, une tonalité toute particulière. Retour sur ces cinq précédents où les locataires de l’Elysée ont mobilisé cet outil constitutionnel.

1962 et 1968 : le plébiscite populaire

1962 constitue une année charnière sous la Ve République, puisqu’elle marque l’instauration du suffrage universel direct pour l’élection du président de la République, l’élection présidentielle de 1958 se déroulant par le biais du vote de grands électeurs. Une réforme qui ne s’est pourtant pas faite sans accroc. Mécontente d’une décision qui retire un certain pouvoir aux parlementaires, une vaste coalition est formée par les radicaux, les socialistes, les chrétiens-démocrates et les indépendants, afin de faire tomber le gouvernement mené par Georges Pompidou. La motion de censure, votée le 5 octobre de la même année, à 280 voix (sur 480 députés à l’époque), renverse l’exécutif, provoquant derechef la dissolution de l’Assemblée nationale, décrétée par Charles de Gaulle. Une initiative couronnée de succès puisque la majorité présidentielle dispose, à la suite de ces élections, d’une majorité absolue à 268 élus (contre 212 pour la précédente législature). A contrario, indépendants et chrétiens-démocrates s’effondrent, perdant respectivement 97 et 20 députés.

Différentes causes, mais mêmes effets, six ans plus tard. Après la crise de mai 1968, le général de Gaulle décide de former l’Union pour la défense de la République (UDR), qui regroupe les gaullistes de différentes sensibilités, autour du Premier ministre sortant, toujours Georges Pompidou. Le mot d’ordre est clair : rétablir l’ordre et lutter contre les socialistes et communistes, que l’exécutif juge responsables de l’embrasement de la situation. La manœuvre politique est audacieuse, alors que les accords de Grenelle viennent tout juste d’être conclus, marquant une victoire historique pour les syndicats de travailleurs, autour d’une hausse de 35 % du salaire minimum, ainsi que de 10 % en moyenne sur les autres salaires. L’appel de l’exécutif est entendu par les électeurs, qui se mobilisent en masse pour les élections (80,01 % de participation), et donnent une victoire écrasante à la majorité présidentielle, qui recueille plus des ¾ des sièges pourvus (367 sur 487), obtenant près de 50 % des suffrages exprimés dès le premier tour. Derrière, les partis de gauche s’écroulent, socialistes et communistes perdant plus de la moitié de leurs sièges. Ce scrutin marque également un fait inédit, puisque pour la première fois, un parti conquiert la majorité absolue à la chambre basse, en l’espèce l’Union des démocrates pour la République (UDR), qui obtient à elle seule, 293 sièges.

1981 et 1988 : la suite logique de l’élection présidentielle

Décisions politiques pour Charles de Gaulle, décisions davantage prises pour une certaine logique institutionnelle par François Mitterrand. Avant 2000, le président de la République était en effet élu pour 7 ans, alors que le mandat de député ne s’échelonnait que sur 5 ans. Une absence de concordance entre les élections présidentielles et législatives, non sans conséquence à l’occasion de l’élection de François Mitterrand, qui marque pour la première fois, l’accession d’un candidat socialiste à l’Elysée. De fait, l’Assemblée nationale, élue en 1978, et dominée par la droite, est dissoute par le nouveau président de la République. Les Français suivent la logique institutionnelle, et lui accordent une majorité confortable de 329 députés, reléguant la droite chiraquienne à quelque 150 élus.

En 1988, la donne est quelque peu différente, puisque si François Mitterrand est réélu à l’Elysée, le président socialiste sort de deux années très compliquées. La nomination de Jacques Chirac à Matignon marque la première cohabitation de l’histoire de la Ve République, la droite ayant gagné les élections législatives de 1986. Si la gauche de gouvernement remporte ces nouvelles élections, le succès est très modeste, puisque celle-ci ne recueille que 275 députés (sur 575), échouant à obtenir la majorité absolue. Derrière, la droite suit de très près et recueille 271 députés. Cette législature sera notamment marquée par un nombre record du déclenchement de l’article 49-3 de la Constitution, permettant de faire passer un texte en force. L’exécutif dégainera en effet cette arme à 39 reprises en l’espace de cinq ans, dont 28 fois pour le seul gouvernement de Michel Rocard (1988-1991).

