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Le Sénat adopte en commission une proposition de loi pour interdire l’écriture inclusive

Ce texte, défendu par la sénatrice LR Pascale Gruny, souhaite étendre les restrictions déjà mises en place ces dernières années par les pouvoirs publics à d’autres champs d’applications, y compris dans la sphère privée. Pour le rapporteur de cette proposition de loi, l’écriture inclusive n’est pas compatible avec la « neutralité » d’opinion attendue dans certains contextes.
Romain David

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L’écriture inclusive dans le collimateur des sénateur.trice.s. La commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a adopté ce mercredi 25 octobre, malgré l’opposition d’une partie des élus de gauche, notamment des écologistes, une proposition de loi visant à proscrire cette manière d’écrire le français, présentée par ses partisans comme un moyen de faire progresser l’égalité femme-homme. Déposée en janvier dernier par la sénatrice LR de l’Aisne Pascale Gruny, cette proposition de loi entend bannir l’usage de l’écriture inclusive dans toute une série de documents pour lesquels la loi, ainsi modifiée, rendrait spécifique l’usage du français. En clair, certains documents administratifs seraient considérés comme irrecevables ou caducs dès lors qu’il y serait fait usage de l’écriture inclusive.

Plusieurs jalons juridiques

Le recours à l’écriture inclusive a déjà été encadré par une série de circulaires à l’attention des différents services de l’Etat, sur des situations bien particulières. Celle du 21 novembre 2017, rédigée par Matignon, concerne les textes publiés au Journal officiel. Ce document invite à féminiser les titres, les noms de métiers et les fonctions lorsque l’usage s’y prête mais déconseille, en revanche, l’usage de l’écriture inclusive « notamment pour des raisons d’intelligibilité et de clarté de la norme ». Un recours déposé par une association contre cette circulaire a été rejeté par le Conseil d’Etat en février 2019. Les sages du Palais royal ont estimé que l’usage du masculin comme forme neutre pour des termes susceptibles de s’appliquer aussi bien aux hommes qu’aux femmes, et, ce, conformément aux règles grammaticales et syntaxiques en vigueur, ne pouvait constituer une atteinte à l’égalité des sexes.

La circulaire du 5 mai 2021, émise par le ministère de l’Education nationale, va beaucoup plus loin puisqu’elle proscrit l’usage de l’écriture inclusive à l’école. Au-delà de la promotion de l’égalité entre les garçons et les filles, la rue de Grenelle pointe « la complexité et l’instabilité » de l’écriture inclusive, qui « constitue autant d’obstacles à l’acquisition de la langue comme de la lecture ».

L’interdiction des pronoms « iel », « al » ou « ul »

Le texte porté par Pascale Gruny marque une nouvelle étape puisqu’il entend élargir et inscrire ces limitations dans la loi. La sénatrice ne veut pas seulement prohiber l’usage de l’écriture inclusive dans l’administration mais vise aussi certains domaines de la sphère privée : par exemple pour les documents commerciaux, comme les annonces de vente ou les notices d’utilisation, et dans les documents d’entreprises, à commencer par les contrats de travail, mais aussi les règlements internes ou les offres d’emploi. La proposition de loi laisse six mois aux sociétés et aux distributeurs de produits destinés à la vente pour s’adapter à ces nouvelles règles.

Durant l’examen du texte en commission, plusieurs amendements adoptés par les sénateurs sont venus durcir ce texte. Notamment en précisant le champ des pratiques interdites. Les élus y ont par exemple inclus certains néologismes, comme les pronoms personnels neutres du type « iel », « al » ou « ul ». La commission a également fait inscrire dans ce texte le contenu d’une proposition de loi défendue par le sénateur LR Etienne Blanc, et visant à rendre nul tout acte juridique qui utiliserait l’écriture inclusive. Enfin, le dispositif a été élargi, sur proposition du rapporteur Cédric Vial (LR), aux publications émanant de personnes morales de droit public ou de personnes privées chargées d’une mission de service public.

>> Lire aussi – L’écriture inclusive ravive le clivage droite gauche au Sénat

Une écriture sans règles fixes

L’écriture inclusive n’est pas un système grammatical, mais une alternative syntaxique qui se traduit dans la majorité des cas par une fragmentation des mots. La typographie fait apparaître en même temps, après la racine du mot, les deux possibilités d’accord autour d’un point médian : le suffixe masculin et le suffixe féminin, puis, éventuellement, la marque du pluriel. Par exemple : « Les nouveau.elle.x.s sénateur.trice.s élu.e.s ont pris place dans l’hémicycle ». Mais d’autres pratiques peuvent aussi être considérées comme inclusives, telles le recours à des formules englobantes – parler du « genre humain » plutôt que de « l’Homme » -, ou l’emploi, notamment pour les noms de métiers, d’une forme qui fait clairement sonner le féminin à l’oreille – « doctoresse » au lieu de « docteure ».

Notons que la proposition de loi portée par Pascale Gruny, telle qu’amendée en commission, cible d’abord la dimension typographique de l’écriture inclusive et l’emploi de néologismes non-binaires.

« Un marqueur politique et idéologique »

« La langue française est en situation de fragilité », alerte le rapport d’examen de la proposition de loi, consulté par Public Sénat. Il souligne la « grande hétérogénéité » de l’écriture inclusive, ce qui la rend complexe à pratiquer et, dans certains cas, proche de l’illisibilité. « L’usage de signes typographiques entre plusieurs terminaisons d’un mot, de même que l’invention de mots nouveaux, posent de nombreuses questions. Ils déstructurent notre langue, portent atteinte à sa lisibilité et, plus fondamentalement, à l’universalité de sa portée », lit-on dans ce rapport.

Ce document insiste également sur le caractère « militant » de l’écriture inclusive, qui ne relève pas d’une évolution naturelle des usages. Il rejoint sur ce point une communication faite par l’Académie française en mai 2021. « En prônant une réforme immédiate et totalisante de la graphie, les promoteurs de l’écriture inclusive violentent les rythmes d’évolution du langage selon une injonction brutale, arbitraire et non concertée, qui méconnaît l’écologie du verbe », écrivent les Académiciens.

Pour le rapporteur du Sénat, l’écriture inclusive s’apparente à « un marqueur politique et idéologique », ce qui pose problème sur son usage dans un cadre officiel. « Les défenseurs de l’écriture inclusive nous opposent la liberté d’opinion, mais celle-ci tient surtout à ce que l’on exprime avec le langage, pas au langage lui-même », explique Cédric Vial à Public Sénat. « En vérité, lorsque l’usage de la langue est orienté, le propos tenu est nécessairement connoté. C’est une logique de coup politique qui n’est pas compatible avec la neutralité attendue, par exemple, au sein de l’État et des services publics. » La proposition de loi sera examinée en séance publique le 30 octobre.

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