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Soins palliatifs : les sénateurs « dubitatifs » sur les objectifs affichés par la ministre

Le gouvernement entend doter l’ensemble des départements français d’une unité hospitalière de soins palliatifs d’ici deux ans. Il prévoit également de rehausser l’effort budgétaire de 1,1 milliard d’euros sur dix ans. Auprès de Public Sénat, plusieurs sénateurs estiment que les ambitions affichées risquent de se heurter rapidement aux pénuries de personnels.
Romain David

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C’est l’autre volet du projet de loi sur la fin de vie. Dans un long entretien au journal Le Monde, Catherine Vautrin, la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, dévoile sa stratégie de renforcement de l’accès aux soins palliatifs, avec des mesures qui seront en partie intégrées au plan décennal de développement de la filière, et pour d’autres inscrites dans le projet de loi sur « la fin de vie », qui doit être présenté mercredi 10 avril en Conseil des ministres. L’objectif du gouvernement : être en mesure d’orienter les personnes qui font la demande d’une aide active à mourir vers un dispositif de « soins d’accompagnement », selon la nouvelle terminologie retenue par l’exécutif.

Actuellement, vingt départements ne disposent toujours pas d’unités de soins palliatifs (USP). D’après un rapport de la Cour des comptes remis l’année dernière à l’Assemblée nationale, un peu plus de 380 000 patients étaient susceptibles de prétendre à une prise en charge palliative en 2023. Avec le vieillissement de la population, ils seront 411 000 à la fin de la décennie. Or, les Sages de la rue Cambon estiment que seuls 50 % des besoins sont couverts. Le gouvernement table sur la création de 220 lits hospitaliers supplémentaires d’ici les deux prochaines années, en plus des 1 540 déjà existants, en priorité dans les départements non pourvus.

En 2024, ce sont 9 départements qui verront une USP ouvrir : le Cher, les Ardennes, les Vosges, l’Orne, le Lot, la Lozère, les Pyrénées-Orientales, la Mayenne et la Guyane, selon la liste dressée par Catherine Vautrin. La dizaine restante devrait se voir doter en 2025. En parallèle, l’accent est mis sur les places d’hospitalisation à domicile, qui devraient passer de 55 000 à 70 000 cette année. Enfin, les équipes mobiles de soins palliatifs, qui interviennent notamment dans les Ehpad, passeront de 412 à 427 d’ici à 2025.

La ministre fait valoir sa volonté de « donner une forte impulsion tout de suite ». Pour autant, les objectifs affichés paraissent particulièrement ambitieux au vu de l’état du système hospitalier, grevé depuis plusieurs années par les pénuries de personnels.

« J’aimerais bien savoir où l’on va trouver l’argent ? »

« Nous faire croire que l’offre de soins palliatifs sera en mesure de couvrir les besoins lorsque l’aide active à mourir entrera en vigueur, c’est du barratinage », s’agace auprès de Public Sénat le sénateur (apparenté PS) de Paris Bernard Jomier. « C’est bien de faire preuve de volontarisme, mais dans un contexte général de pénurie, et sans mesures véritables pour y remédier ces dernières années, je suis plutôt dubitatif », explique ce médecin de profession. À ses yeux, les réformes engagées sur la fin du numerus clausus ou encore pour dégager du temps médical (loi Rist et loi Valletoux) ne suffiront pas à réarmer la médecine hospitalière.

Même scepticisme du côté de sa collègue LR, la sénatrice du Lot-et-Garonne Christine Bonfanti-Dossat, membre de la commission des affaires sociales. « 1,1 milliard sur dix ans, même si je ne suis pas sûre que cela suffise à couvrir tous les besoins, c’est un effort intéressant. En revanche, j’aimerais bien savoir où l’on va trouver l’argent à l’heure où le gouvernement parle d’économies budgétaires ? Je ne demande qu’à voir. Je rappelle qu’il n’y a absolument rien de prévu pour cela dans la loi de financement de la Sécurité 2024 », pointe l’élue.

