Question d’actualite au Gouvernement a l’Assemblee nationale

Commission mixte paritaire : comment la fragmentation parlementaire bouscule les rouages législatifs

Les élections législatives ont également bouleversé la composition des commission mixtes paritaires. Du côté de l’Assemblée nationale, la fracturation politique oblige à la mise en place d’un système d’alternance pour garantir une forme d’équilibre dans la répartition des sièges au sein de cette instance de négociation. Conséquence : les soutiens du gouvernement n’y seront plus nécessairement majoritaires.
Romain David

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Les effets en cascade de la dissolution n’ont pas encore fini de se faire sentir sur le fonctionnement des institutions. La conférence des présidents de l’Assemblée nationale a arrêté mardi la répartition des nouveaux équilibres politiques pour les commissions mixtes paritaires. Les « CMP » constituent une étape clef du mécanisme législatif : elles permettent aux deux chambres du Parlement, le Sénat et l’Assemblée nationale, de se retrouver pour négocier un compromis en cas de blocage sur un texte. Composées de sept députés et sept sénateurs, et d’autant de suppléants, elles reflètent généralement les rapports de force au Parlement.

Mais face à l’éparpillement politique issu des législatives anticipées, l’Assemblée nationale a décidé d’attribuer son septième siège de titulaire en alternance entre le MoDem, Horizons et les écologistes. Conséquence de ce système de « tourniquet » : selon le moment où elle sera convoquée, la CMP sera plutôt acquise au gouvernement, ou à l’équilibre entre les soutiens de Michel Barnier et les oppositions. Cette situation risque d’avoir de nombreuses conséquences sur le processus législatif. Explications.

« Concilier deux objectifs »

Les commissions mixtes paritaires sont un mécanisme de stabilité parlementaire : elles offrent un point d’atterrissage entre l’Assemblée nationale et le Sénat, lorsque les deux chambres ne sont pas parvenues, au cours de la discussion en séance, à s’accorder sur la même version d’un texte de loi. Le cas échéant, le Premier ministre peut demander la réunion de cette instance pour tenter de dépasser les désaccords apparus au fil de la navette parlementaire et trouver un compromis. « Dans un contexte procédural où chaque assemblée légifère de son côté, la commission mixte paritaire, innovation de la Ve République, se révèle d’une grande efficacité, en ce qu’elle parvient à concilier deux objectifs qui, à première vue, pourraient paraître contradictoires », souligne le site du Sénat.

Si la commission mixte paritaire aboutit à un accord, ses conclusions doivent encore faire l’objet d’un vote dans chacune des deux chambres.

Ce mécanisme législatif est décrit dans l’article 45 de la Constitution. Il y est indiqué, par exemple, qu’aucun amendement ne peut être présenté en commission mixte paritaire, « sauf accord du gouvernement ». Les règlements respectifs du Sénat et de l’Assemblée nationale apportent encore quelques précisions sur la mise en œuvre des CMP. Celui de Palais Bourbon précise, notamment, que « la désignation des représentants de l’Assemblée dans les commissions mixtes paritaires s’efforce de reproduire la configuration politique de celle‑ci ».

Le Sénat comme pôle de stabilité

Une véritable gageure depuis les législatives anticipées, avec un Palais bourbon privé de majorité claire, divisé en onze groupes parlementaires, sans compter les députés non-inscrits.

D’où le principe de tourniquet retenu par la présidence de l’Assemblée nationale. Désormais, les députés seront représentés en CMP par un élu LR, un membre d’Ensemble pour la République, un LFI, un socialiste, deux élus RN et, en alternance, soit un Modem, un Horizons, ou un écologiste.

Au Palais du Luxembourg, en revanche, les choses sont plus claires : le Sénat est dominé depuis des années par une large majorité de droite et du centre, en face de laquelle les socialistes forment le premier groupe d’opposition. Les macronistes disposent aussi, depuis 2017, d’un petit groupe de 21 sénateurs.

En commission mixte paritaire, la Chambre haute envoie donc autour de la table trois élus LR, un centriste, deux socialistes et un parlementaire Renaissance. Le gouvernement peut donc compter sur au moins cinq sièges côté Sénat. En toute logique, Michel Barnier devrait largement s’adosser sur ce pôle de stabilité dans la nouvelle législature. Ce n’est certainement pas un hasard, d’ailleurs, si son équipe ministérielle compte neuf sénateurs.

En tenant compte de ces équilibres, le système de siège tournant retenu par l’Assemblée nationale instaure un mouvement inédit de bascule. Lorsque le septième siège est occupé par un membre d’Horizons ou du MoDem, les soutiens du gouvernement Barnier – à moins d’une volte-face politique – seront majoritaires au sein de la CMP, avec un total de huit parlementaires sur quatorze. Inversement, lorsque le septième siège échoit à un écologiste, les soutiens théoriques du Premier ministre se réduiront à sept élus, à égalité avec les représentants des oppositions.

Un mécanisme menacé par le grippage

La première conséquence de ce rééquilibrage des rapports de force, c’est un risque de diminution de l’efficacité des CMP, les compromis devenant plus difficiles à élaborer avec ce type de configuration. Depuis 1959, près de 70 % des CMP ont été conclusives, selon un décompte du Sénat. Un score qui est monté à 82 % sur la session 2022-2023, malgré la majorité très relative dont disposait le gouvernement à l’Assemblée nationale. Jusqu’à la dissolution, le camp présidentiel ne pouvait compter que sur cinq sièges en CMP, face à lui, les LR, additionnés aux centristes, disposaient du même nombre de voix. Néanmoins, la proximité idéologique entre ces trois camps a permis, sur de nombreux sujets, de dégager des accords.

En revanche, les années où le clivage gauche-droite a été particulièrement marqué au Parlement, notamment lorsque l’Assemblée nationale bascule à gauche face à un Sénat historiquement à droite, le taux de réussite des CMP s’effondre. Entre 1981 et 1985, il ne dépasse pas les 38 %. Même chose pour la période 1997-2002 : lors de la session 2001-2002, seules 24 % des commissions ont été conclusives.

Tractations de couloir

Par ailleurs, dans le contexte politique actuel, le jeu de tractations qui précède généralement la réunion d’une commission mixte paritaire pourrait prendre une saveur toute particulière. Deux fois sur trois, le gouvernement pourra espérer avoir une majorité, le reste du temps la situation sera bien plus aléatoire. Les débats en CMP se tiennent à huis clos. Officiellement, le gouvernement n’y siège pas, mais les suspensions de séance et quelques coups de fil opportuns permettent à l’exécutif de garder un œil sur la négociation et, parfois, d’en influer le cours.

De ce point de vue, la CMP qui s’est tenue en décembre dernier sur la loi immigration constitue un cas d’école. Après plusieurs heures de blocage, les discussions ont été officiellement suspendues dans la soirée, avant de reprendre le lendemain en fin de matinée. Mais officieusement, les tractations se sont poursuivies jusque tard dans la nuit à Matignon, dans le bureau de la Première ministre. L’exécutif voulait à tout prix obtenir le soutien des LR, à l’époque dans l’opposition, pour éviter un plantage du texte ou bien le recours à un énième 49.3.

Cette fois, il sera intéressant d’observer l’attitude du Rassemblement national (deux parlementaires en CMP), qui a affiché une certaine clémence à l’égard de l’exécutif, refusant de voter la motion de censure portée par les autres groupes d’opposition début octobre, mais menaçant à présent de ne pas voter le budget.

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