Paris : Vote au Senat pour le projet de loi immigration

Loi immigration : qui sont les mécontents de la réforme ?

Que ce soit avant, pendant et après l’adoption de la loi immigration, de nombreux secteurs ont manifesté leur opposition à la réforme. Monde universitaire, patronats, médecins, magistrats, associations, départements… On fait le point.
Simon Barbarit

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Considérée par certains comme « un tournant du quinquennat », la loi immigration adoptée dans la douleur cette semaine, aura engrangé, au fil des semaines, des oppositions dans la société civile.

  • Les travailleurs sans-papiers manifestent

Ce sont d’abord les premiers concernés par la réforme qui font entendre leur voix. Le 7 novembre, en plein examen du projet de loi immigration, plusieurs centaines de salariés en situation irrégulière manifestent sous les fenêtres du Sénat. Eboueurs, agents de nettoyage, cuisiniers, livreurs, en tout, 650 salariés sans papiers avaient cessé le travail trois semaines plus tôt en Ile-de-France à l’appel de la CGT. Au cœur de leurs inquiétudes l’article 3 du projet de loi sur la régularisation des travailleurs en situation irrégulière dans les métiers en tension, que la droite sénatoriale s’apprêtait à supprimer. Il sera finalement remplacé par un article 4 bis. Plutôt que des régularisations automatiques, selon certains critères, l’article prévoit des régularisations au « cas par cas par le préfet, qui appréciera notamment la réalité du travail, l’insertion sociale de l’étranger, son respect de l’ordre public et son intégration à la société, au mode de vie, aux valeurs de la société français. La régularisation serait écartée en cas de condamnation mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire. Ce vendredi, une nouvelle manifestation de sans-papiers contre la loi immigration a eu lieu entre République et Châtelet

  • Le patronat se réveille

Relativement discret pendant l’examen du projet de loi, le patronat a fait part de ses critiques cette semaine sur la faiblesse du volet économique du texte. Mardi, sur Radio Classique, le président du Medef, Patrick Martin a affirmé que l’économie française aura « massivement » besoin de main-d’œuvre étrangère au cours des prochaines décennies. « On sait que, par exemple, en France, la population en âge actif va baisser à partir de 2036. Or, on a des régimes sociaux – les retraites, l’assurance chômage, la santé – qui sont assis sur les revenus du travail, donc sur l’emploi. Que va-t-on faire ? », a poursuivi le président de l’organisation regroupant 190 000 entreprises. Il rappelle que d’ici 2050, la France aura besoin de 3,9 millions de salariés étrangers, un chiffre basé sur une étude de 2021 publié par le Center for Global Development, un cercle de réflexion économique américain basé à Washington.

Patrick Martin a par ailleurs jugé « extrêmement désolant » que le Medef n’ait selon lui pas été consulté par les partis politiques dans le cadre des débats sur la loi immigration.

  • Les agents de l’Ofpra en grève

A l’appel des syndicats majoritaires, la CGT Ofpra et ASYL (Action syndicale Libre/Ofpra), les agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ont fait grève plusieurs jours pendant l’examen du texte. Plusieurs dispositions de la loi sont dénoncées par les salariés mobilisés, comme la création de pôles France Asile réunissant les services du préfet et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) et de l’Ofpra afin d’organiser l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés en France. D’après les grévistes, cette mesure serait, selon eux, susceptible de réduire l’indépendance de l’Office, pourtant inscrite dans la loi, et de le soumettre à une pression plus forte pour accélérer l’instruction des demandes. Ils s’opposent aussi à la généralisation des audiences à un juge unique au sein de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), au prétexte de l’accélération des procédures. Cette dernière mesure est également contestée par l’Union Syndicale des Magistrats Administratifs (USMA) et du Syndicat de la Juridiction Administrative (SJA). « En généralisant la tenue des audiences délocalisées ou en visio-audience pour les étrangers retenus en centre de rétention administrative ou en zone d’attente, c’est à l’indépendance de la justice aux yeux des justiciables qu’il est porté atteinte », ont notamment estimé ces organisations.

