Narcotrafic : le Sénat adopte la proposition de loi à l’unanimité

Mardi 4 février, le Sénat a voté à l’unanimité la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Un texte issu des travaux d’une commission d’enquête sur le sujet. « DEA à la française », statut du repenti, nouveau parquet national… Le texte contient de nouveaux dispositifs pour que la France ne bascule pas vers un « narco-Etat ». « Il y aura un avant et un après ce texte fondateur », a salué Bruno Retailleau.
Simon Barbarit

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A l’instar des travaux de la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic, le vote sur la proposition de loi qui en est issue a rassemblé les sénateurs. 338 voix ont voté pour et seulement une voix contre. « Il s’agissait d’une erreur de vote », a corrigé le sénateur centriste, Jean-Michel Arnaud, en charge de voter pour son groupe.

« En cette période troublée où il est difficile pour le gouvernement d’agir, vous montrez une unanimité qui touche le gouvernement et fait honneur au Sénat et nous donne la force d’aller à l’Assemblée pour améliorer très fortement la lutte contre le narcotrafic », s’est félicité le garde des Sceaux, Gérald Darmanin.

« Cette unanimité va donner une impulsion décisive pour le passage à l’Assemblée nationale de ce texte », a salué le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau. « Il y aura un avant et un après ce texte fondateur », a-t-il qualifié. « Le Sénat a donné à la République Française, une première grande victoire »

 

La corapporteure de la proposition de loi, Muriel Jourda (LR) s’est félicitée de l’aboutissement d’un « travail collectif » qui trouve sa source dans les travaux d’une commission d’enquête du Sénat, conduit par le président Jérôme Durain (PS) et Etienne Blanc (LR) et dont les conclusions avaient été adoptées à l’unanimité. « Ce texte est satisfaisant […] car nous avons évité des sujets qui auraient conduit à des désaccords, ces sujets nous les connaissons, c’est la consommation, la légalisation de certains produits stupéfiants qui auraient pu nous éloigner les uns, les autres », a-t-elle pointé.

Ce sont justement ces manques qui ont été pointés en séance pour le sénateur écologiste, Guy Benarroche. « Rien sur le volet répression, rien sur le fait d’en faire une grande cause nationale, aucune mesure de politique de santé publique », a-t-il regretté ce qui n’a pas empêché les élus de son groupe de voter le texte.

« Il ne s’agit pas que d’une réponse sécuritaire », a promis Gérald Darmanin affirmant qu’un travail interministériel serait mené sur la prévention.

« DEA à la française »

Parmi les points forts de la proposition de loi, on retrouve à l’article 1, le renforcement de l’Office antistupéfiants (Ofast) structuré en une véritable « DEA à la française » (l’agence américaine de lutte contre la drogue, ndlr). En séance publique, Bruno Retailleau a précisé que l’état-major de l’Ofast serait composé de services de quatre ministères, l’Intérieur, Bercy, la Justice et l’Armée. « Vous vouliez l’interministérialité, il ne faut pas deux ministères il en faut quatre […] le patron sera désigné par la DNPJ avec un adjoint de la gendarmerie et un adjoint douanes, Bercy.

La localisation du parquet national anticriminalité pas encore définie

En ce qui concerne la création du nouveau parquet national anticriminalité (Pnaco), Gérald Darmanin a annoncé ne pas vouloir attendre le vote de la loi pour doubler, dès cette année, les effectifs de magistrats dans les juridictions pénales spécialisées (JIRS), et la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) ». De même, si le futur Pnaco qui sera mis en place au 1er janvier 2026 sera situé « par défaut » à Paris. « Mais ça ne veut pas forcément dire que ce sera à Paris », a précisé le garde des Sceaux, précisant que la localisation pourrait changer le temps de la navette parlementaire, « le temps de challenger les équipes du ministère », en charge d’examiner d’autres villes comme Marseille.

Un sous-amendement de la commission des lois supprime, par ailleurs, « le monopole qu’il était envisagé de confier au Pnaco ». Le nouveau parquet national pourra ainsi définir ses propres compétences, dans un dialogue avec les JIRS et les parquets locaux afin de pas priver les juridictions de toute possibilité de se saisir d’affaires graves. La création du Pnaco fait l’objet d’une proposition de loi organique que les sénateurs ont adoptée également à l’unanimité.

C’était l’un des points forts des conclusions de la commission d’enquête du Sénat : frapper les narcotrafiquants au portefeuille. Les sénateurs ont adopté plusieurs dispositions visant à lutter plus fortement contre le blanchiment d’argent. L’article 4 prévoit, à ce titre, de systématiser les enquêtes patrimoniales dans le cadre des investigations relatives au narcotrafic et, d’autre part, de créer une nouvelle procédure d’injonction pour richesse inexpliquée. La systématisation avait été supprimée en commission des lois. « C’est ce qu’on appelle une fausse bonne idée. Nous nous en sommes rendu compte au fil des auditions parce que les services nous ont dit que ce n’était pas toujours utile […] Nous ne sommes pas favorables à ce que nous puissions encombrer divers services d’enquêteurs », avait justifié la corapporteure Muriel Jourda (LR) en présentant son avis défavorable à l’amendement du sénateur écologiste, Guy Benarroche qui proposait de rétablir cette systématisation.

Confiscation des biens rendue « obligatoire »

Plusieurs amendements identiques ont cette fois-ci rendu « obligatoire », la confiscation de biens dont le propriétaire ne peut justifier l’origine, et condamné pour un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement.

