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RSA sous conditions : « Une mesure disproportionnée », selon les associations de lutte contre la pauvreté

Le projet de loi « Plein emploi », voté au Parlement en novembre dernier, prévoit une mesure qui a fait polémique, à savoir assortir le revenu de solidarité active (RSA) à 15 heures d’activité hebdomadaire obligatoires pour les allocataires. « Disproportionné » pour le collectif ALERTE, qui regroupe 34 fédérations et associations nationales de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
Alexis Graillot

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Une « inquiétude », face à une mesure qui risque de « paupériser » des publics déjà précaires. Dans un « contexte de réduction budgétaire », consécutif au décret de Bruno Le Maire, le 22 février dernier, qui avait décidé de la suppression de 10 milliards d’euros de crédits, dont une partie au sein du poste « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui avait suscité l’ire des sénateurs de tous bords.

Ce mercredi 24 avril, les associations de lutte contre la pauvreté s’indignent contre une mesure « inadaptée pour des publics très en difficulté », et appellent le gouvernement, en particulier la ministre du Travail, Catherine Vautrin, à davantage de « transparence ».

« Il a été démontré que très peu de personnes inscrites à Pôle Emploi ne font pas d’effort puisque 80% font la démarche », souligne d’emblée Noam Leandri, président du collectif. Chiffres également à mettre en perspective, avec les données d’emploi non pourvus, estimés à environ 300 000 … soit un chiffre dix fois inférieur à celui du nombre de chômeurs. « Ce n’est pas simplement un problème d’effort », ajoute-t-il, militant pour « plus de chantiers d’insertion et de territoires zéro chômeur ».

« Pas d’offre structurante »

La première raison invoquée par le collectif associatif pour s’opposer à cette mesure, réside dans l’absence d’une « offre structurante qui correspondrait à ces 15 heures d’activité ». « [Cette demande est] très peu adaptée pour des publics très en difficulté, on arrive tout juste à 8 heures d’activité pour le contrat engagement jeune (CEJ) », déplore Henri Simorre, membre du comité de stratégie politique d’ATD-Quart-Monde, qui réclame davantage « d’immersion en entreprise » ainsi qu’un « accompagnement personnalisé », destiné à « prendre en compte les besoins des personnes ».

Un accompagnement qui ne peut pas se faire sans moyens « financiers » et « humains », pour l’instant absents du projet de loi de finances (PLF), comme le souligne Daniel Verger, responsable Accès au travail et protection sociale, Secours Catholique-Caritas France (SCCF) : « Nous sommes extrêmement favorables à un accompagnement renforcé, de proximité, bienveillant, mais sans épée de Damoclès ou menace d’une éventuelle sanction », détaille-t-il, question d’autant plus saillante, au vu de la généralisation de l’inscription à France Travail, prévue en 2025. En particulier, le collectif observe dans l’expérimentation faite dans 18 départements, des « pressions », « voire une tendance à une politique de sanctions et de radiations ». A ce titre, Sophie Rigard, responsable au Secours Catholique, précise qu’en Côte-d’Or, 13.8% de radiations ont été observées sur l’ensemble du département (184 personnes sur 1334 bénéficiaires). « En cas de hausse exponentielle, il existe un risque réel de non-recours à l’aide », insiste Daniel Verger.

 Dans l’esprit de la loi, c’était bien l’état de nécessité qui fondait l’existence de ce revenu, qui n’est qu’un revenu de subsistance 

Adrien de Casabianca, responsable à Emmaüs

« Risque d’objectifs marchands »

Dans le projet de loi « Plein emploi », voté au Parlement en octobre dernier, le débat s’était également porté sur l’inclusion ou non du bénévolat dans le décompte des heures d’activité. Un point d’achoppement pour le collectif, qui pointe un « risque d’objectifs marchands », avec « une approche uniquement chiffrée (…), et un rouleau compresseur qui écrasera la vie des plus précaires ». Dans le cas de l’intégration des activités bénévoles dans les décrets d’application, le collectif réclame des garde-fous : « Si le gouvernement inclut le bénévolat, le collectif souhaite le refus de tout mécanisme de contrôle social pour contrôler ces 15 heures d’activité », demande Adrien de Casabianca, représentant d’Emmaüs, qui « se refuse à subir des quelconques pressions de France Travail ». A cet égard, le porte-parole de l’association se montre « particulièrement vigilant à ce que le régime d’exemption couvre les catégories de la population qui peinent à dégager du temps disponible ». En l’état, des « questionnements » subsistent du fait d’un « risque accru de renforcement, voire de délégations à des opérateurs privés de placement », qui ne rassurent pas le collectif.

« Dans l’esprit de la loi, c’était bien l’état de nécessité qui fondait l’existence de ce revenu, qui n’est qu’un revenu de subsistance », continue Adrien de Casabianca, qui « tient à rappeler que le RSA ne permet pas de sortir du seuil de pauvreté ». « Même une rupture temporaire de l’indemnisation peut entraîner des conséquences très graves », alerte-t-il.

 On empile des conditionnalités et des contraintes, ce n’est pas la pression sur une personne qui va permettre d’intégrer un parcours d’insertion  

Henri Simorre, membre du comité de stratégie politique d’ATD-Quart-Monde

« Pour l’instant, c’est assez flou »

Si la loi a été votée au Parlement, celle-ci reste encore partiellement en vigueur, puisque « des décrets d’application doivent encore être pris, notamment au regard des sanctions quant au non-respect éventuel des 15 heures de travail pour toucher le RSA », précise Noam Leandri, qui s’alarme d’un possible impact pour les familles les plus précaires, notamment les familles monoparentales, qui doivent déjà consacrer du temps à « s’occuper de leurs enfants ». S’il reconnaît que sur les territoires expérimentant France Travail (ex-Pôle Emploi), « cela semble fonctionner », il affirme « ne pas savoir si c’est une question de moyens supplémentaires ou un réel plus », déplorant un « manque de transparence » sur le fonctionnement de la plateforme. « On a demandé à la ministre [Catherine Vautrin] de siéger au Conseil de l’emploi (…), mais elle a refusé », regrette-t-il, tout en déclarant qu’un rendez-vous avec la ministre est « en préparation », dont il « espère qu’il arrivera avant les décrets ».

« Pour l’instant, c’est assez flou », confirme de son côté Henri Simorre, déclarant « attend[re] que le gouvernement fasse connaître ses intentions et nous informe ». « On ne voit pas comment une sanction remobilisation pourrait être effective », souligne-t-il, pointant la « nécessité d’un reste à vivre », d’autant plus que « 40% des personnes sanctionnées ne reviennent plus », ce qui pose un « risque réel » vis-à-vis des personnes « qui décrocheraient totalement de notre société ». « On empile des conditionnalités et des contraintes, ce n’est pas la pression sur une personne qui va permettre d’intégrer un parcours d’insertion », dénonce-t-il, ajoutant que « d’une certaine façon, on développe le contrôle social sur les plus pauvres, le risque de stigmatisation, et l’inversion des responsabilités où c’est à vous de prouver que vous recherchez un emploi », notamment au regard des disparités territoriales. « Ces sanctions sont inefficaces, coûtent cher, et ne servent pas le retour à l’emploi », termine Henri Simorre, qui observe que « les personnes demandent une stabilité dans les droits et dans le temps ».

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