COUR DES COMPTES
General view of Cour des Comptes during the measures of governance due to the coronavirus pandemic (Covid-19), on April 21, 2020 in Paris, , France 17/02/2021. SIPA IMAGE//SOLAL_solal0026/2102171658/Credit:SOLAL/SIPA/2102171659

Les collectivités ont perdu près de 4 milliards en 2023 : les sénateurs appellent à une refonte de la fiscalité locale

Dans un rapport, la Cour des Comptes cible l’inflation et le recul du marché de l’immobilier pour expliquer en partie la baisse de l’épargne des collectivités territoriales sur l’année 2023. Ce phénomène est particulièrement marqué du côté des départements. Si les Sages de la rue Cambon ne jugent pas la situation alarmante, les sénateurs estiment pour leur part que le système de financement des collectivités n’est plus adapté aux situations de crise.
Romain David

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Une mauvaise passe pour les territoires. Dans son rapport annuel sur la situation financière des collectivités territoriales, publié lundi 22 juillet, la Cour des Comptes pointe la « détérioration globale de la situation financière des collectivités » au cours de l’année 2023. Après une situation jugée favorable en 2022, les Sages de la rue Cambon observent de fortes divergences entre les trajectoires financières des différentes collectivités au cours des derniers mois, ce qui interroge aussi leur modèle de financement.

Si la marge de manœuvre des communes et des intercommunalités continue de s’améliorer avec une épargne brut (sans les remboursements d’emprunts) qui a progressé de 1,4 milliard d’euros, celle des régions accuse un léger repli, avec une baisse de 400 000 millions d’euros par rapport à 2022, tandis que la situation des départements se dégrade fortement avec une épargne en recul de 4,7 milliards d’euros. Au total, l’ensemble des collectivités territoriales a enregistré une baisse d’épargne de l’ordre de 3,9 milliards d’euros, tendance qui devrait se poursuivre en 2024.

La Cour des comptes estime toutefois qu’à ce stade la situation financière des collectivités « n’inspire pas d’inquiétude », même si son manque de vitalité trahit de nombreuses fragilités. Du côté du Sénat, la « chambre des territoires », on considère en revanche que ce bilan annuel appuie la nécessité d’une refonte du système de financement des collectivités. « Cette situation ne me surprend pas. Ces chiffres viennent confirmer ce que le Sénat répète depuis des années : la fiscalité locale, qui a longtemps été dynamique, n’est plus adaptée en cas de revers », observe auprès de Public Sénat le sénateur (LR) Jean-François Husson, rapporteur général du budget.

Progression des dépenses de fonctionnement et des investissements

En parallèle, les dépenses de fonctionnement des collectivités ont progressé de 6,1 % en 2023, notamment en raison de contingences qui échappent aux élus locaux ; poussée de l’inflation, augmentation des intérêts de leur dette mais aussi des salaires avec la revalorisation du point d’indice. Néanmoins, et malgré la dégradation de leur épargne, les collectivités ont continué à maintenir un haut niveau d’investissement, de l’ordre de 72,8 milliards d’euros, orientés aux trois quarts vers des dépenses d’équipement, notamment de voirie.

C’est ce niveau de dépenses qui a été invoqué par le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, le 11 juillet dernier, pour maintenir l’objectif de deux milliards d’euros d’efforts demandés aux collectivités locales d’ici la fin de l’année. « Heureusement que l’investissement des collectivités reste significatif ! L’augmentation de la population appelle des augmentations de services et de bâtiments », souligne Claude Raynal, le président (PS) de la commission des Finances. « Mais pour continuer à investir sans revenus propres, les collectivités vont devoir s’endetter alors que les taux d’intérêt sont à la hausse ».

En 2023 néanmoins, le niveau d’endettement des collectivités (187,6 milliards d’euros) a continué à se réduire par rapport au PIB, sous la barre des 7 %. « Que l’Etat s’occupe déjà des 93 % restant, alors les maires seront peut-être plus enclins à faire des économies », tacle Jean-François Husson.