  • Suppression de l’AME : la fronde des médecins

Votée par le Sénat en première lecture, la suppression de l’aide médicale d’Etat remplacée en aide médicale d’urgence (AMU), a provoqué une fronde du monde médical. En plein examen du texte, 3 000 soignants signent une tribune dans Le Monde pour rappeler la raison d’être de ce dispositif qui permet à un étranger sans papier de bénéficier de la prise en charge à 100 % d’un certain nombre de soins médicaux et hospitaliers. 400 000 étrangers en ont bénéficié 2023, pour un coût de 1,2 milliard d’euros. « Il s’agit d’une population prioritaire en matière de santé publique. Limiter leur accès aux soins aurait pour conséquence directe d’entraîner une dégradation de leur état de santé, mais aussi plus globalement celui de la population tout entière », rappelle les auteurs de la tribune. Dans le cadre d’un accord avec la droite, le gouvernement s’est engagé par écrit à redimensionner l’AME via un nouveau projet de loi, début 2024. Mais les déclarations de la Première ministre au lendemain de l’adoption définitive du projet de loi par le Parlement, font craindre à la droite un revirement de l’exécutif. « Il n’est pas question de supprimer l’aide médicale d’Etat », a martelé Élisabeth Borne, cette semaine.

  • La caution étudiante braque le monde universitaire

Dans un communiqué publié le 20 décembre, 61 présidentes et présidents d’universités, parmi lesquelles La Sorbonne, Nanterre, Dauphine ou encore Bordeaux et Aix Marseille, s’alarment face à un texte qui selon eux vient « s’attaquer aux valeurs sur lesquelles se fonde l’Université française : celles de l’universalisme, de l’ouverture et de l’accueil, de la libre et féconde circulation des savoirs, celles de l’esprit des Lumières ». Plusieurs dirigeants de grandes écoles, dont HEC Paris et l’ESSEC, s’inquiètent également de mesures « qui menacent gravement notre compétitivité internationale ».

Au centre de leurs inquiétudes, trois dispositifs sont pointés du doigt : l’instauration de quotas annuels par le Parlement pour limiter le nombre d’étrangers admis sur le sol français, la majoration systématique de leurs droits d’inscription et le versement d’une « caution retour » pour les étrangers qui souhaitent étudier en France (voir notre article). La « caution retour » avait été introduite dans le texte par un amendement du sénateur LR des Hauts-de-Seine Roger Karoutchi, dans le but de ne pas détourner les titres de séjour étudiants de leur but premier. La caution serait un moyen d’obliger les étudiants étrangers à poursuivre leurs études une fois en France.

La mesure a provoqué l’embarras de l’exécutif. La ministre de l’Enseignement supérieur Sylvie Retailleau a même présenté sa démission, qui a été refusée par Emmanuel Macron. Le Président a estimé dans « C à vous » sur France 5 que la caution étudiante était une « mauvaise idée ». Il aurait assuré à Sylvie Retailleau que les dispositifs visant les étudiants seraient révisés si le Conseil constitutionnel ne les censure pas.

  • 32 départements de gauche menacent de ne pas appliquer une mesure de « préférence nationale »

L’encre de la loi immigration était à peine sèche que 32 départements dirigés par la gauche annonçaient leur détermination à ne pas appliquer une de ses dispositions. Il s’agit des nouvelles règles pour le versement de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) destinée aux personnes âgées de 60 ans et plus en perte d’autonomie versée par le Conseil départemental. La loi prévoit de conditionner son versement à un délai de carence de cinq ans pour les étrangers en situation régulière qui ne travaillent pas, et de trente mois pour les autres. « Cette mesure, comme d’autres, fracture notre contrat social en instaurant la préférence nationale », a dénoncé auprès de publicsenat.fr, Stéphane Troussel, président PS du conseil départemental de Seine-Saint-Denis. Il annonce que si la loi était promulguée avec cette nouvelle restriction de l’allocation d’autonomie, il fera adopter par le conseil départemental une délibération en faveur « d’une prestation volontariste extralégale pour les étrangers en situation régulière ».

  • Syndicats, associations, artistes appellent Emmanuel Macron à ne pas promulguer la loi

Moins inattendu, 45 syndicats, associations et ONG, parmi lesquels ; la CFDT, la CGT, FO, la FSU, Solidaires et l’Unsa, la Ligue des droits de l’homme, SOS racisme ou encore la Cimade demandent « solennellement » le Président à ne pas promulguer la loi. « La priorité doit être l’égalité des droits en particulier des droits sociaux, la régularisation de l’ensemble des travailleuses et travailleurs sans-papiers et la solidarité avec les migrants », écrivent-ils dans une déclaration commune. La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet a même appelé « à la désobéissance civile et à la multiplication d’actions de résistance ».

A l’appel du journal l’Humanité, élus, syndicalistes, artistes et intellectuels ont aussi exhorté Emmanuel Macron à renoncer à une « loi de haine et de division ». L’appel a été cosigné par plus de 11 000 citoyens.

 

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