« Une proposition pluriannuelle qui donne des perspectives »

Rapporteure générale du budget de la Sécurité sociale, la centriste Élisabeth Doineau se veut plus optimiste : « Il faut toujours être ambitieux, à plus forte raison sur un dossier où l’on a été aussi défaillant », fait-elle valoir auprès de Public Sénat. « Pour moi, la question de la planification est primordiale, il y va de la crédibilité du projet de loi. Là, nous avons une proposition pluriannuelle qui donne des perspectives, et qui aborde tous les aspects de la question, de la formation des médecins jusqu’aux équipes mobiles », salue l’élue.

« Un milliard sur dix ans, cela fait 100 millions par an, ce qui ne me parait pas beaucoup quand on voit l’état de délabrement de l’hôpital public. Je ne suis pas certaine qu’il s’agisse du plan choc que l’on essaye de nous vendre… », relativise la sénatrice socialiste des Côtes-d’Armor, Annie Le Houérou.

« Nous sommes des fourmis devant une pyramide », poursuit Christine Bonfanti-Dossat, co-auteure en 2021 d’un rapport sénatorial sur les soins palliatifs, qui alertait déjà sur les difficultés de prise en charge, alors que la loi du 9 juin 1999 est supposée garantir un droit d’accès. « À l’époque, nous avions envoyé nos travaux au président de la République et au Premier ministre. Aucune réponse. Aujourd’hui, le gouvernement joue les pompiers sans avoir les moyens de ses ambitions. Nous n’y arriverons pas sans traiter la question du manque de personnels », martèle la sénatrice.

À ses yeux, l’accès aux soins palliatifs doit être un préalable et non un corollaire à la mesure clef du texte sur la fin de vie, à savoir l’ouverture d’une aide active à mourir. « Il est essentiel de commencer par cela. Car l’on sait bien que lorsque les gens ne souffrent plus, il ne demande plus la mort », explique-t-elle.

« Le domicile ne peut pas se substituer à l’hôpital »

Bernard Jomier salue l’effort annoncé sur les soins palliatifs à domicile, qui répondent selon lui à la forte demande des patients de pouvoir mourir chez eux. Dans ce cadre, il indique qu’il se montrera attentif à la question des Ehpad. En revanche, l’annonce par la ministre d’une expérimentation sur des « maisons d’accompagnement » le laisse plutôt circonspect. Dans les colonnes du Monde, Catherine Vautrin évoque « un lieu qui n’est plus réellement médicalisé comme un centre hospitalier, mais qui accueillera des personnes très gravement malades, qui ne peuvent ou ne souhaitent plus vivre chez elles ».

« Des soins d’accompagnement non médicalisés… Pardon ? Et à qui est-ce que l’on va confier cela ? On ne fait pas de soins palliatifs sans médecin », épingle le sénateur de Paris. Pour Annie Le Houérou, les dispositifs parallèles n’ont d’intérêt que si le patient a le choix, et ne doivent pas devenir une manière d’économie. « Le domicile ne peut pas se substituer à l’hôpital, qui a sa fonction dans le parcours de santé », souligne-t-elle.

La droite sénatoriale pourrait présenter son propre texte

Le projet de loi sur la fin de vie doit arriver en première lecture à l’Assemblée nationale le 27 mai. Sur ce sujet, particulièrement sensible, le gouvernement a indiqué ne pas engager de procédure accélérée, si bien que l’examen parlementaire pourrait s’étirer sur de long mois avant que le Sénat et l’Assemblée nationale ne tombent d’accord sur une même version du texte.

D’ici là, la Chambre haute, aux mains des LR, pourrait présenter sa propre proposition de loi, en s’appuyant notamment sur les conclusions du rapport de 2021 sur les soins palliatifs, mais surtout sur celles du rapport sur la fin de vie, rendu par les mêmes auteures en juin dernier. « Sur cette question, le président Larcher veut vraiment une signature du Sénat », glisse Christine Bonfanti-Dossat. « Nous allons reprendre nos auditions, et nous prendrons une décision ».

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