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Lutte contre l’inceste : « La première Ciivise n’était pas allée au bout de ce qu’elle devait faire »

La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a dévoilé ce lundi une nouvelle feuille de route, avec des compétences qui vont au-delà de la lutte contre l’inceste. Un élargissement qui inquiète au Sénat, alors que les 82 recommandations issues du rapport de la première Ciivise ne semblent pas encore avoir été reprises par l’État.
Rose Amélie Becel

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Le 5 février, la nouvelle équipe de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a présenté son cap. La commission, créée suite à la parution de « La Familia Grande » de Camille Kouchner, a travaillé durant trois ans à l’écoute des victimes d’inceste et à l’élaboration de recommandations pour lutter contre la pédocriminalité.

Depuis que les travaux de la Ciivise 1 ont pris fin, le 31 décembre dernier, le gouvernement a annoncé sa volonté de prolonger le dispositif tout en élargissant ses compétences. Lors d’une conférence de presse, les co-présidents de la Ciivise 2 ont ainsi dévoilé que leur commission se pencherait également sur les questions de prostitution des mineurs, de lutte contre la cybercriminalité, mais aussi sur le sujet des mineurs handicapés et des mineurs auteurs de violences.

« Cela risque de noyer le sujet de l’inceste »

Un élargissement des compétences qui interpelle Dominique Vérien, sénatrice centriste et présidente de la délégation aux droits des femmes : « Toutes ces questions doivent indéniablement être traités, mais je crains que la Ciivise n’ai pas les moyens de s’en saisir correctement, cela risque de noyer le sujet de l’inceste ».

Parmi les travaux qui ne seront pas poursuivis, les nombreuses réunions publiques organisées par la Ciivise 1 à travers la France seront désormais assurées par des associations labellisées. La commission avait entendu près de 30 000 victimes d’inceste et d’agression sexuelle sur mineurs, mais pour Dominique Vérien son travail n’était pas encore achevé : « La première Ciivise n’était pas allée au bout de ce qu’elle devait faire, elle devait encore se rendre dans des endroits où la parole des victimes n’avait pas été entendue. »

En novembre, dans un courrier adressé à Emmanuel Macron, les sénatrices et sénateurs de la délégation aux droits des femmes demandaient déjà le maintien de ces réunions publiques de la Ciivise : « L’attente est encore grande de la part des victimes, dont beaucoup n’ont pas encore eu l’opportunité de s’exprimer. La Ciivise leur offre un espace d’expression bienveillant et reconstructeur. Nous leur disons collectivement que, quelle que soit la réponse judiciaire possible ou non, leur parole a une valeur, qu’elle mérite d’être entendue et crue. »

« La Ciivise n’est pas une thérapie de groupe, c’est un outil de propositions »

De leur côté, les nouveaux co-présidents de la Ciivise – l’ex-rugbyman et fondateur de l’association Colosse aux pieds d’argile Sébastien Boueilh et la pédiatre et médecin légiste Caroline Rey-Salmon – défendent la vision d’une commission davantage tournée vers l’action. « Il n’y a pas de rupture avec la Ciivise 1. On a repris le mot d’ordre “on vous croit” en le complétant avec “on vous accompagne”, pour montrer le côté opérationnel de la Ciivise 2 », a défendu Sébastien Boueilh lors de la conférence de presse.

Une ambition saluée par la sénatrice Les Républicains Marie Mercier, rapporteure d’une proposition de loi visant à mieux protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales. « Faire un recueil de témoignages était essentiel, mais il faut maintenant que cette parole libère quelque chose de concret. La Ciivise n’est pas une thérapie de groupe, c’est un outil de propositions », assure la sénatrice.

En novembre dernier, la Ciivise 1 avait rendu public un rapport dans lequel elle faisait déjà 82 recommandations, pour renforcer la lutte contre la pédocriminalité et mieux accompagner les victimes d’inceste. Si Sébastien Boueilh a assuré que sa commission « suivrait la mise en œuvre des 82 préconisations », des doutes subsistent au Sénat. Dominique Vérien craint que le lancement de la Ciivise 2 « étouffe les préconnisations de la Ciivise 1 ».

« Il faut maintenant de grandes politiques publiques et un grand ministère »

Plus largement, pour la sénatrice socialiste Marion Canalès, les moyens manquent pour mener une politique ambitieuse en matière de protection de l’enfance : « On ne peut plus faire abstraction, ce n’est pas un petit sujet, pourtant il ne figurait pas dans le discours de politique générale du Premier ministre. Après le formidable travail de libération de la parole, il faut maintenant de grandes politiques publiques et un grand ministère. »

À ce titre, le Sénat examine cet après-midi en deuxième lecture une proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes de violences intrafamiliales. Un texte « très protecteur pour les enfants », assure Dominique Vérien, même s’il ne fait pas pleinement consensus au Sénat. Il vise notamment à élargir et systématiser le mécanisme de suspension de l’autorité parentale. Une mesure qui figure parmi les recommandations de la Ciivise.

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