On n’aura peut-être jamais autant parlé de CMP, ce conclave parlementaire où sept députés et sept sénateurs tentent de trouver un texte commun. La commission mixte paritaire sur le budget 2025 a débuté ce jeudi, à 9h30. Et c’est parti pour durer. « Ça va être très long », nous écrivait ce matin l’un des participants, après le début des réjouissances. La CMP devrait durer deux jours, ce qui est exceptionnel. Celle sur le texte immigration, déjà parmi les plus longues, avait duré plus d’une journée et demie. C’est le texte du Sénat, qui est examiné, les députés ayant rejeté le projet de loi de finances.
Après le vote de la censure en décembre, l’enjeu est de taille : la France n’a toujours pas de budget pour l’année 2025. Et les socialistes mettent en parallèle la pression pour avoir des gages, si le gouvernement veut obtenir un accord de non-censure. « Si le socle commun n’en fait qu’à sa tête, s’il ne prend pas en compte les propositions de compromis que nous faisons, alors il expose le pays à de graves difficultés et à la censure », a prévenu, juste avant la réunion, le député PS Philippe Brun, membre de la CMP, tout en envoyant « un message d’ouverture ». « Nous sommes prêts au débat, prêts au compromis. […] J’ai bon espoir qu’on trouve un accord aujourd’hui », ajoute le même, sur un ton qui tranche avec les tensions des deux derniers jours, où la température est montée, après les propos de François Bayrou sur le « sentiment de submersion ».
Comme « Michel Blanc » dans Les Bronzés, « il est temps de conclure »
Malgré l’incertitude, une ministre avec laquelle nous échangions hier à l’heure du déjeuner, préfère encore en rire. Paraphrasant feu « Michel Blanc », dans Les Bronzés, elle lance : « Il est temps de conclure ». Même sur un malentendu ? L’histoire ne dit pas qui joue le Jean-Claude Dusse de la CMP.
On sait déjà, en réalité, que la fumée blanche devrait sortir demain. Avec 8 membres sur 14, le socle commun (ex-majorité présidentielle et LR) dispose d’une majorité des voix dans la commission mixte paritaire. La règle du tourniquet, qui fait qu’un député écologiste ne se retrouve en CMP que toutes les trois réunions, a bien fait les choses en faveur du camp exécutif… « La majorité gouvernementale s’est arrangée pour avoir la majorité en CMP », affirmait la semaine dernière Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat, qui s’est invité à la réunion en tant que suppléant, comme son homologue de l’Assemblée Boris Vallaud.
« Il reste un sujet sur l’AME. Le reste fait l’objet d’un accord à ce stade »
Selon plusieurs sources, au sein du socle commun, « il y a un accord sur l’essentiel ». Les rapporteurs, le sénateur LR Jean-François Husson, du côté de la Haute assemblée, et le député Renaissance David Amiel, ont passé plusieurs heures à échanger, avant la réunion, pour arrêter une ligne commune. « Le socle commun vote d’une seule main les propositions des rapporteurs », confirme une source en interne ce matin.
Seul un point, important, restait en suspens à l’ouverture : l’Aide médicale d’Etat (AME), que les sénateurs LR ont réduit de 200 millions d’euros, alors que les socialistes ne veulent pas y toucher, en faisant une ligne rouge. « Il reste un sujet sur l’AME. Le reste fait l’objet d’un accord à ce stade », soutient un membre du socle commun. Le débat réside dans « le montant » de l’AME. Reste à voir si le PS serait malgré tout prêt à accepter une baisse, plus faible, de l’AME.
Il faudra voir également comment ont atterri les parlementaires sur d’autres points qui étaient en discussion, comme le niveau des frais de notaires (les DMTO). Selon Paris Influence (Politico), la majorité sénatoriale défend la possibilité pour les départements, en proie à des difficultés financières, d’augmenter le taux de 0,5 %, quand les macronistes se placent en défenseur des primo-accédants en les exonérant.