1997 : le pari raté de Jacques Chirac

La dissolution de 1997 s’opère en revanche dans un contexte très différent. Contrairement à François Mitterrand, Jacques Chirac bénéficie, au moment de son accession à l’Elysée, en 1995, d’une très large majorité parlementaire, disposant de 483 députés sur les 577 composant l’Assemblée nationale. Le président de la République de l’époque fait alors le choix de s’appuyer sur cette répartition législative pour gouverner. Problème, celle-ci doit prendre fin en 1998, ce qui pousse Jacques Chirac à une dissolution anticipée, début juin 1997, au regard de la rentrée politique de septembre qui s’annonçait houleuse pour l’exécutif.

Donnée en tête des intentions de votes jusqu’aux derniers jours de la campagne, la gauche plurielle déjoue cependant les pronostics, infligeant au chef de l’Etat, une défaite cinglante, puisque la droite perd 221 députés, tandis que la gauche en gagne 215 de son côté. De facto, la gauche dispose désormais de la majorité absolue pour gouverner, contraignant le président de la République à nommer son opposant socialiste, Lionel Jospin à Matignon, pour la plus longue cohabitation sous la Ve République, celle-ci durant de 1997 à 2002.

Ce cas de figure inédit n’est pas sans conséquence institutionnelle, puisque trois ans plus tard, sera votée par référendum, l’instauration du quinquennat, ultime étape du « parlementarisme rationalisé ». Dès lors, le « fait majoritaire présidentiel » devient quasi-automatique, les élections législatives se déroulant désormais, quelques semaines seulement après l’élection présidentielle.

2024 : le « coup de poker » d’Emmanuel Macron

L’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier en 2000, se promettaient dès lors, de rendre automatiques, la présence d’une majorité absolue pour le président de la République élu. Cependant, les théoriciens de cette réforme constitutionnelle n’avaient sans doute pas imaginé le phénomène d’usure du pouvoir, susceptible de peser sur un président réélu. En effet, pour la première fois depuis l’instauration du quinquennat, Emmanuel Macron a été reconduit dans ses fonctions pour un deuxième mandat, après un report des voix d’une partie des électeurs de gauche au deuxième tour de l’élection présidentielle, pour faire rempart à Marine Le Pen.

Les élections législatives qui faisaient suite s’annonçaient donc périlleuses pour l’exécutif sortant, alors que l’ensemble des partis de gauche avait fait front, sous la bannière de la NUPES, afin de présenter uniquement un candidat de gauche dans chacune des circonscriptions. Obtenant 131 députés, l’alliance de gauche réussit à moitié son pari, doublant son nombre de députés par rapport en 2017. Cependant, la poussée du RN (89 députés) et la résistance relative des LR (64 députés), ne sont pas sans conséquence pour la majorité présidentielle, qui perd 106 de ses élus, et par-delà même, la majorité absolue à l’Assemblée nationale, faisant poindre le risque d’une grande instabilité parlementaire.

Finalement, les polémiques sur le fonctionnement de cette XVIe législature, marquées par des réformes impopulaires, l’utilisation massive de l’article 49-3, ou encore un grand désordre au sein de l’hémicycle, auront eu raison de la volonté pour le chef de l’Etat d’effectuer son deuxième mandat dans de telles conditions politiques, également dans un contexte marqué par l’échec cuisant des élections européennes de ce dimanche. Une décision que beaucoup d’analystes considèrent comme un « coup de poker ». Une tentative de « All-in », cependant à double tranchant. Emmanuel Macron a-t-il bien évalué la main dont il dispose, et ne prend-il pas le risque que ses adversaires fassent eux aussi « tapis » ? Une stratégie risquée qui donnera son verdict le 7 juillet prochain, à l’issue de ces nouvelles élections législatives. Une campagne « éclair » qui fera date dans la grande histoire constitutionnelle de la France et qui livrera sans aucun doute, un certain nombre de rebondissements.

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