Taxes sur les produits gras et sucrés : Les industriels de l’agroalimentaire dénoncent un « food bashing »

Auditionnés dans le cadre de la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, les industriels des boissons sucrées et de l'alimentation grasse ou sucrée, ont été interrogés par les sénateurs sur l’impact des taxes sur ces produits, pour lutter contre l’obésité, alors que celle-ci a doublé en l’espace de 20 ans. Pour les industriels, le levier de la fiscalité ne joue aucun rôle dans cette lutte, dénonçant même un « food bashing » à l’encontre de leurs produits.
Alexis Graillot

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Les taxes sur les produits de dite « mauvaise qualité nutritionnelle », sont-elles efficaces dans la lutte contre l’obésité ? C’est en tout cas la question posée par la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, alors que les chiffres de l’obésité, du diabète et de l’hypertension, sont tous en hausse, pesant sur les comptes de la sécurité sociale, comme le rappelle la rapporteure centriste de la mission, Elisabeth Doineau.

Pour les industriels de ces produits, pas question pour autant de reconnaître une responsabilité écrasante dans le phénomène, estimant qu’il n’y a « pas de recette magique » pour lutter contre l’obésité. De leur côté, ils préfèrent mettre l’accent sur un ensemble d’outils, à l’image de « l’éducation nutritionnelle » ou encore des « campagnes de sensibilisation ».

 Personne n’a le monopole de lutter contre l’obésité 

Jean-Philippe André, président de l'Association nationale des industries alimentaires (Ania)

Les taxes, « pas le meilleur outil » pour lutter contre l’obésité

Se défendant de tout effet positif des taxes sur l’obésité, Hélène Courades, directrice générale de Boissons Rafraîchissantes de France, explique que les taxes n’étaient « pas corrélées avec une baisse de l’obésité dans les pays qui les ont mises en place ». Si elle concède « une baisse constatée dans un premier temps », elle décrit soit « un effet de remise à niveau d’habitude-prix sur le long-terme », soit la substitution de ces aliments par d’autres produits dits « plaisir ». De fait, pour le syndicat, l’impact sur l’obésité est quasi-nul, puisque « le nombre de calories consommées ne baisse pas foncièrement ». A l’appui de son propos, elle cite le rapport de l’Observatoire de l’alimentation, soulignant qu’« il n’est pas possible de distinguer les impacts liés à la taxe de ceux liés à un accord collectif ». Hélène Courades invite ainsi à « ne pas tirer de conclusions trop hâtives » sur le sujet, citant les contre-exemples du Chili et du Mexique, qui ont « mis en place les taxes les plus élevées au monde », mais possèdent des taux « records » d’obésité. Le Chili est en effet le pays du monde contenant le plus de personnes en surpoids avec un taux de 74%, suivi de près par le Mexique à 72.5% (OCDE, 2019). En France, le taux de la dépend de la quantité de sucre pour 100 litres, avec une augmentation exponentielle du montant à raison de davantage de sucre.

Un constat partagé par Jean-Philippe André, président de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania), et ancien président du directoire de la célèbre marque de confiserie, Haribo, qui se montre très défavorable au levier de la fiscalité, estimant qu’« il en va de la santé économique du secteur » de l’agroalimentaire, « première industrie du pays », affectée pendant la crise sanitaire. Sans surprise, il dénonce un « food bashing », considérant que « personne n’a le monopole de lutter contre l’obésité ». Au contraire, il juge ces produits, « appréciés » par les consommateurs, qui se retrouveraient pénalisés par ces taxes alors que « 15% du budget est consacré à l’alimentation » en moyenne par les ménages, un chiffre qu’il décrit comme « plus élevé » pour les catégories inférieures, qui seraient ainsi les premières victimes d’une augmentation des prix.

« Injonctions contradictoires »

Pour les industriels, le nœud du problème se situe dans les « injonctions contradictoires » des politiques publiques, comme le dénonce Laurent Oger, directeur général de l’Association internationale des édulcorants (ISA). Estimant se fonder sur la science, il regrette une « compromission à avoir inclus ce genre d’ingrédients dans la base de la taxe, étant donné les avantages qu’on peut y trouver », faisant notamment référence à la « sensation de goût sucré, tout en préservant l’apport calorique », une glycémie « qui ne va pas beaucoup bouger », et une amélioration de l’hygiène bucco-dentaire, certains de ces produits étant reconnus comme étant non-cariogènes. De fait, il déplore un « effet négatif » et une « dissonance », par rapport aux objectifs de santé publique, notamment la lutte contre le diabète et l’obésité. Dans la même lignée, il exprime ses « difficultés à comprendre certaines logiques », faisant référence à l’outil du Nutriscore, expliquant que « la présence d’un édulcorant donne des points négatifs, alors qu’elle constitue une alternative au sucre ». Le syndicaliste, s’interroge ainsi « sur les bases scientifiques d’une telle décision ».

