On savait que le gouvernement Bayrou voulait faire 8 ou 9 milliards d’euros d’économies supplémentaires, pour arriver à 32 milliards d’économies. On n’en connaissait pas le détail. C’est fait. Du moins pour l’essentiel. Le Sénat a adopté, ce jeudi, par 217 voix contre 105 et 22 abstentions, l’ensemble du projet de loi (PLF) de finances 2025, marqué par plusieurs milliards d’euros de coupes budgétaires. Selon le détail du vote, les groupes LR, Union centriste, RDPI (Renaissance), Les Indépendants ont voté pour. Les groupes de gauche (PS, communiste et écologiste) ont voté contre, tout comme les sénateurs RN. La majorité du groupe RDSE s’est abstenue.
Pour gagner du temps, le gouvernement a fait le choix de reprendre le budget là où il en était au Sénat, au moment du vote de la censure, c’est-à-dire le début de la seconde partie sur les dépenses, après avoir adopté la partie recettes (voir notre article sur les principales modifications sur la première partie). Un choix qui lui lie en partie les mains, limitant les modifications. Le gouvernement n’en a pas moins multiplié les coups de rabot, ministère par ministère, qui se sont souvent ajoutés aux économies déjà planifiées par Michel Barnier.
« Ils y vont à la hache »
La méthode, largement décriée par les sénateurs, s’est répétée, immuablement : un amendement de dernière minute, déposé parfois dans la nuit voire une heure avant, souvent défendu laconiquement par des ministres, dont plusieurs se voient eux-mêmes imposer ces coupes par Bercy. Les sénateurs se sont retrouvés à découvrir ces économies supplémentaires, ne pouvant travailler dans de bonnes conditions.
L’écologiste Thomas Dossus a ainsi dénoncé des « débats escamotés », estimant qu’« ils y vont à la hache ». « On n’a jamais vu ça », témoigne Patrick Kanner, à la tête du groupe PS. « C’est difficile de bien travailler dans une forme d’urgence », reconnaît même le rapporteur général du budget, le sénateur LR Jean-François Husson, membre de la coalition gouvernementale, quand son collègue LR, Roger Karoutchi, pourtant rodé à l’exercice, lâche en séance, face à des conditions de travail « athlétiques » : « On fait semblant »… « La méthode est difficile à accepter », pointe également le président du groupe centriste, Hervé Marseille, pourtant lui aussi allié de François Bayrou.
Cette méthode, qui ne fait pas dans la dentelle, a un objectif : trouver des économies. Et le gouvernement n’y est pas allé de main morte. Ce qu’il assume. Il vante une réduction des dépenses de l’Etat et de ses opérateurs de 2 %. Du jamais vu depuis 25 ans, souligne l’exécutif.
6,3 milliards d’euros d’économies supplémentaires, une prévision de déficit revue à 5,3 %
Au terme de l’examen du budget au Sénat, le total des économies supplémentaires votées par le Sénat est de 6,3 milliards d’euros, a appris publicsenat.fr de source parlementaire. L’objectif de déficit est lui ramené à 5,3 %, contre 5,4 % prévus initialement par le gouvernement. Comme aiment dire souvent les sénateurs, « c’est à la fin de la foire, qu’on compte les bouses… »
Selon les cas, la majorité sénatoriale de droite et du centre, malgré ses critiques sur la méthode, a soutenu ces coups de rabot, comme sur l’aide au développement (-2,78 milliards d’euros au total sur un budget de 6,5 milliards), l’écologie (-995 millions), l’enseignement supérieur et la recherche (- 630 millions), France 2030 (-535 millions) ou l’audiovisuel public (-80 millions), ou les rejette, comme sur l’agriculture (le gouvernement voulait -285 millions supplémentaires, en plus de -300 millions déjà prévus et votés), le sport (le gouvernement défendait -123 millions sur la totalité de la mission sport, jeunesse et vie associative) ou l’éducation nationale (l’amendement prévoyait – 52 millions). Sur les collectivités, la majorité sénatoriale a limité l’effort, de 5 à 2,2 milliards d’euros. Rare exception : le budget de la défense est sanctuarisé, avec une hausse de 3,3 milliards d’euros, conformément à la trajectoire de la loi de programmation militaire 2024-2030.
Mais rien n’est définitif. Il faut maintenant attendre la commission mixte paritaire (CMP), le 30 janvier, où les députés, qui ont rejeté le budget et n’ont donc pas de texte de l’Assemblée, et sénateurs, tenteront de trouver un texte commun. Les socialistes, qui ont trouvé un accord de non-censure avec le gouvernement, sont bien décidés à revenir en partie sur ces coupes. A noter qu’il n’est pas non plus exclu, sur le papier, que la majorité gouvernementale puisse ajouter des économies sur les premières missions que le Sénat avait déjà adoptées avant la censure. La CMP permettra aussi de revoir la partie recettes, sur la fiscalité, mais uniquement sur les mesures déjà contenues dans le texte. Impossible de rajouter de nouveaux impôts, en raison de la règle de l’entonnoir.
