Paris: Darmanin delivers a speech during the examination of the immigration law at the French Senate

Immigration : Gérald Darmanin, « un ministre habile » qui a su composer avec les sénateurs LR

Si le texte ressort largement modifié du Sénat, c’est en partie avec la bénédiction du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, que la majorité sénatoriale de droite et du centre a très sérieusement durci le projet de loi immigration. Le ministre a multiplié les concessions aux sénateurs LR pour obtenir, in fine, un texte qui ressort du Sénat. Il n’a cependant pas dit « oui » à tout et les LR ont aussi fait des concessions…
François Vignal

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C’était son moment. Gérard Darmanin a réussi la première étape sur son projet de loi immigration. Le Sénat a terminé l’examen de son texte et va l’adopter, au prix de multiples durcissements. On est loin du projet de loi d’origine, mais le ministre de l’Intérieur cherchait l’appui des sénateurs LR. De ce point de vue, c’est gagné. « Pour Darmanin, c’est un grand pas qui a été fait. Le Sénat, ce n’est pas un scénario noir », commente un député LREM, qui a suivi de près les débats. « Il est très content », résume un sénateur.

Pour s’accorder les bonnes grâces des LR sur son texte, il a fallu pas mal lâcher. Le ministre de l’Intérieur a ainsi multiplié les avis « favorables » sur les amendements issus de la majorité sénatoriale. Et il n’a pas ménagé ses efforts. Alors que les ministres de poids snobent parfois la Haute assemblée, il a passé plus de trente heures au banc, n’hésitant pas à multiplier les prises de parole à rallonge – certains diront qu’il aime s’écouter – pour convaincre et motiver ses avis. Il a traversé l’examen de ce projet de loi sur l’immigration, non pas comme un poisson dans l’eau, mais avec une certaine aisance.

Dès l’ouverture des débats, Gérald Darmanin annonce la couleur

Dès la discussion générale, en ouverture des débats, Gérald Darmanin a annoncé la couleur. Il a assuré de sa volonté de « coconstruire avec le Parlement ». « Le gouvernement est à l’écoute de la Haute assemblée pour modifier les articles du texte de loi, pour adopter les amendements d’où qu’ils viennent du moment qu’ils répondent à l’efficacité, à la fermeté et à la simplicité, et pour trouver le meilleur compromis », a ainsi expliqué le locataire de la Place Beauvau (voir la vidéo). « Le gouvernement aura évidemment un avis favorable à la quasi-intégralité des dispositions prises », a encore assuré un ministre de l’Intérieur tout miel, reconnaissant que l’exécutif ne pouvait pas avoir « raison tout seul ». Tout était dit, d’entrée de jeu.

Concrètement, le ministre a donné un avis « favorable » sur le rétablissement du délit de séjour irrégulier, le resserrement des conditions du regroupement familial, ou l’extension de la durée d’ancienneté du mariage requise pour acquérir la nationalité. S’il s’est opposé, plus par principe, à la suppression de l’article 3 sur les métiers en tension, il a donné un avis de sagesse sur l’article de compromis. Exception sur la suppression de l’Aide médicale d’Etat, où il est resté silencieux, laissant sa collègue du gouvernement, Agnès Firmin-Le Bodo, prendre la parole, en défendant l’AME, pour donner au final… un avis de « sagesse ». Autrement dit, s’en remettant au vote du Sénat.

Lire aussi >> Suppression de l’AME, regroupement familial, expulsions… Tout savoir sur le projet de loi immigration modifié au Sénat

La gauche raille « un mariage blanc » entre LR et Darmanin

La gauche ne s’est pas privée de pointer du doigt la situation. « On est face à la recomposition de la droite avec Darmanin à la manœuvre », lance Patrick Kanner, président du groupe PS. « Vous vous êtes rencontrés, réunis, déjeuné, dîné, pris le thé, le café, que sais-je… Et idée de génie, il a été décidé de supprimer l’article 3, et ainsi de satisfaire la demande de M. Retailleau, et de le réécrire ailleurs », ironise la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie.

« Je voudrais dénoncer un mariage blanc, qui a eu lieu hier dans cet hémicycle, qui a été célébré par le vote de suppression des article 3 et 4 et l’adoption de l’article 4 bis. Ce mariage de papier permet à M. Retailleau et son groupe de crier victoire et à M. le ministre Darmanin de garantir un vote par le Sénat », raille la sénatrice PS de Seine-Saint-Denis, Corinne Narassiguin, qui s’est demandé si à l’Assemblée, on allait vers « une annulation » ou « vers la consommation de ce mariage, M. Darmanin, avec un nouvel accord politique avec le groupe LR et une partie du groupe Renaissance ». Regardez :

Mercredi soir, au tour d’Eric Kerrouche, sénateur PS de la Gironde, de s’y mettre : « J’ai vraiment l’impression d’avoir eu cinquante nuances d’explications de cet accord politique ! C’en était presque amusant… J’ai trouvé que M. Bonnecarrère était plutôt dans l’oraison funèbre, tandis que M. Henno me semblait relativement frétillant dans la brosse à reluire… »

« Son attitude laisse à penser qu’il est assez consensuel. Mais quand on regarde de près, attention, c’est beaucoup plus nuancé », tempère Bruno Retailleau

Darmanin et les LR nouveaux meilleurs amis du monde ? Une lecture qu’entend tempérer Bruno Retailleau. « C’est vrai que le ministre a émis des avis favorables. Son attitude laisse à penser qu’il est assez consensuel. Mais quand on regarde de près, attention, c’est beaucoup plus nuancé », nous soutient le président du groupe LR, qui a épluché les positions du ministre.