Sur les emballages, Hélène Courades fait part de son côté, de la contradiction inhérente entre la politique dite du « zéro emballage », avec celle de la diminution des portions de ces produits, demandée par les autorités. De son côté, elle exprime son « besoin de clarté », alors que les logiques de l’économie circulaire visent justement à mettre fin à ces petits formats.

D’autres leviers envisageables ?

Devant leur opposition majeure à la fiscalité comportementale, les industriels ont été interrogés sur d’autres pistes de réflexions. Unanimement, ces derniers citent en premier lieu « l’éducation nutritionnelle ». Pour Hélène Courades, cela passe par la « conscience qu’il faut avoir une consommation raisonnée et raisonnable de nos produits, dans le cadre d’un mode de vie sain ». Laurent Oger milite pour des « campagnes de communication avec des informations vérifiées qui promeuvent un régime équilibré couplé à l’activité physique », expliquant également avoir développé des « projets de recherche en partenariat avec des universités », pour construire de meilleurs produits. Jean-Philippe André se montre plus engageant, égrenant successivement les « reformulations de gamme » (telles les bières sans alcool, les sodas à zéro sucre etc), le « changement des recettes », face aux attentes des consommateurs pour des produits plus « allégés », « l’absence de publicité pour les programmes destinés aux enfants de moins de 13 ans », ou encore l’opération « Vivons en forme », lancée par certaines villes, et qui a permis selon l’industriel, de « diminuer de 40% » le niveau d’obésité dans les municipalités concernées. En outre, l’industriel souhaite mettre en valeur la diminution des portions des produits sucrés ou gras, prenant l’exemple d’Haribo, qui a réduit ses portions de 300 grammes (2006), à des portions inférieures à 200 grammes actuellement.

Une justification qui ne convainc guère Emilienne Poumirol, sénatrice socialiste de la Haute-Vienne : « Je ne suis pas née de la dernière pluie », tance-t-elle, expliquant avoir « du mal à avaler que [les industriels ont] fait des plus petits paquets pour la santé de nos enfants ». « Je pense que le but réel est tout autre et qu’il est plus pour une recherche du profit », détaille la sénatrice, pour qui « les taxes ont conduit à améliorer notre comportement vis-à-vis de l’alimentation ». A l’image de sa collègue centriste, Elisabeth Doisneau, elle aussi dénonce la hausse des pathologies chroniques, types obésité et diabète, qui « grèvent le budget de la Sécu ».

Les produits « allégés », vraiment efficaces ?

Enfin, une partie non-négligeable des débats s’est axée autour des produits dits « allégés », que ce soient en sucre ou en matière grasse. Ces dernières années ont en effet marqué une explosion de l’offre des gammes « -30% », « zéro sucre », ou encore « 0% », dans les supermarchés. Des initiatives « saluées » par certains parlementaires à l’image d’Anne-Sophie Romagny, sénatrice centriste de la Marne, qui s’interroge cependant sur « l’appétence des consommateurs vers les produits moins sucrés ». Une réponse encore incertaine selon les industriels, Hélène Courades estimant que cela « dépend d’un produit à un autre », tout en annonçant le lancement d’une étude consommation dans les prochains mois sur le sujet.

Pour Jean-Philippe André, cette interrogation constitue une « vraie question », étant donné que « certains produits ont pris des tournants stratégiques, en faisant des produits réduits en sucre et en graisse les premiers produits de leur gamme ». S’il rejoint sa collègue sur l’absence d’une réponse précise, il souhaite de son côté vouloir « donner le choix au consommateur ». A ce titre, il propose que les différents industriels signent une charte, afin « d’assurer que toutes les grandes marques offrent des alternatives différentes aux consommateurs », permettant de les « éclairer par rapport au conseil d’alimentation qu’on va leur donner ». Sur ce point, le directeur des affaires publiques de l’ANIA, Simon Foucault, explique que « depuis 2007, 35 chartes à l’image de celle [de la réduction du sel dans le] pain signées pour améliorer la qualité nutritionnelle des produits », preuve pour lui, de la « bonne volonté » des industriels.

Une bonne volonté, qui peut néanmoins questionner au regard de la « shrinkflation », pratiquée par certains industriels, consistant notamment à diminuer les portions dans les produits sans diminuer le prix … alors que dans le même temps, les marques distributeurs connaissent un succès qui ne faiblit pas ces dernières années, fortement marquées par l’hyperinflation. Selon une enquête menée par Ipsos pour E. Leclerc en début d’année, 88% des Français ont une bonne image des marques distributeurs, qui grignotent chaque année, des parts de marché. CQFD.

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