Paris: Council of Ministers

Immigration : ce qui va changer avec la nouvelle « circulaire de fermeté » de Bruno Retailleau

Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau a adressé une nouvelle circulaire aux préfets, les appelant à resserrer les critères d’octroi de titres de séjour à des étrangers sans papiers. En 2023, un peu moins de 35 000 personnes ont pu être régularisées via le pouvoir discrétionnaire des préfets, jusqu’ici encadré par des directives datant de 2012.
Romain David

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Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, avait promis de mettre fin à la circulaire Valls sur l’admission exceptionnelle au séjour, c’est désormais chose faite. Le locataire de la place Beauvau a présenté ce vendredi 24 janvier une circulaire de trois pages, dont le contenu avait déjà été dévoilé par Le Figaro et l’AFP, et qui fixe un nouveau cadre au pouvoir discrétionnaire des préfets de régulariser, de manière exceptionnelle, certains étrangers sans papiers. Envoyé aux administrations jeudi soir, son contenu durcit sensiblement les instructions qui prévalaient jusqu’à présent.

« Bien sûr que c’est une circulaire de fermeté, je l’assume totalement », a déclaré le ministre lors d’une conférence de presse en marge d’une visite à la direction des migrations de la préfecture des Yvelines. « Depuis la précédente circulaire, prise en décembre 2012, beaucoup de choses ont changé. Et d’abord le droit, il y a eu plusieurs lois immigration qui ont refondé des dispositifs », a-t-il expliqué. « Je voulais simplifier. La circulaire Valls c’était 12 pages et 27 critères, cette nouvelle circulaire, c’est trois pages », a-t-il fait valoir.

Depuis sa nomination au portefeuille de l’Intérieur en septembre par Michel Barnier, poste qu’il a conservé avec l’arrivée de François Bayrou à la tête du gouvernement, l’ancien sénateur LR a fait de la lutte contre l’immigration illégale l’un des principaux axes de son action politique. « Cette maîtrise de l’immigration est absolument fondamentale, si on ne le fait pas, on encourage un appel d’air », a encore martelé le locataire de la place Beauvau ce vendredi.

Lisser le cadre des régularisations exceptionnelles

Publiée en 2012, lorsque Manuel Valls était ministre de l’Intérieur, la circulaire Valls liste une série de critères, recoupant principalement des motifs familiaux ou professionnels, selon lesquels un étranger entré illégalement sur le territoire peut exceptionnellement solliciter auprès du préfet un titre de séjour, sans pour autant créer un droit opposable à la régularisation. Pour rappel, une circulaire n’a pas valeur de loi. Il s’agit de recommandations adressées par le ministère à ses administrations par rapport à l’interprétation d’un texte de loi ou d’un règlement, afin de permettre une application uniforme de la législation en vigueur sur le territoire national.

« L’idée sous-jacente de la circulaire Valls était déjà de faire reposer l’admission exceptionnelle au séjour à des critères d’intégration. La loi, le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), prévoit la régularisation des étrangers en situation irrégulière que ce soit par le travail ou la famille. Il appartient ensuite au ministre de l’Intérieur de fixer un cadre. Un cadre qui n’est pas opposable aux préfets », nous expliquait Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes, dans cet article.

Tour de vis

La circulaire Valls recommandait notamment de tenir compte d’une durée minimale de cinq ans de présence sur le sol français, délai allongé à sept ans par la circulaire Retailleau. Ce document fait également de la bonne connaissance de la langue française un élément central de la capacité d’insertion du demandeur, quand il n’était question jusqu’ici que « d’une maîtrise orale au moins élémentaire », appréciable au moment du dépôt du dossier. « La justification d’un diplôme français ou bien d’une certification linguistique, délivrée par un organisme dûment agréé, ou toute autre preuve d’une maîtrise de la langue devra être appréciée favorablement », lit-on dans la nouvelle circulaire.

Ce document insiste par ailleurs sur le respect de l’ordre public, c’est-à-dire l’absence de condamnations, et celui des « principes de la République », parmi lesquels la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la devise et les symboles de la République ou encore la laïcité. Ce sont les sénateurs de droite – dont Bruno Retailleau a été le chef de file jusqu’à sa nomination au gouvernement – qui ont conditionné dans la loi immigration de 2024 la délivrance d’un titre de séjour à la signature d’un contrat d’adhésion à ces principes, reprenant une liste élaborée par le Conseil d’Etat.

Bruno Retailleau demande au préfet que les refus de séjour s’accompagnent « systématiquement » d’une mesure d’obligation de quitter le territoire français, les fameuses OQTF. Alors que seulement 7 % de ces décisions d’expulsion sont mises en œuvre, le ministre de l’Intérieur s’est engagé à développer les accords de coopération avec les pays de départ afin de faciliter la délivrance des visas consulaires, indispensables pour renvoyer vers leurs pays d’origine les étrangers sans papiers.

Par ailleurs, les nouvelles directives invitent les préfets à exclure des régularisations les demandeurs déjà frappés par une OQTF. Bruno Retailleau entend ainsi lutter contre un phénomène kafkaïen souvent dénoncé à droite de l’échiquier politique : certains demandeurs produisent devant l’administration les OQTF auxquelles ils ont réussi à se soustraire comme justificatifs de leur présence sur le sol français depuis un certain nombre d’années.

Un enjeu de main-d’œuvre dans les secteurs en tension

« L’objectif, c’est de diminuer l’immigration illégale. […] Si on veut diminuer cette immigration, notamment illégale, il ne faut pas régulariser de façon trop quantitative, sinon on donne une prime à l’irrégularité, à ceux qui ont fraudé et l’on rend impossible l’intégration ou l’assimilation », avait expliqué le ministre un peu plus tôt dans la journée sur Europe 1. En 2023, la circulaire Valls a permis à 34 724 personnes d’obtenir un titre de séjour, un chiffre stable par rapport à 2022, indique le ministère de l’Intérieur. Selon une estimation du Figaro, les nouvelles recommandations devraient faire baisser d’un tiers ce type de régularisations. « Si on donnait un chiffre à l’avance, on trahirait le principe de la circulaire, qui deviendrait alors attaquable », a balayé Bruno Retailleau ce vendredi.

Par ailleurs, un peu plus de 30 % des titres de séjour délivrés à titre exceptionnels par les préfets en 2023 s’appuyaient sur des motifs professionnels. Les secteurs de l’hôtellerie-restauration, du BTP, de l’agriculture, de l’entretien et des services à la personne, qui peinent à recruter, sont généralement les plus concernés par ces titres de séjour. Si les nouveaux critères sont « appliqués à 100 % », « cela va poser problème », a voulu alerter Frank Delvau le président de l’Union des métiers de l’hôtellerie-restauration (Umih) d’Île-de-France sur franceinfo. « Ces décisions vont les priver jusqu’à un tiers de leurs employés dans la restauration », a estimé la sénatrice socialiste de Paris Marie-Pierre de la Gontrie sur le réseau social X.

La loi de 2024 prévoit d’actualiser la liste des métiers en tension pour lesquels un travailleur sans papier est éligible à une demande de régularisation. Début janvier, la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, s’est engagée à publier cette liste, sous la forme d’une cartographie tenant compte de la situation de chaque région, d’ici la fin du mois de février.

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