Pour ceux qui n’auraient pas tout suivi, publicsenat.fr fait le point et résume les principales modifications adoptées au Sénat, depuis la reprise des débats le 15 janvier.
Fonds vert, chèque énergie, bonus véhicules électriques : le Sénat vote près d’un milliard d’euros de rabot sur le budget de l’écologie
La majorité sénatoriale a adopté le volet écologie du budget 2025, marqué par deux amendements du gouvernement qui réduisent son enveloppe de près d’un milliard. Plusieurs politiques sont mises à contribution, comme les aides à l’achat de voitures électriques, le fonds vert ou le chèque énergie.
Enseignement supérieur et recherche : le Sénat vote 630 millions d’euros d’économies, la gauche dénonce un « coup de rabot monumental »
Enlever beaucoup d’un côté… pour en remettre un peu de l’autre. Sur l’enseignement supérieur et de la recherche, le gouvernement souffle le chaud et le froid. La majorité sénatoriale de droite et du centre a adopté 630 millions d’économies sur les crédits, via un amendement de dernière minute du gouvernement. La trésorerie du CNRS sera notamment visée à hauteur de 100 millions d’euros. Par un autre amendement, le ministre a cependant fait voter une aide de 100 millions d’euros pour soutenir les universités, en proie à de grandes difficultés sur leurs charges non-compensées.
Rejet de coupes budgétaires sur MaPrimeRénov’et les APL pour un total d’un milliard d’euros
Le Sénat a rejeté à la quasi-unanimité un amendement du gouvernement qui prévoyait près d’un milliard d’euros de réduction du budget du logement, principalement sur les crédits de MaPrimeRénov’, pour 540 millions d’euros, et des Aides personnalisées au logement (APL), pour 534 millions d’euros. Ce dernier sujet est inflammable. Pour rappel, la baisse de 5 euros, durant l’été, des APL par Edouard Philippe, juste après l’élection d’Emmanuel Macron, en 2017, était très mal passée et avait suscité la polémique.
Apprentissage : le Sénat limite la baisse des aides aux employeurs et les recentre vers les TPE-PME
La Chambre haute a fait passer le montant des aides aux employeurs de 6.000 à 5.000 euros par apprenti, quand le gouvernement espérait aller plus loin. En revanche, les entreprises de plus de 250 salariés ne pourront plus y prétendre pour les apprentis dont le niveau de formation dépasse bac + 3.
Education nationale : le Sénat rejette un coup de rabot de dernière minute sur le budget
En adoptant les crédits de la mission « enseignement scolaire », les sénateurs ont repoussé un amendement gouvernemental qui prévoyait 52 millions d’euros d’économies. Une économie à mettre en perspective avec le budget total de la mission : 64,4 milliards d’euros.
Le Sénat rejette le rétablissement des 4.000 postes d’enseignants promis par François Bayrou
Au bout de la nuit, la majorité sénatoriale de droite et du centre a rejeté un amendement du gouvernement mettant en œuvre une partie de l’accord passé avec les socialistes, et qui mettait fin aux 4.000 suppressions de postes dans l’Education nationale proposées sous Michel Barnier. « 150 millions d’euros, ce n’est pas l’épaisseur du trait », a fait remarquer le rapporteur général du budget au cours des débats.
Outre-mer : des crédits en hausse pour la Nouvelle Calédonie et Mayotte
C’est l’une des rares missions en hausse, celle des crédits de l’Outre-mer. Pour son retour à la chambre haute, le nouveau ministre d’Etat en charge des Outre-mer, Manuel Valls, a vanté un budget « revalorisé », avec un effort particulier à destination de la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte. Les crédits sont revalorisés de 3,5 milliards d’euros en autorisation d’engagement et 3 milliards en crédits de paiement, soit une hausse de 11 % et 6 % par rapport au budget initial.
Arrêts maladie : le Sénat réduit le niveau de l’indemnisation pour les fonctionnaires, mais écarte l’allongement du délai de carence
Le gouvernement a fait adopter une diminution de l’indemnisation des fonctionnaires pour les arrêts maladie de moins de trois mois. La droite a cependant échoué à étendre le délai de carence des fonctionnaires à trois jours, non suivie par les sénateurs centristes. C’est l’un des points de l’accord de non-censure conclu entre François Bayrou et le PS.