« J’ai demandé à ce qu’on reprenne les avis du gouvernement. En réalité, il y a eu beaucoup d’avis du « en même temps », avec à de très nombreuses reprises des avis de sagesse. Mais il a aussi beaucoup donné d’avis défavorables. Bien sûr à l’article 3 et 4, comme sur l’ensemble des mesures sur les restrictions à la naturalisation, par exemple sur le retour du dispositif Pasqua. Sur le regroupement familial, il a été contre certains amendements. Pareil sur les étudiants ou la majoration des droits universitaires. Et sur l’AME, ce n’est pas lui qui a donné l’avis, et il a finalement dit jeudi soir qu’il était contre la suppression », alors qu’il s’était dit pour à titre personnel, souligne président du groupe LR.

« Il n’y a plus de texte Darmanin au Sénat. Le Sénat l’a totalement modifié. C’est notre texte », soutient Bruno Retailleau

Si le ministre vient des LR, le sénateur de Vendée est dans l’opposition à Emmanuel Macron. On comprend que Bruno Retailleau n’entend pas être trop associé à Gérald Darmanin. « Ce n’est plus son texte. On peut dire, de façon clair et net, qu’il n’y a plus de texte Darmanin au Sénat. Le Sénat l’a totalement modifié. C’est notre texte, très clairement. Il arrive avec 27 articles, il ressort à 60 ou 70 articles. Et y on a fait passer ce que nous voulions, l’ensemble de nos marqueurs », rappelle le président de groupe.

Mais Bruno Retailleau reconnaît avoir en face de lui un animal politique qui sait mettre en œuvre les moyens pour atteindre ses objectifs :

 C’est un ministre habile qui sait parfaitement se mouvoir dans différents écosystèmes. Il a un sens aigu du rapport de force. C’est en cela que Gérard Darmanin est un ministre politique, bien sûr. Il savait que le rapport de force au Sénat n’était pas en sa faveur. 

Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat.

« Dans cette affaire, je crois que le Sénat a son intérêt, la majorité a son intérêt », souligne François Patriat, qui « pense voter pour le texte »

Au sein de la majorité présidentielle, on pense pouvoir tirer son avantage de ce texte, même transformé. « Dans cette affaire, je crois que le Sénat a son intérêt, la majorité a son intérêt. Et Gérard Larcher tenait à tout prix, à juste titre, à avoir un texte du Sénat. C’est la première fois qu’un texte régalien est en première lecture au Sénat et pas à l’Assemblée », souligne François Patriat, président du groupe RDPI (Renaissance). Ce fidèle macroniste continue : « La majorité comme le gouvernement, nous avons intérêt à préparer l’ensemble du processus, jusqu’à la commission mixte paritaire, et à faire en sorte qu’il y ait une accroche dans le texte permettant de donner un titre de séjour sur les métiers en tension. Bruno Retailleau peut dire ce qu’il veut, c’est un net recul par rapport à la ligne rouge des LR ».

C’est pourquoi les sénateurs macronistes se dirigent vers un vote en faveur de l’ensemble du texte, mardi, lors du vote solennel. « Sur cette base-là, je pense qu’on vote pour ce texte, même imparfait. C’est ce que je proposerai à la réunion de groupe. Mais on laissera la liberté de vote », affirme François Patriat, qui ajoute : « Il s’agit de mettre un peu d’huile dans les rouages pour que le texte soit adopté sans 49.3 à l’Assemblée, au bout du processus ».

François Patriat s’attend maintenant à ce que les députés « rétablissent l’AME et sur les métiers en tension, retrouver un article plus proche que le texte d’origine, même si je pense que ce ne sera pas le même ».

« C’est une reculade énorme de la droite »

Sous couvert d’anonymat, certains membres de la majorité présidentielle tempèrent aussi l’idée que Gérald Darmanin a sorti le tapis rouge pour la droite. « D’un côté, il aura donné des gages assez largement. De l’autre, il les a fait mettre en minorité dans la majorité sénatoriale. Si Bruno Retailleau était allé au bout avec son amendement de suppression de l’article 3, avant l’accord, il aurait été battu », souligne un parlementaire de la majorité.

« C’est une reculade énorme de la droite », va jusqu’à dire un député Renaissance, pour qui « c’est le fait politique majeur. Ils avaient un refus absolu des régularisations, et malgré l’habillage de communication et ce que dit Retailleau dans son courrier envoyé aux députés LR, mine de rien, le Sénat a adopté un dispositif de régularisation ». Le même ajoute, sourire en coin : « Le Sénat a adopté la circulaire Retailleau ! »

Le projet de loi va maintenant partir à l’Assemblée. Ce texte immigration, c’est une valse à trois temps. Bruno Retailleau le sait bien : « Il ne faut pas oublier que le parcours de la loi, c’est un match à trois manches. Là, c’est la première au Sénat. Puis ce sera une autre manche, qui sera une autre paire de manches, d’ailleurs, à l’Assemblée, et après la CMP ». Le patron des sénateurs LR a déjà prévenu, que s’il n’y retrouve pas ses petits, ce sera non. A moins que tout le monde s’entende, à la fin, sur une garde partagée.

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