Accord LFP-CVC : « Pour le football français, c’est le casse du siècle », étrille Jean-Michel Roussier, président du Havre Athletic Club (HAC)

Interrogé sur l’accord entre la Ligue de football professionnel (LFP) et le fonds d’investissement CVC en 2022, le président du Havre a dénoncé une négociation d’une « grande opacité », parlant même de « casse du siècle » pour le football français, CVC bénéficiant à vie, de 13% des revenus de la Ligue.
Alexis Graillot

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Quelques minutes après l’économiste du sport, Pierre Maès, c’est au tour du président du HAC, Jean-Michel Roussier, d’être auditionné par la commission d’enquête sur la financiarisation du football français. Des travaux qui s’inscrivent dans le contexte de la création, en 2022, d’une société commerciale par la Ligue de football professionnel (LFP), chargée de commercialiser les droits TV des championnats français, la Ligue 1 et la Ligue 2.

Si l’audition s’est largement concentrée sur l’objet de la commission d’enquête, à savoir l’accord entre la LFP et le fonds d’investissement CVC, le président du HAC a également été interrogé sur le crash de Mediapro en 2021, dont il a été directeur conseil délégué sur l’antenne et des programmes, mais également sur les droits TV, dans un contexte de grande incertitude au regard du caractère non-conclusif du dernier appel d’offres. Une situation qui interroge sur l’avenir du football français.

 CVC a profité d’une extraordinaire dégradation du football français à la suite de l’éviction de Mediapro 

Jean-Michel Roussier, président du Havre Athletic Club (HAC)

« Il fallait qu’aucun club ne soit le fossoyeur du football »

« Non, la seule solution pour sauver le foot français n’était pas la cession à vie de 13% de ses revenus à un fonds d’investissement. Non, les clubs ne disposaient pas de l’information utile pour se prononcer sur l’accord CVC. Non, l’accord conclu ne permet pas à un développement équitable du foot français, mais ne fait que creuser les inégalités ». D’entrée, Jean-Michel Roussier a donné le ton sur le fond de sa pensée concernant l’accord conclu entre la LFP et le fonds d’investissement, établi au Luxembourg, dont l’objectif affiché étant d’atteindre des droits de 1,8 milliard d’euros par an d’ici 2028. En contrepartie, la LFP doit accepter de céder 13% de ses revenus à l’entreprise. Un accord que le président du Havre ne juge « pas bon » pour le football français. « Pour le football français, c’est le casse du siècle. L’écrasante majorité des clubs n’a pas compris comment cela s’est déroulé. Tout a été fait dans la plus grande opacité », tacle-t-il, dénonçant le contexte dans lequel le business plan a été conclu : « CVC a profité d’une extraordinaire dégradation du football français à la suite de l’éviction de Mediapro », dans un contexte également de crise Covid qui a plongé les clubs dans une grande difficulté financière.

Sur la situation de son club, qui ne bénéficie aujourd’hui que de 1.5 million d’euros, contre 33 millions pour le FC Metz, club de Ligue 1 le moins bien loti, le président du HAC a d’ailleurs lancé une procédure judiciaire à l’encontre de la LFP pour dénoncer cette situation. Situation qui s’explique par ailleurs, au regard de la récente montée du club dans le championnat de France : « Le HAC bénéficie d’un traitement d’une inéquité incroyable », déplore-t-il, tançant un accord qui a « durablement creusé les inégalités entre les clubs, les prive à vie d’une partie substantielle de leurs revenus ». Se plaignant d’un « manque de solidarité entre les clubs », Jean-Michel Roussier affirme « subodorer que la Ligue est en train de capitaliser dans la perspective des droits TV à venir ».

« Mais alors, pourquoi les clubs ont-ils accepté », se demande le rapporteur de la commission, Michel Savin. « La notion d’urgence était majeure, la notion d’unanimité était essentielle et il fallait que personne ne soit le fossoyeur du football », dénonce-t-il, résumant sa pensée en une formule : « Take the money and run ».

Mediapro, « un business plan optimiste, mais pas irréalisable »

En tant qu’ancien membre de l’état-major de Mediapro, dont la chaîne Téléfoot a connu un crash industriel, fin 2021, Jean-Michel Roussier s’en est également pris à la Ligue qu’il accuse d’avoir « refusé toute négociation » avec le diffuseur, qui n’avait pourtant « pas vocation à se désengager ». La raison d’une telle décision par la LFP ? « Un grand mystère, la décision est incompréhensible, sauf à admettre qu’il y avait une volonté manifeste de chasser Mediapro des droits », torpille-t-il, ajoutant que « la décision d’arrêter toute négociation a été prise en micro-comité ». « Je pense sincèrement que Vincent Labrune avait déjà en tête la création de la société commerciale avant son élection », avance-t-il même.

Sur le milliard offert par le groupe à l’époque, il reconnaît « une bascule dans la surenchère » : « On arrive à ce total que personne n’attendait, qui illumine tout le monde, on dépasse un milliard, c’était un accident, le championnat ne le valait pas du tout », assure-t-il. L’occasion pour le dirigeant d’amorcer un mea culpa. « Le business plan était compliqué sur des aspects de distribution sans aucun doute », reconnaît-il d’emblée, avant de juger qu’il n’était « pas totalement utopique » : « Sur une durée de 3-4 ans, il était possible d’arriver au montant envisagé par les équipes de Mediapro en Espagne », croit-il, défendant le fait que le diffuseur n’était « pas des inconnus sortis de nulle part », étant notamment à l’origine de la diffusion de La Casa de papel. En résumé, le président du HAC juge le « business plan optimiste mais pas irréalisable ».

« Difficile » d’imaginer le football français sans Canal +

Enfin, Jean-Michel Roussier est revenu sur l’attribution des droits TV alors que l’incertitude plane toujours sur le futur diffuseur des championnats nationaux la saison prochaine, en raison de l’infructuosité de l’appel d’offres lancé par la LFP en fin d’année dernière. L’occasion pour lui d’en rajouter une couche sur CVC : « Je ne suis pas convaincu qu’il y ait un apport technique acceptable », en matière de compétence sur les droits TV et des recettes commerciales, estime-t-il.

Interrogé enfin sur le sort réservé à Canal +, partenaire historique du football français, au moment de l’attribution des droits TV à Mediapro, Jean-Michel Roussier estime que le groupe « a été chassé comme Mediapro a été chassé ». « Beaucoup d’acteurs de cette décision ont chassé Canal + de façon cavalière et ont vite oublié les 20 années qui venaient de s’écouler », regrette-t-il. « Je conçois très bien que Canal + en ait gardé une certaine rancœur », doutant que les choses puissent se réparer : « Canal + est très satisfait des droits dont il dispose aujourd’hui. Est-ce qu’ils ont envie de casser leur grille pour la diffusion d’un match de Ligue 1. Je n’en ai aucune idée, il faudrait leur demander », conclut-il, non sans ironie, jugeant aujourd’hui « difficile » d’imaginer le football français sans Canal +.

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