Mobilisations étudiantes propalestiniennes : « Aucun lien n’est établi entre ces mouvements et des puissances étrangères déterminées », explique Sylvie Retailleau

Auditionnée par la commission d’enquête sénatoriale sur les influences étrangères, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a alerté sur « un accroissement des tentatives d’ingérences dans les établissements du ministère ».
Alexis Graillot

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Trois ans se sont écoulés depuis le rapport Gattolin, publié en octobre 2021 par l’ancien sénateur du même nom, texte qui souhaitait avoir comme vocation de protéger l’enseignement supérieur français face aux « influences étrangères extra-européennes à l’université ». A l’époque, la mission d’information avait souligné la « zone grise » de la législation pour faire face à une ingérence de plus en plus agressive, citant notamment la Chine comme acteur essentiel d’une « influence systémique » visant à « imposer un narratif d’Etat » au service de la puissance chinoise. Proactif sur le sujet, l’ex-sénateur RDPI avait d’ailleurs été la cible de cyberattaques chinoises, comme il en témoignait il y a quelques semaines au Sénat.

Ce jeudi 18 juin, c’était au tour de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche d’être auditionnée par la commission d’enquête créée l’hiver dernier afin de faire un état des lieux des ingérences étrangères en France. Dans la lignée de l’audition de Benjamin Leperchey, directeur adjoint de l’enseignement supérieur, la ministre reconnaît un accroissement du phénomène depuis la guerre en Ukraine, tout en gardant une « attention particulière » vis-à-vis de la Chine. Elle s’est également vue interrogée sur les mobilisations étudiantes propalestiniennes, démentant tout lien entre ces manifestations et une quelconque ingérence d’un Etat étranger.

Une menace à la fois « contextuelle » et « insidieuse »

Défendant une « prise en compte accrue des enjeux de sécurité » au sein de son ministère, Sylvie Retailleau explique ce point de vigilance particulière au regard de plusieurs raisons « contextuelles ». Tout d’abord, la ministre souligne « un cadre géopolitique instable » lié à l’invasion de la Russie en Ukraine, le conflit au Proche-Orient ou encore la situation tendue au Sahel. Ensuite, elle pointe une « conflictualisation accrue » et une « montée en puissance des rapports de force dans les mouvements sociaux et particulièrement dans les universités ». Tout cela dans « un contexte général de menaces et de violences aux personnes ».

A côté de ces éléments contextuels, la ministre fait état d’une menace plus sous-jacente et « insidieuse », provenant de « compétiteurs stratégiques identifiés » . « Opérations de débauchage », « prédation capitalistique », « captation des savoirs sensibles », « instrumentalisation des décisions de justice », « construction de narratifs dans les universités », Sylvie Retailleau égrène une panoplie de techniques d’ingérences utilisées par les puissances étrangères afin d’intégrer leurs récits au sein des établissements supérieurs français.

Face à cette menace, la ministre explique n’avoir « aucune naïveté » sur le sujet, pointant un « enjeu crucial pour la souveraineté ». A cet égard, elle précise notamment que les effectifs du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, habilités à la défense nationale, ont « triplé entre 2016 et 2024 ».

« Vigilance particulière sur les sciences humaines et sociales »

Parmi les secteurs de l’enseignement supérieur les plus exposés, les sciences humaines et sociales sont au cœur des tentatives d’ingérences. Le rapport Gattolin en avait d’ailleurs fait un de ses chevaux de bataille, pointant des « trous dans la raquette » dans ce domaine, les dispositifs de « zone à régime restrictif » (ZRR) permettant à un laboratoire de restreindre l’accès à ses données, étant limités aux sciences dites « dures » à l’image des domaines économique et militaire. A ce titre, la ministre explique que le dispositif a été étendu à 900 zones.

Elle déclare avoir une « attention particulière » vis-à-vis des instituts Confucius, établissements culturels créés par le Parti communiste chinois (PCC) visant à dispenser des cours de langue mandarine. « Nous ne sommes pas opposés à leur présence », explique Sylvie Retailleau, tout en jugeant essentiel que ces derniers se tiennent à distance « des choix pédagogiques », pour « se cantonner au domaine de la linguistique ».

De fait, la détection des ingérences étrangères dans le domaine des sciences humaines et sociales est rendue « plus compliquée ». « Pour les bourses chinoises à financements étatiques, les bénéficiaires doivent rendre compte à l’ambassade de Chine et ses proxys », détaille la ministre, qui annonce que depuis 2020, les services de son ministère ont entravé l’accès aux laboratoires à « plusieurs centaines d’individus ».

Les mobilisations universitaires au cœur des débats

La ministre se veut également rassurante quant à l’annulation de 900 millions d’euros de crédits, rien que pour le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, le 21 février dernier, dont elle explique que cette annulation a essentiellement trait à la réserve du ministère, rarement utilisée.

Enfin, last but not least, une série de questions des sénateurs s’est articulée autour des manifestations étudiantes propalestiniennes au sein de plusieurs grandes universités, parmi lesquelles Sciences Po. Si elle affirme ne « pas méconnaître les rumeurs » sur le sujet, elle explique qu’« aucun lien n’est établi entre ces mouvements et des puissances étrangères déterminées ». Un dernier point dans la droite lignée de l’audition de Benjamin Leperchey, le 2 mai dernier dans le même palais du Luxembourg : « Ce n’est pas ce qui ressort des signalements qui nous sont faits », avait alors expliqué le directeur adjoint de l’enseignement supérieur.

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