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Sécurité, immigration : le tournant identitaire de LR embarrasse la majorité sénatoriale

Depuis une semaine, les cadres des Républicains ont redoublé de propositions musclées afin d’apporter une réponse aux émeutes qui ont fait suite à la mort du jeune Nahel, quitte à faire le lien entre insécurité et immigration. Au sein de la majorité sénatoriale de la droite et du centre, ces prises de position pourraient fragiliser un accord sur le prochain texte immigration.
Simon Barbarit

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Bruno Retailleau persiste et signe. Une semaine après ses propos polémiques sur le profil des émeutiers, le patron de la droite sénatoriale a déclaré sur RTL en avoir « marre du politiquement correct ». Il y a quelques jours, le sénateur de Vendée avait fait le lien entre immigration et insécurité pour pointer les causes des émeutes survenues après la mort du jeune Nahel, et ce, malgré les chiffres du ministère de l’Intérieur faisant état de seulement 10 % d’étrangers parmi les personnes interpellées. « Malheureusement pour la deuxième, la troisième génération, il y a comme une sorte de régression vers les origines ethniques », avait-t-il jugé.

LR proche du RN ? Bruno Retailleau « s’en fiche »

Et peu importe si un tel discours semble sortir tout droit d’une tribune du RN ou de Reconquête, le président du groupe LR s’en « fiche ». « L’important, c’est de traiter le problème des Français […] Je suis élu. J’ai un mandat reçu du peuple Français. On doit régler les problèmes avec des solutions pour le peuple français. Depuis des décennies, ça ne fonctionne pas », a-t-il expliqué, déclarant ne pas comprendre pourquoi le gouvernement refusait de faire le lien entre insécurité et immigration.

Faut-il voir dans cette affirmation « une dérive dangereuse » de la droite républicaine, tentée par « la démocratie illibérale », comme l’a regretté dernièrement l’ancien Premier ministre, Dominique de Villepin, observant qu’au sein du parti, il y avait « un certain nombre d’admirateurs de Viktor Orban ».

Le 6 juillet dernier, le patron de LR, Éric Ciotti et les deux présidents de groupes parlementaires, Bruno Retailleau et Olivier Marleix ont présenté un catalogue de mesures marquées par la fermeté. 80.000 places de prison, courtes peines d’un mois pour les mineurs, abaissement de la majorité pénale à 16 ans, rendre les parents de mineurs délinquants « pénalement responsables », retour des suppressions des allocations en cas d’absentéisme scolaire, rétablissement de la double peine, uniforme de l’école au lycée… Une réponse au « délitement de l’autorité », de « l’éducation » et de l’autorité des parents, qui explique, selon la droite, les émeutes. Sans oublier bien évidemment « l’immigration de masse qui déstabilise trop nos territoires », comme l’a pointé Éric Ciotti.

« Joker », « Je préfère passer mon tour »

Ce mardi, à la réunion hebdomadaire du groupe LR, la plupart des élus ont serré les rangs derrière leurs dirigeants. « Je partage totalement la position des cadres de mon parti, c’est quand même rassurant non ? », nous interroge une sénatrice. « Il n’y a pas de tournant vers l’extrême droite, sinon je ne serai pas là », assure un sénateur.

D’autres sont plus embarrassés. « Joker ». « Je préfère passer mon tour », élude poliment deux sénateurs connus pour leurs positions modérées. La sénatrice du Val d’Oise, Jacqueline Eustache-Brinio s’était fait le relais de Bruno Retailleau la semaine dernière lors de l’audition de Gérald Darmanin. Elle avait demandé au ministre « les chiffres de ces mômes issus de l’immigration » parce que « ça ne veut plus rien dire aujourd’hui » être Français. La sénatrice est apparue moins prolixe, ce mardi. « La page est tournée », nous éconduit-elle poliment lorsqu’on lui demande de développer ses déclarations.

