La proposition ne figure pas à proprement parler dans les recommandations de la commission d’enquête sénatoriale sur le narcotrafic. « Nous ne l’avions pas formalisée plus avant mais nous avions travaillé sur les conditions d’incarcération. C’est un sujet démocratique. Il est impensable pour les citoyens que les prisons ne constituent plus une entrave pour les narcotrafiquants », précise Jérôme Durain, sénateur socialiste, président de la commission d’enquête sur le narcotrafic, et cosignataire avec le rapporteur Etienne Blanc (LR), de la proposition de loi qui sera examinée le 28 janvier à la chambre haute.
C’est ce constat qui a motivé la proposition du ministre. « Ce qui est insupportable » c’est que ces prisons ne soient plus des entraves pour la plupart d’entre eux pour continuer leur trafic, ou assassiner, ou menacer des magistrats, des agents pénitentiaires, des journalistes ou des avocats », a-t-il insisté sur LCI.
« Il faudra un échange fluide entre la pénitentiaire et le judiciaire »
Concrètement, d’ici « cet été », une prison française sera « vidée » et « on y mettra, puisqu’on l’aura totalement isolée, totalement sécurisée, avec des agents pénitentiaires particulièrement formés, anonymisés », les « cent plus gros narcotrafiquants », a détaillé Gérald Darmanin. Le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) et le centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe (Orne) font partie des établissements pénitentiaires répondant aux critères de sécurité. Deux établissements qui accueillent des détenus particulièrement violents et qui possèdent des quartiers sécurisés notamment pour les auteurs d’infractions terroristes. « Ça fonctionne pour les terroristes, mais avec le narcotrafic on ne parle pas du même ordre de grandeur. C’est pour ça que Gérald Darmanin évoque les 100 plus gros narcotrafiquants. Il y a l’effet d’annonce, et aussi l’idée qu’il vaut mieux commencer petit », relève Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats (USM).
Pour savoir quels détenus seraient concernés par cette nouvelle prison de haute sécurité dédiée au narcotrafic, Ludovic Friat évoque le rôle essentiel du service national du renseignement pénitentiaire (SNRP). « Si l’administration pénitentiaire a la main sur les détenus définitivement condamnés. Pour les autres, en attente de jugement, le juge d’instruction pourra toujours s’opposer à leur transfert pour des raisons de praticité. Il faudra un échange fluide entre la pénitentiaire et le judiciaire », ajoute-t-il.
« Nous avons besoin de trouver une prison qui permette le brouillage de portables. Lors de nos travaux, nous avons vu que ce n’était pas possible au Baumettes à Marseille, car le voisinage était gêné. Bien sûr que ce sera compliqué, mais nous avons un ministre qui a la volonté de le faire », souligne Etienne Blanc. Le sénateur LR se félicite d’ailleurs de « l’émulation » entre Gérald Darmanin et le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau sur la lutte contre le narcotrafic. « Nous avons deux ministres sur la même longueur d’onde. Et si les deux se tirent la bourre pour assurer plus de sécurité aux Français, c’est très bien ».
« On a vu que les trafiquants s’adaptaient aux nouvelles technologies »
Le sénateur écologiste, Guy Benarroche s’interroge, lui, sur l’opportunité d’une telle mesure. « Ces détenus ne seront jamais en vase clos. Ils auront toujours des contacts avec les surveillants, leur avocat, leur famille. En les regroupant au même endroit, est-ce que ça ne va pas produire le contraire de l’effet recherché et faciliter l’organisation du narcotrafic ? Il y a également des limites techniques. On a vu que les trafiquants s’adaptaient aux nouvelles technologies. La commission d’enquête a montré que si les brouilleurs étaient efficaces sur les téléphones 4G, ce n’était pas le cas pour la 5G. Je ne crois pas qu’on parviendra à créer une zone blanche. A la prison de Luynes dans les Bouches du Rhône, il n’y a déjà pas assez de brouilleurs pour les 32 détenus du quartier d’isolement ».
Un détenu de cette prison de Luynes avait commandité un meurtre à Marseille qui avait conduit à la mort d’un chauffeur VTC en octobre dernier.
« Regrouper 100 narcotrafiquants dans une même prison n’est pas la panacée mais c’est un outil parmi d’autres qui est intéressant. C’est en tout cas mieux que d’annoncer de grands projets qui ne verront jamais le jour », estime, pour sa part, Ludovic Friat.
« C’est mieux si cette proposition s’appuie sur un débat démocratique »
Le prédécesseur de Gérald Darmanin, Didier Migaud avait annoncé en novembre dernier, que le plan 15 000 places de prison supplémentaires d’ici 2027 ne serait pas tenu, mais « en 2029 dans le meilleur des cas ». « Didier Migaud avait obtenu 250 millions supplémentaires pour son budget 2025 que nous avions voté. Gérald Darmanin devrait obtenir un peu plus », précise Antoine Lefèvre rapporteur LR de la mission justice au Sénat qui est plus dubitatif sur une autre annonce de Gérald Darmanin consistant à créer de prisons à taille humaine pour les petites peines. « Je ne sais pas ce qu’il entend par là mais il vaut mieux des prisons standardisées pour éviter des erreurs de conception comme à Mulhouse où il a fallu changer pour 600 000 euros de fenêtres après avoir constaté qu’elles pouvaient être démontées de l’intérieur ».
L’idée d’une prison pour rassembler les 100 plus gros narcotrafiquants devrait être débattue à partir du 28 janvier au Sénat, lors de l’examen de la proposition de loi visant « à sortir du piège du narcotrafic ». « C’est mieux si cette proposition s’appuie sur un débat démocratique et parlementaire. La question du narcotrafic renvoie aussi à la pauvreté du service public. C’est un plaidoyer pour un service public renforcé. Il faut des moyens pour isoler les narcotrafiquants des autres détenus mais il faut surtout assécher leurs avoirs », appuie Jérôme Durain qui sera reçu avec son collègue Etienne Blanc par Gérald Darmanin, mardi soir.