Déficit : le gouvernement à la peine au Sénat lors du débat d’orientation budgétaire

Le gouvernement a tendu une nouvelle fois la main aux parlementaires ce 30 avril au Sénat, pour s’assurer du soutien d’un retour du déficit public sous la barre des 3 % du PIB en 2027. Droite comme gauche ont contesté le réalisme du scénario inscrit dans le programme de stabilité.
Guillaume Jacquot

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Si le gouvernement pensait trouver un peu de réconfort au Sénat, c’est raté. La route est encore longue pour convaincre les oppositions de la solidité de sa nouvelle trajectoire budgétaire, après un dérapage inédit des comptes publics fin 2023. Comme la veille à l’Assemblée nationale, la promesse d’un retour du déficit public sous les 3 % à l’horizon 2027 n’a guère suscité d’adhésion sur la majorité des bancs du Sénat, qui organisait ce 30 avril un débat sur l’orientation des finances publiques et le programme de stabilité, document que le gouvernement s’apprête à transmettre à la Commission européenne.

Les ministres de Bercy défendent un programme « ambitieux »

Attaqué par plusieurs groupes sur une « dissimulation » de la dégradation de la conjoncture en fin d’année dernière, le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire a estimé que le « procès en insincérité budgétaire » était « injuste et déplacé ». La publication dans la matinée par l’Insee du chiffre de la croissance française du premier trimestre, après le sursis accordé par les agences de notation Fitch et Moody’s vendredi, est venue mettre du baume au cœur de Bercy. « Le gouvernement avait prévu une croissance positive, l’Insee a confirmé une croissance à 0,2 %. »

Cette croissance de l’activité, couplée à des réformes structurelles et des réductions de dépenses seront impératives pour tenir l’objectif. Le programme de stabilité prévoit toujours un retour sous les 3 % à la fin du quinquennat, mais avec une trajectoire dégradée de 20 milliards d’euros cette année par rapport à ce qui était prévu au début de l’hiver. Tenir cette ligne relève de « l’intérêt supérieur de la nation », a répété le ministre de l’Économie, avant de « tendre la main » aux sénateurs pour soutenir cette démarche. Bruno Le Maire l’a concédé, ce programme est « ambitieux ». « Il doit nous amener à faire en trois ans ce que nous aurions dû faire en quatre ans », a-t-il expliqué

Le rapporteur général considère que le scénario du gouvernement est « trop fragile »

Pour le rapporteur général qui exprime la voix de la majorité de droite et du centre de la commission des finances, Jean-François Husson (LR), ce programme « manque de crédibilité », en raison notamment du caractère « lacunaire » de la documentation des économies. « On voit combien l’effort à fournir est massif et sans précédent dans un temps aussi court », a relevé le sénateur de Meurthe-et-Moselle. Selon ses calculs, 67 milliards d’euros de réduction sont à prévoir d’ici 2027. Les différentes marches d’ici 2027 sont d’autant moins réalistes à ses yeux qu’elles s’appuient sur des prévisions de croissance surestimées par rapport au consensus des grands instituts de conjoncture. « Le scénario macroéconomique que vous nous présentez est assurément trop fragile. » Plusieurs autres prises de parole ont également rejoint le constat du Haut Conseil des finances publiques, qui mettait en cause la crédibilité des prévisions gouvernementales.

Le président des sénateurs LR Bruno Retailleau s’est montré encore plus sévère, dénonçant les choix budgétaires « irresponsables » du gouvernement. « Il y a la vie d’un pays qui est désormais menacée dans sa prospérité mais aussi sa souveraineté ». Le retour de l’application des règles de discipline budgétaire au sein de l’Union européenne cette semaine annonce le retour d’une procédure pour déficit excessif dès le mois de juin. Bruno Le Maire a répliqué en indiquant que la droite avait participé aux « dépenses de protection », notamment durant la crise sanitaire, tout en appelant à venir en aide à de nombreuses professions victimes des confinements.

Un retour du déficit à 3 % relève de « l’incantation », selon Hervé Maurey (UC)

Moins virulents que leurs collègues de droite, les membres de l’Union centriste (UC) ont éprouvé les mêmes difficultés à se raccrocher au scénario du gouvernement. C’est avec une « certaine perplexité » qu’Élisabeth Doineau, la rapporteure générale pour le budget de la Sécurité sociale, a pris connaissance du programme de stabilité. « Le choix fait par le gouvernement est de partir du déficit de 2023, nettement supérieur aux prévisions de la loi de programmation des finances publiques, de conserver son objectif pour 2027 et donc de tracer un trait entre les deux », s’est étonnée la sénatrice de la Mayenne. « Je suis prêt à parier que cet objectif ne sera pas tenu », a renchéri le sénateur UC Hervé Maurey, convaincu que cette cible à 3 % « relève de l’incantation et de la communication ».

Alors que le spectre d’une motion de censure grandit chaque jour à l’Assemblée nationale, en particulier au sein de la droite, le centriste Vincent Capo-Canellas a estimé que la période était déjà suffisamment complexe. « Nous devons, à la veille du scrutin européen, faire ensemble preuve d’un esprit de responsabilité. Faut-il déboucher sur une crise politique, je ne le crois pas. »

Des économies d’une « brutalité inouïe », selon la gauche

Également vent debout contre des prévisions « déraisonnablement optimistes », la gauche a exprimé sa désapprobation à l’égard de la stratégie poursuivie par le gouvernement. « Vous avez omis jusqu’à ce matin de nous transmettre le programme de réformes assorti au programme de stabilité : 25 pages, contre 247 l’an dernier », a épinglé l’écologiste Ghislaine Senée. Les 27 milliards d’euros d’économies à trouver en 2025 seront « d’une brutalité inouïe » et « ne sont pas étayées », s’est exclamé le communiste Éric Bocquet.

La marche à franchir entre 2024 et 2025 inquiète particulièrement les bancs de la gauche, avec un passage annoncé d’un déficit de 5,1 % à 4,1 % du PIB, un effort jugé « important » par le ministre des Comptes publics Thomas Cazenave lui-même. « Tant que vous persisterez dans cette politique de désarmement fiscal, votre trajectoire budgétaire ne sera qu’un mirage et abîmera encore davantage l’état de nos finances publiques », a dénoncé la socialiste Florence Blatrix Contat.

« Nous n’augmenterons pas les impôts ni avant, ni après les élections européennes », cadre Bruno Le Maire

Le gouvernement a contesté cette approche. « Nous avons de la marge avant l’austérité », a répliqué Bruno Le Maire. Même inflexibilité sur le refus de ne pas augmenter certains impôts. « On ne change pas une politique économique qui a fait ses preuves, nous continuerons à mener une politique de l’offre », a prévenu Thomas Cazenave. « Nous n’augmenterons pas les impôts ni avant, ni après les élections européennes », a prévenu Bruno Le Maire. Comme il l’avait déjà annoncé, le gouvernement promet cependant des mesures « notamment sur la base des travaux parlementaires » en cours, sur les rentes. À ce stade, l’exécutif se dit prêt à revoir la taxation des énergéticiens et en instaurer une sur le rachat d’actions.

Plusieurs orateurs ont aussi demandé une fois de plus le dépôt d’un budget rectificatif en cours d’année. « Peut-être enfin se rendra-t-on compte, qu’à ces niveaux d’impasse budgétaire, c’est d’un débat politique sur les priorités et les choix des politiques publiques dont avons le plus besoin, et pas uniquement de manipulations financières », a résumé le président PS de la commission des finances publiques.

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