Taxe sur les billets d’avion à 7,40 euros par billet ?
Autres sujets à suivre : le versement mobilité, dont la hausse serait limitée, le niveau d’économies sur le crédit impôt recherche, que le Sénat avait raboté de 400 millions d’euros, la baisse d’un milliard d’euros au total de MaPrimeRénov’et des APL, que les sénateurs avaient rejeté, ou encore la hausse de la taxe sur les billets d’avion.
Les compagnies aériennes, en l’occurrence Air France, dénoncent cette augmentation de la taxe. Sur le sujet, elles peuvent compter sur un appui au sein de la CMP, avec les sénateurs UDI Vincent Capo-Canellas, ancien maire du Bourget. Lors du passage du texte au Sénat, il a fait adopter un amendement limitant la hausse de la taxe de 9,50 à 5,30 euros. Mais faute d’accord pour l’heure, « l’article sur la taxe avions a été suspendu », nous écrit, à la mi-journée, l’un des parlementaires de la CMP. Autrement dit, il a été remis à plus tard, dans la CMP.
D’après nos informations, une proposition mise sur la table coupe la poire en deux : 7,40 euros par billet pour les destinations européennes, ce qui rapporterait 100 millions d’euros de moins comparé à la proposition initiale du gouvernement (200 millions d’euros de moins avec celle des sénateurs). La rédaction prévoit aussi un tarif réduit pour les lignes à destination et en provenance des Outre-Mer, de la Corse et pour les lignes d’aménagement du territoire.
Taxe sur les hauts revenus et les bénéfices des entreprises seulement pour un an
Il faudra voir aussi ce qu’il en est de la hausse de la taxe sur les transactions financières (TTF). Elle est aujourd’hui de 0,3 % du montant de la transaction. A la sortie du Sénat, elle a été relevée de 0,1 point. Mais la gauche aimerait doubler le montant, pour la porter à 0,6 %.
Autre point attendu par le PS : la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Conformément à l’engagement de François Bayrou, dans sa lettre aux socialistes, la mesure reste bien dans le budget. Elle ne s’appliquera que « pour l’année 2025 ». Sur l’instauration d’une contribution sur les bénéfices des grandes entreprises, elle se fera « sur un an seulement », selon un parlementaire de gauche présent, « donc un rendement facilement contournable… » pointe le même.
« Le député RN Jean-Philippe Tanguy a annoncé la censure sur l’article 4 » sur la hausse des taxes sur l’électricité
Et le RN ? Le parti, qui s’est retrouvé éclipsé par les négociations entre le gouvernement et les socialistes, se rappelle au bon souvenir de François Bayrou en agitant, à nouveau, la menace de le faire tomber, comme Michel Barnier… « Jean-Philippe Tanguy (député RN, présent en CMP, ndlr) a annoncé la censure sur l’article 4 » sur la hausse des taxes sur l’électricité, que le parti d’extrême droite refuse, nous annonce un membre de la CMP.
Lundi, lors des vœux à la presse de Jordan Bardella, des responsables du RN n’excluaient pas, hors micro, qu’il vote la censure sur le budget… Dans ces conditions, la pression serait mise sur les socialistes, dont le vote de la censure serait clef pour le maintien, ou la chute, du gouvernement. De quoi leur permettre d’obtenir un peu plus dans la dernière ligne droite ? Avec un élément à avoir en tête : en ayant recours au 49.3 sur le budget, le gouvernement n’est pas obligé de s’en tenir au texte de compromis sorti de la CMP. Il peut encore déposer des amendements lors de la lecture des conclusions de la CMP, en sachant que seuls les amendements acceptés par le gouvernement peuvent encore être débattus après la CMP. Au moment d’engager sa responsabilité, il peut alors décider des amendements qu’il retient dans le texte. Autrement dit, de quoi apporter encore des modifications de dernières minutes.