Interdire le paiement en liquide des voitures de location

Bruno Retailleau a défendu un amendement proposant une mesure « radicale » contre l’avis de la commission des lois. Elle vise à interdire strictement tout paiement en espèces d’une location de voiture. « La location de voiture, c’est une plaie. C’est une aide considérable aux narcotrafiquants […] ça facilitera le travail de l’autorité judiciaire puisque ce sera traçable », a-t-il justifié. Le rapporteur LR de la commission d’enquête, Etienne Blanc a proposé de fixer un seuil par décret, « 200 ou 250 euros au-delà duquel, le paiement en espèce serait interdit ».

Un volet du texte porte sur les techniques spéciales d’enquête. Un amendement du président de la commission des affaires étrangères et de la Défense, Cédric Perrin (LR) pourrait, s’il est conservé au bout de la procédure parlementaire, bousculer les habitudes des trafiquants. Il oblige les messageries cryptées comme WhatsApp ou Telegram de permettre aux services de renseignement d’accéder aux échanges des trafiquants. « Cet amendement aurait dû être porté par le gouvernement dans un texte sur le renseignement », a estimé Jérôme Durain qui s’est opposé fermement à cette nouvelle technique d’enquête.

Refonte du statut du repenti

S’inspirant de la législation italienne « anti-mafia », les sénateurs ont réformé le statut des repentis (article 14) qu’ils jugent insuffisamment exploité en France. Les élus ont pris conscience, lors de leurs travaux, qu’un « informateur n’est pas celui qui est innocent de toute infraction ». C’est pourquoi, ils proposent d’étendre le statut de repenti à ceux qui ont commis des crimes de sang, et créée une immunité de poursuites pour ceux qui bénéficieront de ce statut.

De quoi faire tiquer le garde des Sceaux, Gérald Darmanin qui avait déposé un amendement visant à revenir sur cette immunité. Il l’a finalement retiré en obtenant la garantie de la part du rapporteur PS, Jérôme Durain de « retravailler le texte » pendant la navette parlementaire. « Est-ce que les crimes de sang sont compris dans cette immunité ? Sans doute non […] Si notre dispositif n’est pas assez audacieux, selon vous. Le vôtre l’est peut-être trop », a estimé de ministre qui propose, en lieu et place de l’immunité, une réduction de peine pour les repentis. « Dire à nos compatriotes que nous abandonnons toutes les poursuites parce que quelqu’un aura parlé. Ce n’est pas évident non plus. Le garde des Sceaux est aussi le ministre des victimes », a-t-il rappelé. Cet article pourrait évoluer lors de la navette parlementaire.

Dossier coffre

Peut-être le sujet le plus sensible du texte, l’article 16 a nécessité de nombreuses suspensions de séance afin de permettre au gouvernement et au Parlement de s’accorder sur sa rédaction. Il vise à créer « un dossier coffre » dénoncé par le Conseil national des Barreaux comme « une atteinte au principe du contradictoire et aux « droits de la défense ». Ce dossier coffre ou « procès-verbal distinct », sous le contrôle d’une collégialité de magistrats, a, en effet, pour but de soustraire au contradictoire certains éléments de procédure pour les techniques spéciales d’enquête les plus sensibles, comme le recours à des technologies de pointe, d’écoutes ou de balisages. L’amendement du gouvernement s’appuie sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui considère qu’il n’est pas possible d’utiliser des éléments incriminants recueillis lors d’une technique pour laquelle les modalités de pose sont dans un dossier coffre. C’est pourquoi l’amendement prévoit que le dossier coffre ait pour seule fonction d’orienter l’enquête. Les éléments incriminants issus d’actes ultérieurs d’enquêtes seront versés au contradictoire. Le dispositif voté prévoit toutefois une exception. Ces éléments pourront être utilisés en cas « d’intérêt exceptionnel pour la manifestation de la vérité » et lorsque « la vie ou l’intégrité physique d’une personne » est mise en jeu.

La mesure a été rejetée par les socialistes et les écologistes qui s’inquiètent d’une remise en cause du principe du contradictoire. « On ne limite pas aux données techniques ce qui est contenu dans ce procès-verbal distinct, […] qui ne serait pas accessible aux parties. Ce n’est pas acceptable », a justifié la socialiste Marie-Pierre de La Gontrie.

Les sénateurs ont aussi adopté l’article 20 visant à limiter le poids des nullités « provoquées » par certains avocats de narcotrafiquants, « lorsque la cause de nullité résulte d’une manœuvre ou d’une négligence de la personne mise en cause ». Un amendement de la commission des lois précise certains points dans le code de procédure pénale. Il interdit, par exemple, la désignation de l’avocat « chef de file » par lettre recommandée avec accusé de réception, dans les affaires de criminalité organisée. Il prévoit aussi que le dernier mémoire déposé par les parties doit reprendre l’ensemble des moyens de nullité, pour garantir la clarté des débats, ou encore il rejette les nullités fondées sur des moyens de communication non agréés, comme EncroChat et Sky ECC.

Les dernières dispositions prévoient une série de mesures visant à renforcer les moyens juridiques de la politique de lutte contre la corruption dans les administrations sensibles. On trouve aussi une série de mesures visant à sécuriser les établissements pénitentiaires en autorisant, par exemple, les drones aux fins de prévenir l’introduction d’objets prohibés. Enfin, l’article 24 ouvre la possibilité de prononcer des interdictions administratives de paraître sur les points de deal. Un amendement des rapporteurs adopté en commission ouvre, de plus, la possibilité au préfet d’expulser de son logement, une personne impliquée dans un trafic de stupéfiants, si son logement est situé dans la zone d’interdiction de paraître.

Le texte va désormais être transmis à l’Assemblée nationale.

 

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