Les départements, victimes de la crise du logement

« Les différences de composition des ‘paniers de recettes’ des entités locales expliquent les divergences d’évolution » entre chaque type de collectivité, explique la Cour des comptes. Les départements subissent de plein fouet la contraction du marché de l’immobilier, qui a mécaniquement engendré une baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Ces taxes, prélevées au moment de la vente d’un bien immobilier, qu’il s’agisse d’un logement ou d’un local commercial, et qui représentent pour partie les fameux frais de notaire, sont majoritairement réaffectées vers les caisses départementales. En 2023, la part départementale des DMTO s’élevait à 13 milliards, contre 16,7 milliards en 2022, selon les chiffres de Bercy.

« Le retournement des recettes de DMTO en 2023 souligne l’inadaptation du financement des charges de fonctionnement des départements, principalement constituées de dépenses sociales rigides et évolutives, par un impôt cyclique et volatil », épingle la Cour des comptes. « Grâce à une situation favorable en 2021 et 2022, certains départements ont pu mobiliser leurs résultats excédentaires. Mais cela ne saurait constituer une solution pérenne si la baisse des DMTO se poursuit », ajoute les Sages de la rue Cambon.

« Cela fait des années que je dis qu’il faut sortir les départements de cette dépendance aux droits de mutation. On savait que tôt ou tard une crise du bâtiment se répercuterait sur leurs marges de manœuvre », tempête le sénateur Claude Raynal. Six départements ont fini l’année 2023 avec une épargne nette négative : l’Aisne, le Gers, la Gironde, le Nord et le Pas-de-Calais. Une vingtaine pourrait être « fragilisée » en 2024 par la poursuite de la baisse des revenus de la DMTO.

Une fiscalité locale tributaire des contingences économiques

Commandé en 2022 par le Sénat, un rapport de la Cour des Comptes sur les différents scénarios de financement des collectivités territoriales épinglait déjà un système « à bout de souffle ». Les Sages exploraient notamment, en ce qui concerne les départements, la piste d’un système solidaire de financement, invitant à concentrer la fiscalité locale sur le bloc communal.

« Les collectivités ont besoin de stabilité et de visibilité », explique la sénatrice centriste Françoise Gatel, qui préside la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. « Les chiffres de la Cour des Comptes renvoient à une question : est-ce que la configuration des compétences accordées aux différentes collectivités ne doit pas appeler des recettes fixes, à hauteur des dépenses incompressibles ». Dans le cas des départements, Jean-François Husson insiste sur le poids de leurs compétences sociales : « Les dépenses liées à l’aide sociale à l’enfance, avec la gestion des mineurs non accompagnés, et à la prestation de compensation du handicap ont augmenté ».

Ces dernières années, la suppression de plusieurs impôts locaux, conformément à des promesses de campagne faites par Emmanuel Macron, en l’occurrence la taxe d’habitation sur les résidences principales et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), a été compensée par la TVA. En 2023, elle a abondé pour plus de 50 % les frais de fonctionnement des régions, de 28,7 % ceux des départements et de 24,6 % ceux des intercommunalités. Mais là aussi, la progression des recettes a marqué le pas par rapport à l’année précédente, avec une augmentation de 1,9 %, contre 9,4 % en 2022. Ce qui explique le léger repli de l’épargne des régions.

Les communes en revanche, ont conservé une certaine marge de manœuvre avec des hausses de taux sur la taxe d’habitation des résidences secondaires, même si son produit n’est pas comparable à la taxe d’habitation sur les résidences principales. En outre, l’inflation a dynamisé le rendement de la taxe foncière, dans la mesure où sont montant dépend de l’indice des prix à la consommation. « Je dirais que le bloc communal s’en sort mieux, mais pas forcément bien », nuance Françoise Gatel. « Les grandes villes bénéficient d’une certaine stabilité, alors que la situation des communes de moins de 3 000 habitants est bien différente… Ce qui montre qu’à l’intérieur même des entités locales nous avons aussi de fortes disparités ».

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