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Colère des agriculteurs : le projet de loi d’orientation agricole peine à convaincre les sénateurs

Deux mois après le mouvement de révolte des agriculteurs, Marc Fesneau a rappelé au Congrès de la FNSEA l’objectif du gouvernement de permettre à la France « de retrouver sa souveraineté alimentaire ». Pour ce faire, le ministre mise sur la loi d’orientation agricole qui sera présentée en Conseil des ministres mercredi prochain. Un texte qui soulève pourtant bien peu d’enthousiasme de part et d’autre de l’hémicycle au Sénat.
Simon Barbarit

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L’exécutif a évité l’embrasement il y a deux mois, mais le feu couve toujours et une étincelle peut le faire repartir. En début d’année, plus de 60 mesures d’urgence avaient été dégainées par Gabriel Attal, comme la suppression de la hausse de la fiscalité sur le gazole non routier (GNR) ou l’augmentation du taux d’indemnisation à 90 % » pour la filière bovine touchée par la maladie hémorragique épizootique (MHE). En clôture du 78e congrès de la FNSEA à Dunkerque ce jeudi, Marc Fesneau a rappelé le rôle du syndicat majoritaire dans ces réponses. « Vous êtes un syndicat de solutions et c’est de là que sont parties la soixantaine de mesures », a tenté d’amadouer le ministre dans une ambiance plutôt froide.

« L’agriculture était d’intérêt général majeur pour notre pays »

Quelques minutes plus tôt, le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau avait appelé le gouvernement à « reprendre la maîtrise de son administration » afin qu’elle mette plus rapidement en œuvre ces mesures. Il a également appelé le chef de l’Etat à « donner sa vision (de l’agriculture) sans plus attendre ». Marc Fesneau a reconnu « les lenteurs » et précisé le calendrier sur quelques points, comme une « application à l’été » du contrôle administratif unique des exploitations ou le renforcement d’un allègement fiscal sur les travailleurs saisonniers dès « le 1er mai ».

Maintes fois repoussé, le projet de loi d’orientation agricole tarde encore à venir. Sa présentation en Conseil des ministres, initialement prévue le 29 mars a été reportée à mercredi prochain en raison du déplacement du chef de l’Etat au Brésil. Un texte qui porte là aussi les revendications du syndicat majoritaire. « Nous avons inscrit à votre demande l’idée que l’agriculture était d’intérêt général majeur pour notre pays », a-t-il rappelé tout en précisant le calendrier. Le projet de loi sera examiné le 13 mai à l’Assemblée nationale et la deuxième quinzaine du mois de juin au Sénat pour une adoption définitive prévue avant l’été. L’agriculture érigée en priorité nationale fait craindre aux associations environnementales que la mise en place de certains projets se fasse au détriment des objectifs de transition écologique.

Un article du projet de loi vise ainsi « à accélérer la prise de décision des juridictions en cas de contentieux contre des projets d’ouvrage hydraulique agricole et d’installations d’élevage », qui « concourent à la souveraineté alimentaire ». « On a besoin d’eau en agriculture. J’ai été l’un des premiers à défendre Saint Soline. Je sais que c’est un modèle qui est nécessaire pour l’agriculture de ce territoire », a déclaré le ministre.

« Marc Fesneau n’est que le supplétif du ministre de la Transition écologique »

Le projet de loi va également revoir le régime de sanction pour les atteintes à l’environnement en substituant les sanctions pénales en sanctions administratives.

Mais du côté de Républicains du Sénat, un groupe proche des revendications de la FNSEA, le texte manque pourtant sa cible. « C’est un texte programmatique qui passe à côté des enjeux qui ont été mis sur la table ces dernières semaines. C’est-à-dire la compétitivité des agriculteurs. Il est même mieux disant que ce que propose désormais la Commission européenne. Marc Fesneau n’est que le supplétif du ministre de la Transition écologique », tance Laurent Duplomb, sénateur LR spécialiste des questions agricoles pour son groupe.

La Commission européenne a, en effet, proposé d’assouplir, voire de supprimer une partie des critères « verts » que la nouvelle Politique agricole commune impose depuis 2023 aux exploitations. Telle que l’obligation de laisser au moins 4 % des terres arables en jachères ou surfaces non-productives remplacées par une simple « diversification ». Les exploitations de moins de 10 hectares seraient exemptées de contrôles liés aux règles environnementales.

Laurent Duplomb a également dans son viseur la « surtransposition des normes européennes par la France sur certains pesticides. « Le fait d’avoir supprimé la cinquième famille de néonicotinoïdes crée une concurrence déloyale avec nos voisins européens pour certaines filières comme la betterave ou les tomates. Il faut faire la liste de toutes les surtranspositions et les supprimer ». Et si le ministre a précisé qu’il comptait sur les parlementaires pour enrichir le texte, Laurent Duplomb flaire une manœuvre politique. « Le texte a été volontairement resserré, tous nos amendements risquent d’être cartouchés par le Conseil constitutionnel comme lors de la loi immigration, au titre de l’article 45 sur les « cavaliers législatifs ».

« La question centrale porte sur le revenu des agriculteurs »

Le projet de loi contient aussi des mesures pour favoriser la transmission des exploitations et l’installation des jeunes agriculteurs, avec notamment la création d’un réseau « France services agriculture » pour orienter les porteurs de projet dans chaque département, ou encore un programme de découverte des « métiers du vivant » dans les établissements scolaires, et la création d’un Bachelor Agro, de niveau bac +3.

Pour le sénateur socialiste, Jean-Claude Tissot, agriculteur de métier, le projet de loi « est fourre-tout », sans vision pour le modèle agricole. « La question centrale porte sur le revenu des agriculteurs. Si un jeune sait qu’il ne gagnera pas sa vie, il ne va pas s’installer. Il faut rompre avec ce modèle productiviste des années soixante basé sur des aides en fonction du volume et des hectares et engager une révision du plan stratégique national de la politique agricole commune, afin de permettre une plus juste répartition des aides publiques et un meilleur accompagnement des transitions agro écologiques », esquisse-t-il.

Retraites agricoles : le gouvernement va respecter « l’esprit et la lettre » de la proposition de loi du Sénat »

Sur la rémunération des agriculteurs, le président du groupe écologiste du Sénat, Guillaume Gontard reproche lui aussi au gouvernement « son absence de vision globale ». Une proposition de loi des députés écologistes en faveur de « prix planchers » plus rémunérateurs pour les agriculteurs a été adoptée en commission, mardi sans les voix du camp présidentiel, de LR et du RN. Il prévoit un prix minimal d’achat fixé par « une conférence publique » dans chaque filière, ou sur décision du gouvernement en cas de désaccord. Guillaume Gontard n’exclut pas de reprendre ce texte dans la niche parlementaire de son groupe. « Le discours du gouvernement qui consiste à ne pas opposer les modèles ne fonctionne pas. Il n’y a qu’un modèle d’avenir, c’est le bio. On connaît maintenant l’impact du modèle productiviste sur les sols, l’eau et la santé et ce que ça coûte aux finances publiques ».

Enfin, rare sujet de consensus, Marc Fesneau a annoncé que le gouvernement « respecterait l’esprit et la lettre » de la proposition de loi du Sénat réformant le mode de calcul des pensions de retraite de base des travailleurs non-salariés des professions agricoles sur la base des 25 meilleures années, à compter de 2026. Un texte du sénateur LR, Philippe Mouiller a été largement adopté par la chambre haute la semaine dernière.

 

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