Agriculture : le Sénat s’oppose à la quasi-unanimité au coup de rabot de 285 millions du gouvernement
Alors que le projet de loi initial prévoyait déjà une baisse de 300 millions par rapport à 2024, un amendement de dernière minute du gouvernement a proposé un nouveau coup de rabot de 285 millions sur le budget de l’agriculture. Un an après la crise agricole, les sénateurs s’y sont opposés à la quasi-unanimité.
Le Sénat supprime le SNU et rejette le « coup de rabot » supplémentaire sur le sport, dont les crédits baissent déjà de 273 millions d’euros
Les sénateurs ont supprimé le service national universel, promesse d’Emmanuel Macron, reversant 80 des 100 millions d’euros économisés sur les crédits du sport. Alors que ces derniers sont déjà en baisse, la ministre a tenté de défendre une économie supplémentaire de 34 millions d’euros. Les sénateurs l’ont rejetée, l’accusant de vouloir « sacrifier le sport ».
Reste que les sénateurs ont adopté l’ensemble des crédits de la mission sport, jeunesse et vie associative, qui prévoient une baisse de 273 millions d’euros des crédits du sport, dont 85 millions liés à la fin des Jeux olympiques. Une décision qui suscite une levée de boucliers dans le monde du sport.
Le Sénat vote une coupe budgétaire de 2,8 milliards d’euros dans l’aide publique au développement
C’est sûrement la mission budgétaire la plus impactée, dans l’optique de redresser les finances du pays. Les sénateurs ont voté, pour certains « à contrecœur », une diminution de plus d’un tiers du budget de l’aide publique au développement. Une diminution de près de 2 milliards d’euros était déjà prévue. Mais un amendement du gouvernement, modifié quelques heures avant son vote, est venu amputer les crédits de 780 millions d’euros supplémentaires. Le budget passe ainsi de 6,5 à 3,8 milliards d’euros.
Les sénateurs ramènent les économies demandées aux collectivités de 5 à 2,2 milliards d’euros
Entamé avant la censure, les sénateurs ont terminé l’examen des crédits accordés aux collectivités. L’accord trouvé en décembre avec le gouvernement Barnier, et proposé par la majorité sénatoriale, a été conservé. Avec le soutien du nouveau ministre François Rebsamen, les élus ont amendé la plupart des dispositifs d’économies initialement prévus, notamment le fonds de réserve des collectivités, pour limiter la pression financière sur les territoires. Au final, l’économie est ramenée de 5 à 2,2 milliards d’euros.
Défense : budget en hausse de 3,3 milliards, épargné par les coupes budgétaires
C’est l’une des rares missions du budget épargnée par les coups de rabot. La Haute assemblée a adopté le budget de la défense en hausse de 3,3 milliards d’euros, conformément à la trajectoire de la loi de programmation militaire 2024-2030.
Audiovisuel public : le Sénat vote une baisse des crédits de 80 millions, conséquence de l’accord avec le PS, selon les LR et Rachida Dati
La majorité sénatoriale a voté une baisse de crédits de 80 millions d’euros pour l’audiovisuel public, qui touchera surtout France Télévisions et Radio France. Le fruit d’un compromis avec Rachida Dati, qui visait 100 millions d’euros d’économies. Selon la ministre de la Culture, ce coup de rabot est la conséquence « de l’accord qui a pu être obtenu avec d’autres formations politiques », autrement dit le PS.
Le Sénat supprime les avantages accordés aux anciens présidents de la République et premiers ministres
Mesure « symbolique » ou « populiste » ? En séance, le sujet a fait débat. Reste qu’en toute fin d’examen du budget, les sénateurs ont adopté un amendement, contre l’avis du gouvernement, afin de mettre fin aux avantages des anciens présidents de la République et anciens premiers ministres : voiture personnelle avec chauffeur, collaborateurs ou encore secrétariat. Soit 2,8 millions d’euros d’économies.
Gel des crédits de l’Elysée, de l’Assemblée nationale et du Sénat
Devant le début de polémique, Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet avaient déjà annoncé leur décision. Mais il fallait attendre l’examen du budget pour le faire. Les sénateurs ont ainsi supprimé la hausse des budgets de l’Assemblée et du Sénat, décidée donc dans un premier temps, en maintenant au niveau de 2024 les crédits des principales institutions de la République.
Suppression du Haut-commissariat au Plan
François Bayrou va adorer. Les sénateurs ont décidé de mettre fin aux moyens du Haut-commissariat au plan. Cette instance, qui avait à sa tête le premier ministre, jusqu’à sa nomination, a un budget de 1,9 million d’euros et compte 14 personnes.