Le sénateur Reconquête, Stéphane Ravier reste, lui, prudent sur le virage qu’ont semblé amorcer certains leaders de la droite sénatoriale. « Au moment de la mort de Samuel Paty, j’avais l’impression d’être le plus modéré au milieu de certaines déclarations de mes collègues LR qui dénonçaient non pas l’islamisme mais l’islam. Et quinze jours après, le : ‘’pas d’amalgame’’ était de retour. Les LR ont pris conscience du ras-le-bol des Français après les émeutes et semblent actuellement admettre l’humidité de l’eau. On verra comment tout ce petit monde se positionne après les sénatoriales ».

« Propos irréfléchis »

Il faut aller interroger les sénateurs apparentés au groupe pour avoir une parole plus libre. « Quand je vois que Rachida Dati reprend publiquement Bruno Retailleau, c’est la preuve des divisions au sein du parti », observe la sénatrice de Paris, Céline Boulay-Espéronnier. « Après les émeutes, LR a dû hausser le ton et faire des propositions pour apparaître comme un parti de gouvernement. Mais quand on fait 5 % à la dernière présidentielle, c’est sûr que ça sonne comme un appel du pied au RN. Après pour bien connaître Bruno Retailleau, je ne pense pas qu’il s’agisse de positions électoralistes mais de convictions profondes ».

Le sénateur de Paris, Philippe Dominati va jusqu’à parler de « propos irréfléchis » de la part de Bruno Retailleau. « Les statistiques du ministère de l’Intérieur sont quand même édifiantes et montrent que toutes les classes sociales et de nombreux territoires, pas seulement urbains, ont été concernés par les émeutes. Mais bon, on a bien eu un ancien président de la République qui a parlé de bruit et d’odeur avant d’être élu à l’Elysée », pardonne-t-il.

« Bruno Retailleau s’exclut du champ républicain »

Chez les centristes, alliés au LR au sein de la majorité sénatoriale, le malaise est plus palpable. Droite et centre étaient déjà divisés sur les mesures du prochain texte sur l’immigration. « Depuis 2002, il y a une ligne rouge fixée par Jacques Chirac qui est de ne jamais aller sur le terrain de l’extrême droite. Quand Bruno Retailleau dit qu’il s’en fiche que ses propos ressemblent à ceux du RN, il s’exclut du champ républicain. Je ne peux pas adhérer à cette importation des thèses de l’extrême droite dans le débat public. Cela fait 25 ans que je me bats contre ça », tance le sénateur centriste, Loïc Hervé.
Le sénateur de Haute-Savoie trouve la séquence d’autant plus dommageable car pour lui, le ministre de l’Intérieur « a plutôt bien géré les émeutes avec une prise de parole modérée. LR part dans la surenchère sécuritaire afin de répondre à une demande d’une partie de l’opinion publique. La cohérence serait plutôt d’aider le ministre à gérer la crise », estime-t-il.

Faut-il enterrer pour autant un accord entre LR et centristes sur le projet de loi immigration qui devrait arriver en examen à l’automne ? Loïc Hervé croit toujours qu’un consensus est possible. « Après si les LR veulent nous expliquer qu’en matière d’immigration le droit français est supérieur au droit européen, il n’y aura pas de texte au Sénat. Il faut quand même distinguer chez Bruno Retailleau, l’homme politique national qui s’adresse à ses électeurs, du président de groupe plus enclin aux compromis », temporise-t-il.

La sénatrice centriste, Nathalie Goulet rappelle que ces divergences avaient conduit les centristes à déposer leur propre proposition de loi sur l’immigration. L’élue de l’Orne voit dans les déclarations récentes de ses collègues LR un lien avec la campagne des sénatoriales. « Il est hautement probable que ce que dit Bruno Retailleau correspond à ce qu’il entend sur le terrain. Dans mon département, les maires me parlent beaucoup des violences contre les élus, des minima sociaux touchés par des personnes qui ne le mériteraient pas, de l’immigration… Est-ce que c’est le rôle d’un politique de suivre la vague ou de prendre de la hauteur avec un discours républicain ? Après le renouvellement du Sénat, certains LR ne se retrouveront pas dans ces positions extrêmes et on pourrait assister à une recomposition des groupes », pressent-elle.

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