« Bon débarras ! » L’enthousiasme est unanime dans la classe politique à l’annonce de l’éditeur de sites pornographiques Aylo (Pornhub, RedTube et YouPorn) du blocage de ces derniers à partir de demain. Il veut ainsi protester contre les mesures imposées par la France depuis la loi du 30 juillet 2020 : aucun contenu pornographique ne doit pouvoir s’afficher sur un écran tant que la majorité de l’utilisateur n’a pas été vérifiée de manière « robuste ». Une simple déclaration ne suffit plus. Cette interdiction est déjà en vigueur depuis le 11 janvier 2025.
Blocage des sites pornos : « On ne l’aurait pas mieux fait ! »
La ministre déléguée en charge de l’Egalité entre les femmes et les hommes Aurore Bergé, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot ou encore les sénatrices Laurence Rossignol et Annick Billon, co-autrices d’un rapport sénatorial sur l’industrie du porno, expriment leur soulagement. « Enfin une bonne nouvelle ! Ces sites le font d’eux-mêmes, on ne l’aurait pas mieux fait ! », se réjouit Laurence Rossignol. « C’est une grande satisfaction de voir qu’on arrive enfin à bloquer des sites hors la loi, qui diffusent des images ultra-violentes, et une image extrêmement dégradée des femmes », abonde Annick Billon. « Je suis ravie, même si l’on sait que pour le moment, cela ne s’applique qu’en France », tempère Marie Mercier, sénatrice LR de la Saône-et-Loire et autrice de l’amendement qui a interdit l’accès aux mineurs aux contenus pornographiques en 2020.
Plus de la moitié des garçons de 12 ans se rendent chaque mois sur les sites pornographiques
Le sujet est brûlant, tant les Français, en particulier les plus jeunes, consomment du porno. Selon une enquête de l’Arcom, l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, rendue publique ce mardi, plus la moitié des garçons de 12 ans se rendent en moyenne chaque mois sur les sites pornographiques. 12 % de l’audience de ces sites est constituée de mineurs en moyenne. Tous âges confondus, les hommes sont 2,5 fois plus nombreux que les femmes à les consulter chaque mois. « Les conséquences du porno sont terribles sur la société, pas seulement sur les mineurs », se désole Annick Billon.
A partir du 6 juin, l’Arcom pourra demander le blocage des sites réfractaires
Pourquoi les sites se bloquent-ils maintenant ? C’est qu’à partir du 6 juin 2025, l’Arcom pourra, après les avoir mis en demeure, bloquer les sites qui ne respectent pas leurs obligations, sans passer par une décision de justice. « Qu’ils se rebellent sur le fait de couper l’accès aux mineurs, cela montre leur absence d’éthique et d’intérêt pour la santé mentale des plus jeunes », juge la sénatrice PS du Val-de-Marne Laurence Rossignol, « ils s’imaginent qu’il y aura des manifestations dans les rues contre leur fermeture, mais cela n’aura pas lieu ». Annick Billon y voit un « coup médiatique », qui ne leur fera « pas du bien ». Elle ne décolère pas contre ces sites, qui, elle l’assure, se disaient motivés à respecter les règles, lors de leur audition devant la délégation aux droits des femmes du Sénat. « Cela montre que c’était faux et qu’il n’y a que l’argent qui les anime », peste-t-elle.
Pour se défendre, les sites en appellent à la préservation de la vie privée et de la liberté d’expression. « Je suis profondément choquée par l’argumentaire de ces sites », réagit Marie Mercier, « ce n’est pas une liberté, de gâcher la vie des enfants avec des images avilissantes ». Elle rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 5 janvier 2023, face à la question prioritaire de constitutionnalité adressée par les sites pornographiques. Il consacre que la vérification de l’âge de leurs visiteurs autre qu’une simple déclaration est « nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif de protection des mineurs ».
L’Union européenne à la manœuvre pour vérifier efficacement l’âge des utilisateurs en ligne
Autre caillou dans la chaussure de ces sites, qui ont fait de l’accès dérégulé et gratuit à un vaste choix de contenus pornographiques leur modèle économique : l’instauration prochaine par l’Union européenne d’une application de vérification d’âge. Selon une information du Financial Times, dès juillet 2025, une application permettant d’identifier l’âge de son propriétaire sera mise en service dans l’Union. L’objectif : lutter contre l’exposition des mineurs aux contenus pornographique et aux réseaux sociaux. « Il y a enfin quelque chose qui se passe », se réjouit Laurence Rossignol, « jusqu’à présent, mobiliser l’Union européenne avait été long et difficile ». Annick Billon aussi s’est sentie seule dans la lutte contre l’accès de la pornographie aux mineurs. « Il ne faut pas que la France soit le seul pays à lutter face à cette industrie tentaculaire qui a des capacités très rapides d’adaptation », explique-t-elle. Elle espère que cela incitera d’autres pays à suivre l’exemple de la France. Les deux sénatrices se félicitent d’avoir alerté sur le sujet, plaçant la France en précurseur.